Question de M. REINER Daniel (Meurthe-et-Moselle - SOC) publiée le 25/10/2012

M. Daniel Reiner attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la menace que représente la logique de mise en concurrence de la mesure de placement à l'extérieur (PE).

Comme plusieurs de ses collègues, il a été interpellé par une association, adhérente du collectif Citoyens et Justice, sur cette menace. Pourtant cette mesure a aujourd'hui fait ses preuves et présente l'intérêt d'être moins onéreuse qu'une place de détention, favorise la réinsertion et la prévention de la récidive.

Ces orientations correspondent aux objectifs de la nouvelle politique pénale qui ont été présentés en conseil des ministres et transmis dans une circulaire aux parquets le 19 septembre 2012.

Historiquement, le placement à l'extérieur a été développé par les associations dans le cadre d'un partenariat avec l'administration pénitentiaire qui reconnaît elle-même que la réussite de ce dispositif repose très largement sur le savoir-faire des associations qui en ont la charge, leur implantation locale et les réseaux qu'elles ont pu constituer.

Dans le département de Meurthe-et-Moselle, entre 80 et 100 personnes sont accueillies chaque année par près d'une dizaine d'associations, reconnues pour la qualité de leur travail d'accompagnement social.

Or, depuis août 2008, l'administration pénitentiaire est engagée dans une réforme du mode de financement en optant pour la passation d'un marché public. Cette volonté s'est concrétisée en avril 2011 lors de la première publication d'un appel d'offres dans le département de l'Isère, confirmée par une note de la direction de l'administration pénitentiaire du 13 mars 2012.

Face à cette évolution, qui met en péril le travail des associations, garantes des éléments fondamentaux de la mesure (relation de partenariat forte, souplesse de la mesure, notion de parcours, hébergement…), les fédérations nationales concernées par la mesure de PE se sont unies pour manifester leur opposition et demander un moratoire.

Aussi, au regard de ces éléments, il souhaite qu'elle veuille bien lui indiquer la réponse qu'elle souhaite adresser à ces associations et les dispositions qui seront mises en œuvre pour assurer l'objectif qu'elle s'est défini, c'est-à-dire celui de « faire de l'aménagement des peines d'emprisonnement une priorité ».

- page 2335


Réponse du Ministère chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion publiée le 21/11/2012

Réponse apportée en séance publique le 20/11/2012

M. Daniel Reiner. Je constate, non sans un brin d'amusement, que notre collègue, à travers sa question et sa réplique, vient de dresser un bilan catastrophique de la politique de santé menée depuis dix ans ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

J'en reviens à ma question, qui s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Je souligne au préalable que cette dernière m'a personnellement informé, vendredi dernier, qu'elle ne pourrait répondre elle-même à cette question et qu'elle vous avait donc chargée de le faire en son nom, madame la ministre. Je tiens à saluer cette élégante attention – je suis parlementaire depuis quelque temps, et j'avoue que c'est une première !

Comme plusieurs de mes collègues, j'ai été interpellé par une association adhérente du collectif Citoyens et Justice sur la menace que représente la logique de mise en concurrence de la mesure de placement à l'extérieur.

Cette mesure, qui constitue une alternative à la détention pour les courtes peines ou les fins de peine, a aujourd'hui fait ses preuves. Elle présente l'intérêt d'être moins onéreuse qu'une place de détention et favorise la réinsertion et la prévention de la récidive.

Ces orientations correspondent aux objectifs de la nouvelle politique pénale qui ont été présentés par Mme la garde des sceaux en conseil des ministres et transmis dans une circulaire aux parquets le 19 septembre 2012.

Historiquement, depuis le début des années 1980, le placement à l'extérieur a été développé par les associations dans le cadre d'un partenariat avec l'administration pénitentiaire. Celle-ci reconnaît elle-même que la réussite de ce dispositif repose très largement sur le savoir-faire des associations qui en ont la charge, leur implantation locale et les réseaux qu'elles ont pu constituer.

Dans le département de Meurthe-et-Moselle, de quatre-vingts à cent personnes sont accueillies chaque année par près d'une dizaine d'associations, reconnues pour la qualité de leur travail d'accompagnement social.

