Question de M. GUERRIAU Joël (Loire-Atlantique - UDI-UC) publiée le 13/12/2012

M. Joël Guerriau rappelle à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt que le coût du travail en France est au centre de toutes les préoccupations. Il pénalise toutes les activités à fort taux de main d'œuvre et, dans le milieu agricole, les exploitations maraîchères. Il crée une distorsion de concurrence y compris avec nos voisins européens.

Le coût horaire d'un travailleur saisonnier pour un maraîcher français est 80 % plus cher que pour un maraîcher allemand, 39 % plus cher que pour un maraîcher espagnol et 46 % plus cher que pour un maraîcher belge. Pour faire en sorte de rattraper ces écarts des mesures ont été engagées par le Gouvernement de M. François Fillon en allégeant les charges salariales mais aussi en créant une taxe soda et une taxe sur les carburants en agriculture qui devaient être affectées à hauteur de 1 euro par heure pour les salariés permanents. L'actuel Gouvernement modifie à la baisse les allègements de charges alors que la redistribution des taxes actuellement prélevées n'a jamais été reversée pour le maraîchage.

Les entreprises de production de légumes emploient près de 200 000 salariés en France. Elles sont une opportunité pour du personnel peu qualifié ou en difficulté d'insertion. Un hectare de serre, par exemple, donne du travail à huit salariés.

Par ailleurs, le recul de la production légumière est largement amorcé dans notre pays. Au cours des quinze dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 30 % en France, alors que sur la même période elles ont progressé de 30 % en Allemagne et aux Pays-Bas. Dans le bassin nantais et en Loire-Atlantique, 4 000 emplois directs sont concernés. Le non-versement des mesures promises et financées par la taxe soda, cumulé avec la remise en cause des allégements de charges dans la loi de finances 2013, vont se traduire ici par un coût de 10 millions d'euros, soit 20 % de la masse salariale. Si les entrées fiscales de la taxe soda et sur le carburant prévues pour alléger le coût du travail dans les activités de production agricole semblent aller dans le pot commun des taxes et impôts, il lui demande si un versement équivalent est prévu pour l'allègement des charges des emplois maraichers.

Il souhaite savoir comment le Gouvernement pense assurer la compétitivité des maraîchers français et préserver l'emploi sans le rendre trop cher. Il lui demande quelles mesures sont envisagées pour permettre aux exploitants français d'être compétitifs au niveau européen.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 06/02/2013

Réponse apportée en séance publique le 05/02/2013

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le coût du travail en France est au centre de nos préoccupations, car il pénalise toutes les activités qui font appel à une main-d'œuvre importante. Dans le monde agricole, tel est plus particulièrement le cas des exploitations maraîchères.

Le coût du travail crée une distorsion de concurrence, y compris et surtout vis-à-vis de nos voisins européens. En France, le coût horaire d'un travailleur saisonnier pour un maraîcher est supérieur de 80 % à celui qui est observé en Allemagne ; cet écart passe à 39 % dans le cas de l'Espagne et à 46 % dans le cas de la Belgique.

Pour faire en sorte de rattraper ces écarts avec nos concurrents européens, des mesures avaient été prises : l'allègement des charges salariales, mais aussi la création d'une taxe sur les sodas et d'une autre sur les carburants utilisés par les agriculteurs. Le produit de ces deux taxes devait financer l'allègement des charges patronales, à hauteur d'un euro par heure travaillée, pour les salariés permanents.

La loi de finances pour 2013 a modifié à la baisse les allégements de charges et la redistribution aux maraîchers des taxes actuellement prélevées n'est toujours pas intervenue. J'ajoute que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ne compensera que très partiellement la perte subie par nos maraîchers.

Les entreprises de production de légumes emploient près de 200 000 salariés en France et offrent des emplois à du personnel peu qualifié ou en difficulté d'insertion. Un hectare de serres, par exemple, donne du travail à huit salariés.

Le recul de la production légumière est déjà largement amorcé dans notre pays. Au cours des quinze dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 30 % en France, alors que, au cours de la même période, elles ont progressé de 30 % en Allemagne et aux Pays-Bas.

Le maraîchage est une activité essentielle du bassin nantais. En Loire-Atlantique, le département dont je suis l'élu, 4 000 emplois directs sont concernés. Le non-versement des mesures promises et financées par la taxe sur les sodas, auquel s'ajoute la remise en cause des allégements de charges par la loi de finance pour 2013, va se traduire, rien que pour les maraîchers de mon département, par un manque à gagner évalué à 10 millions d'euros, soit 20 % de leur masse salariale.

Les maraîchers nantais se sont organisés pour former du personnel saisonnier, à l'origine non qualifié, issu pour l'essentiel de milieux urbains défavorisés. Des conventions avec tous les partenaires institutionnels locaux ont été établies en ce sens. Les emplois occasionnels, devenus qualifiés, ont été revalorisés et la diversité de production des entreprises regroupées a permis de donner à ces salariés du travail quasiment toute l'année. Le souhait de la profession est de fidéliser et de pérenniser ces emplois. Tous les partenaires trouvent leur intérêt dans cette démarche.

Ce rôle social, reconnu régionalement, est aujourd'hui découragé par des mesures qui incitent à ne pas renouveler ces contrats correctement valorisés et à leur substituer des emplois précaires, moins rémunérés mais davantage aidés.

Tout un projet, à la fois économique et social, va être déstabilisé parce que sa spécificité n'est pas prise en compte. Ce projet a été soutenu, depuis plusieurs années, par des entreprises dynamiques, innovantes, qui ont su organiser leur filière et valoriser leurs produits.

