Question de Mme TASCA Catherine (Yvelines - SOC) publiée le 12/04/2013

Question posée en séance publique le 11/04/2013

Mme Catherine Tasca. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Depuis plus de deux décennies, l'exception culturelle est un principe fondamental de la politique culturelle de la France que nous avons constamment soutenu de ce côté-ci de l'hémicycle.

L'expression, souvent brocardée et qualifiée de « ligne Maginot », ne vise évidemment pas à affirmer une quelconque supériorité de la culture française. Elle traduit la volonté politique de considérer que les productions culturelles, les œuvres de l'esprit ne sont pas des marchandises comme les autres et ne peuvent pas être soumises aux seules règles du marché.

Dès l'après-guerre, ce principe s'est imposé pour le cinéma, avec la création à l'époque du Centre national de la cinématographie, le CNC, outil de soutien à la production originale française face à la puissance du cinéma américain.

Depuis, cette nécessité a été reconnue bien au-delà de nos frontières. Avec les autres pays francophones, la France a joué un rôle moteur dans l'adoption par l'UNESCO, en 2005, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Jusqu'à maintenant, jamais l'Union européenne n'a mis en cause cette « exception ».

Aujourd'hui, sur l'initiative de la Commission, guidée par une vision ultralibérale du marché, s'annonce la négociation d'un accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne qui, pour la première fois, n'exclurait pas de son mandat de négociation les biens et les services culturels.

Alors que l'industrie cinématographique et audiovisuelle américaine n'a pas cessé de contester nos règlementations en la matière, tous ceux qui sont attachés à l'identité culturelle, à la vitalité de la création originale autant qu'à son poids économique en termes d'emplois ne peuvent qu'éprouver une grande inquiétude et une profonde indignation devant cette initiative de la Commission.

Fort heureusement, le Président de la République et le Gouvernement, par votre voix, madame la ministre, et par celle de la ministre du commerce extérieur, Nicole Bricq, qui sera en première ligne lors de cette négociation, ont affirmé sans réserve leur opposition à toute tentative de réintroduction de l'audiovisuel dans un accord de libre-échange.

Madame la ministre, face à la nouvelle donne du développement d'internet et du numérique, pouvez-vous nous dire quelle place tient l'exception culturelle dans votre politique et quelles initiatives vous comptez prendre avec vos collègues européens pour barrer l'initiative funeste de la Commission ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.– Mme Catherine Troendle et M. Hugues Portelli applaudissent également)

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 12/04/2013

Réponse apportée en séance publique le 11/04/2013

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous l'avez dit, Nicole Bricq et moi-même sommes fortement mobilisées contre ce funeste projet de la Commission européenne qui tend à revenir sur un principe stable, qui prédomine depuis au moins vingt ans et qui date des premiers accords du GATT conclus sous la présidence de François Mitterrand : l'exception culturelle. Ce principe fait d'ailleurs l'objet d'un large consensus sur les travées de cet hémicycle.

Il ne s'agit pas pour autant d'une exception culturelle française. Le principe vise à préserver des mécanismes de financement de la culture, en particulier de l'audiovisuel, qui permettent d'échapper à la seule loi du marché, à la seule loi de la libre concurrence.

En effet, et vous l'avez souligné, les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Ils véhiculent une vision du monde et de la société. Ce sont également des instruments de puissance et de rayonnement. Ils sont aussi facteurs de croissance - il faut le rappeler, car ce fait est souvent sous-estimé - : ils sont source de création d'emplois tant en France qu'en Europe. Selon une étude publiée par la Commission européenne pas plus tard que la semaine dernière, plus de 3,3 % du PIB européen et 3 % des emplois proviennent des industries culturelles.

Alors, ne laissons pas notre marché ouvert à tous les vents, en particulier au vent venant des États-Unis.

Bien sûr, nous aimons le cinéma américain, mais nous n'avons pas envie d'être envahis par des productions audiovisuelles américaines bradées sur nos marchés pour la simple et bonne raison qu'elles sont déjà amorties sur le marché américain. Ce serait extrêmement dangereux pour l'ensemble de nos concitoyens et pour les citoyens européens, attachés au principe de la diversité culturelle.

M. François Marc. Très bien !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Car l'exception culturelle est au service de la diversité culturelle.

Le Président de la République l'a affirmé avec force : il ne laissera pas la Commission européenne brader ce principe essentiel de l'exception culturelle.

M. Alain Gournac. S'il l'a dit...

M. Didier Guillaume. Il a raison !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Dans le cadre des négociations qui s'ouvrent entre l'Union européenne et les États-Unis, il est hors de question que la France revienne sur ce qui fait le cœur de sa conception et de sa vision du monde et de la société,...

M. Alain Gournac. Parlez-nous de la famille !

M. Éric Doligé. Oui, et la famille ?...

Mme Aurélie Filippetti, ministre. ... ce principe de l'exception culturelle. Pour cela, nous avons le soutien des parlementaires, dont vous êtes. L'Assemblée nationale va adopter une proposition de résolution sur ce sujet qui nous permettra, à Nicole Bricq et à moi-même, d'avoir encore plus de force pour défendre nos positions vis-à-vis de nos collègues européens, ce que je ferai notamment lors du conseil des ministres européens de la culture, au mois de mai.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. -M. Gérard Roche applaudit également.)

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