Or, depuis août 2008, l'administration pénitentiaire est engagée dans une réforme du mode de financement qui la conduit à opter pour la passation d'un marché public. Cette volonté s'est concrétisée en avril 2011 lors de la première publication d'un appel d'offres dans le département de l'Isère. Elle a été confirmée dans une note de la direction de l'administration pénitentiaire du 13 mars 2012.

Face à cette évolution, qui met en péril le travail des associations garantes des éléments fondamentaux de la mesure de placement à l'extérieur ― relation de partenariat forte, souplesse de la mesure, notion de parcours, hébergement, entre autres ―, les fédérations nationales concernées se sont unies pour manifester leur opposition et demander un moratoire, au moins jusqu'à ce que les discussions en cours aillent à leur terme.

Au regard de ces éléments, je vous remercie, madame la ministre, de m'indiquer la réponse que vous souhaitez adresser à ces associations et les dispositions que vous entendez mettre en œuvre pour atteindre l'objectif que vous avez défini, et auquel je souscris pleinement, à savoir faire de « l'aménagement des peines d'emprisonnement » une « priorité ».

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous avez raison de saluer le panache de Christiane Taubira, qui m'a chargée de vous transmettre la réponse extrêmement précise qu'elle a préparée à votre question.

Vous avez souhaité attirer son attention sur la menace que pourrait représenter pour les associations, qui en ont actuellement la charge, l'application des règles de la commande publique aux prestations de placement à l'extérieur.

Mme Taubira partage votre point de vue sur l'intérêt de la mesure de placement à l'extérieur. Cette dernière comprend un hébergement, en général dans un foyer de type centre d'hébergement de réinsertion sociale, ou CHRS, parfois dans un établissement spécialement conçu qui n'accueille que des condamnés, avec un encadrement socio-éducatif par les travailleurs sociaux de l'association gestionnaire, en lien avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le SPIP. Elle a pour objet de favoriser l'insertion sociale et elle comprend une aide à la recherche d'emploi. Elle propose parfois un emploi, permet une incitation aux soins selon les cas, et ce, hors détention.

Ainsi que vous le rappelez, la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 pose le principe de l'individualisation des peines et de leur exécution.

Parmi les alternatives à l'emprisonnement, le placement à l'extérieur est une excellente mesure, qui permet notamment un accompagnement global très intéressant pour les jeunes majeurs et les publics très désocialisés.

C'est la raison pour laquelle le budget alloué au financement des placements à l'extérieur en 2013, a été maintenu à hauteur de 8 millions d'euros, pour 754 mesures de placement. Il s'élevait à 7,8 millions d'euros en 2012.

J'en viens aux procédures de financement. Aujourd'hui, l'administration, à l'échelon local, celui de la direction interrégionale ou du directeur départemental, signe des conventions avec des organismes, sur la base d'un nombre de places et d'un prix de journée qui s'ajoute souvent à une dotation globale de fonctionnement, quand il s'agit de CHRS.

Ces prestations et leurs coûts ont été définis après un travail sur les cahiers des charges effectués ces dernières années avec les deux grandes fédérations d'associations qui mettent en œuvre ces mesures : Citoyens et Justice, d'une part, et la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale, la FNARS, d'autre part. Toutes deux sont cocontractantes de l'administration pénitentiaire dans les établissements pénitentiaires en gestion déléguée.

En l'état du recensement, sur 151 organismes conventionnés, tous sont des associations, sauf un, la société GEPSA, partenaire habituel de l'administration pénitentiaire dans la gestion déléguée.

J'en viens à la problématique que vous abordez, monsieur le sénateur. Jusqu'à présent, le financement de ces mesures était réalisé de façon classique, sur la base de conventions avec les associations.

En décembre 2011, le ministère de l'économie et des finances a fait savoir à l'administration pénitentiaire que les activités des associations socio-judiciaires dans le cadre du placement à l'extérieur de détenus relevaient du code des marchés publics. Il estime que les associations qui mettent en œuvre des placements à l'extérieur sont des opérateurs économiques publics ou privés, organismes obligatoirement soumis au code des marchés publics.