Les maraîchers nantais, malgré tous les efforts accomplis, sont très inquiets aujourd'hui. La perte de compétitivité n'est pas le fait d'un manque d'investissement, c'est même exactement le contraire : que faire lorsque la récolte de la mâche, mécanisée en France, se révèle plus coûteuse qu'en Allemagne, où elle est entièrement manuelle et réalisée par une main-d'œuvre peu chère, pour l'essentiel étrangère et rurale ?

Tout le problème réside dans la distorsion de concurrence liée au coût du travail, notamment du travail saisonnier, que subissent les producteurs français. Plutôt que d'aggraver encore la situation, il est nécessaire d'agir de manière ciblée, maintenant, pour éviter de créer dans quelques années un nouveau ministère du redressement productif, agricole cette fois, et dont les plans de sauvetage seront beaucoup plus coûteux que les mesures à prendre aujourd'hui. Quelles mesures envisagez-vous d'adopter, monsieur le ministre, pour permettre aux exploitants français d'être immédiatement, et surtout durablement, compétitifs au niveau européen ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, je partage votre souci de donner à la filière du maraîchage, en particulier dans la région des Pays de la Loire, la capacité d'être compétitive et de garantir la pérennité de cette activité dans le marché européen tel qu'il est.

En ce qui concerne, premièrement, les allègements de charges applicables au travail saisonnier, je l'ai déjà dit, l'enveloppe prévue pour le dispositif en faveur des travailleurs occasionnels-demandeurs d'emplois, ou TODE, correspond exactement, en 2013, à ce qu'avait prévu le gouvernement précédent pour 2012, soit 506 millions d'euros.

Vous avez évoqué, par ailleurs, une mesure prise par le gouvernement précédent, sans qu'elle ait été appliquée : la taxe sur les sodas, dont le produit devait être utilisé pour réduire les charges pesant sur le travail permanent.

Permettez-moi de rappeler, tout d'abord, que le dispositif en faveur des TODE, dont le coût avait été évalué à 506 millions d'euros pour 2012 a entraîné une dépense effective de 680 millions d'euros, en raison du caractère intéressant de ce dispositif pour les agriculteurs. Il a donc fallu combler cet écart de 174 millions d'euros, sinon la Mutualité sociale agricole, la MSA, se serait trouvée déficitaire. Nous avons réussi à rééquilibrer financièrement le dispositif en 2012 grâce à l'affectation du produit de cette fameuse taxe sur les sodas.

Ensuite, vous allez prochainement recevoir un document du ministère donnant des exemples de calcul portant sur le cumul des exonérations applicables aux TODE et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Vous pourrez constater que ce cumul permet d'aller beaucoup plus loin en termes d'aides ou d'exonérations que les dispositifs précédents, notamment les exonérations de charges sur le travail permanent financées par la taxe sur les sodas. Nous renforçons considérablement les aides allouées aux entreprises pour améliorer leur compétitivité.

Deuxièmement, vous avez évoqué des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne qui sont inadmissibles. Le Gouvernement a donc pris l'initiative de demander la renégociation de la fameuse directive concernant le détachement des travailleurs, qui permet d'employer un certain nombre de salariés dans des conditions inacceptables.

Troisièmement, vous avez évoqué les conditions sociales des exploitants et maraîchers. Le fait que de grands pays proches du nôtre - l'Allemagne, en particulier - n'aient pas de salaire minimum, notamment dans le domaine de l'agriculture et de l'agroalimentaire, nous expose à une concurrence directe, sans que nous ayons la capacité de nous aligner de quelque manière que ce soit, sauf à revenir à un salaire horaire de 6 euros !

J'espère que le débat, d'ores et déjà engagé en Allemagne dans le cadre des prochaines élections, va permettre de poser cette question du salaire minimum.

À l'échelon européen, il faut travailler sur la correction de la directive relative au détachement des travailleurs et faire intégrer par chaque pays l'idée toute simple que, sur notre continent, on a besoin d'un salaire minimum. Cette harmonisation sociale, voire fiscale, c'est aussi le meilleur moyen d'assurer une compétitivité acceptable par tous les acteurs du continent, en particulier par les producteurs français.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Si j'ai bien entendu vos réponses, monsieur le ministre, je ne suis pas certain d'être tout à fait d'accord sur l'analyse que vous tracez. Ainsi, quand vous parlez de la reconduction d'un budget de 506 millions d'euros, vous dites bien que ladite reconduction s'entend par rapport à ce qui avait été prévu pour le budget 2012.

Vous ajoutez que la dépense réelle a été nettement supérieure, puisqu'elle s'est élevée à 680 millions d'euros. Donc, en reconduisant 506 millions d'euros, vous réduisez, en réalité, de 180 millions d'euros la masse que vous allez consacrer à l'exonération des charges patronales. Il s'agit donc bien, en l'espèce, d'un manque à gagner pour nos maraîchers !

Je pense - et vous partagez cet avis, je le sais - qu'il est extrêmement important pour nous de tout faire pour maintenir notre production en France. Tout ce qui peut conduire à inciter les uns ou les autres à appeler des sociétés de services étrangères en vue d'intervenir sur ce milieu serait forcément très préjudiciable pour l'activité économique de notre pays.

C'est la raison pour laquelle il me semble important d'aller de l'avant sur ces sujets et de trouver des solutions concrètes.

Vous avez évoqué la question de la protection sociale. La convergence sociale européenne me paraît être, en effet, une nécessité. Nous en sommes malheureusement encore bien loin ! Ce travail est devant nous, et il va falloir nous battre.

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