Il fonde son argumentation sur une analyse de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et du Conseil d'État relative à la définition de ces opérateurs, résultant de la directive du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.

Les associations et fédérations d'associations ― seuls opérateurs qui, aujourd'hui, mettent en œuvre les placements à l'extérieur ― contestent cette interprétation de la jurisprudence et estiment que cette activité ne relève pas obligatoirement du code des marchés public. Vous vous êtes fait ici même leur porte-parole, monsieur le sénateur.

Le précédent garde des sceaux avait néanmoins demandé à l'administration pénitentiaire de travailler à la mise en œuvre d'appels d'offres conformément au code des marchés publics. Une seule expérimentation a été menée,…

M. Daniel Reiner. Dans l'Isère !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. … dans l'Isère, en effet. Elle a été interrompue du fait de difficultés extérieures à cet aspect de la question.

À la demande de Mme la garde des sceaux, les services de l'administration pénitentiaire procèdent à une nouvelle étude des modes de financement possibles de cette mesure. Mme la garde des sceaux souhaite notamment que les avantages et les inconvénients de chacune des modalités de financement soient clairement identifiés.

En effet, la mesure de placement à l'extérieur a été historiquement portée par le secteur associatif, qui a développé une expertise importante – j'y insiste – en la matière.

En outre, l'intervention de ces associations sur l'ensemble du champ de la prise en charge, tant du public concerné par des procédures judiciaires que du public relevant de dispositifs de droit commun, permet la mise en œuvre de compétences professionnelles élargies.

La mixité du public dans nombre d'établissements est aussi un facteur favorisant l'insertion par le retour au droit commun.

Enfin, de façon générale, la présence d'associations concourant à la mission de service public de la justice sur le champ de l'exécution des peines est le gage du maintien d'une intervention citoyenne, souvent bénévole, que je crois essentielle à notre société. Pensons, par exemple, au soutien des relations entre parents et enfants.

La question de la récidive et de la réinsertion des condamnés qui se sont acquittés de leur dette ne doit pas être du ressort de la seule administration et de prestataires de service du secteur privé. Les associations doivent y garder leur place.

Dans l'hypothèse où la procédure de marché public serait incontournable – nous verrons ce qu'il en sera –, Mme la ministre de la justice a demandé à ses services de travailler aux conditions de sa mise en œuvre, et notamment de réfléchir au contenu des appels d'offres.

En effet, les critères de sélection des offres étant élaborés par le pouvoir adjudicateur, conformément à l'article 53 du code des marchés publics, la compétence des prestataires en matière de suivi et d'accompagnement des personnes devrait être particulièrement valorisée. Les associations pourraient alors faire valoir leur savoir-faire spécifique dans leurs offres. Il faut que la richesse et la qualité du partenariat constaté sur le terrain soient préservées.

Quelle que soit l'option retenue quant à la procédure applicable aux mesures de placement extérieur, et face à la grande disparité qui existe entre les territoires en termes de partenariats, Mme la ministre encouragera la généralisation de cette mesure d'aménagement de peine sur tout le territoire hexagonal et en outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Je remercie Mme la ministre de la justice de la précision de cette réponse et de l'attention qu'elle a portée à cette question. Je suis naturellement heureux qu'elle partage notre point de vue et, surtout, celui des associations.

Nous avons besoin d'un regard citoyen sur ces questions. Avec l'ensemble des associations, je lui apporte tout mon soutien dans le bras de fer qu'elle va mener avec le ministère de l'économie et des finances.

Il me paraît évident que, s'agissant d'une politique publique, le passage par l'appel d'offres systématique n'est pas très raisonnable dans ce domaine, même en application d'une directive européenne. J'ai bien noté cependant que si cette obligation s'imposait, il conviendrait de trouver le moyen de conserver la relation avec ces associations, dont l'histoire montre, à l'évidence, qu'elles ont su bien travailler.

Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir apporté la réponse de Mme la garde des sceaux.

- page 4900

Page mise à jour le