Question de Mme BORDAS Patricia (Corrèze - SOC) publiée le 17/04/2014

Mme Patricia Bordas appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, sur l'annonce par le Premier ministre, le 26 février 2014, d'une prolongation des délais, allant de trois à neuf ans selon les acteurs, afin qu'ils puissent se mettre en conformité avec le titre IV de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Le report de l'échéance afférente à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, qui avait été fixée à 2015 par le texte législatif précité, était prévisible dans un contexte de crise économique et sociale aggravée. Pour preuve, en 2012, seuls 15 % des travaux en faveur de l'accessibilité avaient été réalisés. Ainsi, bien que le Gouvernement ait fait preuve de volontarisme et de dynamisme, de trop nombreux atermoiements et résistances se sont manifestés.

Pour autant, la question de l'accessibilité demeure fondamentale. Par-delà les personnes en situation de handicap qui peuvent bénéficier des aménagements effectués, tout un chacun peut en profiter, à l'instar des personnes âgées ou des jeunes parents accompagnés de leur poussette.

C'est pourquoi il se révèle essentiel de favoriser, autant que faire se peut, la mise en œuvre des travaux de mise en accessibilité. Par conséquent, elle lui demande quelles mesures incitatives et coercitives entend prendre le Gouvernement afin d'accélérer le processus initié par la loi de 2005.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales et de la santé, chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion publiée le 21/05/2014

Réponse apportée en séance publique le 20/05/2014

Mme Patricia Bordas. Madame la secrétaire d'État, le 26 février dernier, Jean-Marc Ayrault a annoncé que la date d'échéance pour les travaux de mise en accessibilité par les transports collectifs et les établissements recevant du public, les ERP, était reportée. Ces derniers se sont vu octroyer un délai supplémentaire allant de trois ans à neuf ans.

Cette décision était malheureusement devenue incontournable. Pour rappel, le titre IV de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fixait à 2015 l'obligation de mise en accessibilité du cadre bâti et des transports.

Or, en 2012, sept ans après la promulgation de la loi précitée, le constat était alarmant : seuls 15 % des ERP et des transports publics étaient accessibles.

Le retard pris dans la mise en conformité de la loi de 2005 s'explique par un ensemble de facteurs : un délai de parution des décrets plus long que prévu, un impact financier des travaux à mener mal évalué, une réglementation singulièrement complexe et, principalement, un portage politique insuffisant, voire inexistant.

Pour preuve, entre 2005 et 2012, en matière de handicap, seules deux conférences nationales ont eu lieu. Par conséquent, l'impulsion politique était bien trop faible pour mobiliser les acteurs et opérer ce qui constitue à mon avis une véritable révolution sociétale.

Afin de relancer la dynamique et de traduire en actes l'esprit de la loi de 2005, le gouvernement précédent a confié à notre collègue Claire-Lise Campion la mission d'effectuer un bilan de l'application de ladite loi. S'est ensuivie l'ouverture d'une concertation inédite sur l'accessibilité avec l'ensemble des acteurs concernés : associations, représentants des secteurs du transport, du logement, de la construction, du commerce, de l'hôtellerie, etc.

Au final, les conclusions de cette concertation ont fondé le projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des ERP, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Actuellement étudié dans le cadre de la discussion parlementaire, ce texte doit être le second souffle tant espéré par les divers protagonistes œuvrant dans le domaine du handicap.

En aparté, le recours aux ordonnances, qui ne peut être considéré comme un mode opportun d'élaboration de la loi, se révèle légitime en l'espèce : non seulement l'urgence de la situation commande d'agir promptement, mais le milieu associatif a fait de cette méthode sa préférence.

Engagée depuis longtemps sur les questions de handicap, je souhaite connaître le dispositif qui vise à consacrer, dans les faits, l'accessibilité universelle.

Madame la secrétaire d'État, dans un contexte général de réduction de la dépense publique, le Gouvernement entend-il aider les collectivités territoriales à mettre en œuvre cette réforme essentielle qui n'est autre qu'un devoir pour tous, éminemment civique et profondément humain ?

Dans cette même perspective, le Gouvernement envisage-t-il d'établir un mécanisme incitatif pour les collectivités territoriales qui prendraient rapidement des mesures en faveur de l'accessibilité, en jouant sur leur dotation générale de décentralisation par exemple ? Il ne faut pas oublier que ces dernières, en tant qu'entités publiques, ont un devoir d'exemplarité.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personneshandicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la sénatrice, je vous remercie de rappeler dans cet hémicycle l'importance de l'accessibilité universelle. C'est un objectif que nous partageons tous.

Le retard pris dans la mise en œuvre de la loi de 2005 est indéniable, et vous l'avez souligné, madame la sénatrice : tous les établissements recevant du public, toutes les voiries, tous les services publics de transport, ne seront pas aux normes au 1er janvier 2015.

Bien sûr, ce retard suscite de l'impatience. Bien sûr, cette impatience est légitime. Bien sûr, le Gouvernement la comprend. Oui, c'est vrai qu'il y a urgence, urgence pour toutes les personnes dont la vie quotidienne peut devenir un véritable parcours du combattant du fait d'aménagements insuffisants.

C'est pourquoi, dès le mois de juillet 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a missionné la sénatrice Claire-Lise Campion sur le sujet.

C'est pourquoi, courant 2013, ce même gouvernement a invité toutes les parties prenantes à se mettre autour d'une table et à trouver des solutions concrètes pour mettre en application la loi de 2005. Pour la première fois - car c'était réellement la première fois -, les associations de personnes handicapées, les élus locaux, les fédérations de professionnels, ont discuté ensemble et se sont mis d'accord sur des conclusions qui ont permis d'écrire le projet de loi d'habilitation que je suis venue présenter il y a peu ici même.

L'objectif de ce projet de loi n'est pas de se donner du temps. Il est bien de se donner les moyens d'appliquer la loi de 2005, en corrigeant ses faiblesses, c'est-à-dire en accompagnant les acteurs publics et privés et en réajustant les normes, qui peuvent, dans certains cas, être trop complexes et, dans d'autres, ne pas prendre en compte toutes les formes de handicap.

La loi de 2005 restera donc effective : tout établissement qui ne sera pas accessible en 2015 pourra être sanctionné pénalement, sauf s'il a déposé un agenda d'accessibilité programmée avant le 31 décembre 2014. Cet agenda est un document de programmation des travaux et de leur financement, programmation qui, dans 80 % des cas, s'étendra sur une période maximale de trois ans, avec des comptes à rendre dès la fin de la première année.

Sur les moyens financiers des collectivités territoriales, mais aussi des acteurs privés, madame la sénatrice, je vous donnerai deux réponses.

D'une part, je signerai prochainement avec Michel Sapin une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et BPI France pour proposer des prêts avantageux aux acteurs tant privés que publics.

D'autre part, la concertation évoquée à l'instant a permis d'aboutir à un réajustement des normes, précisément pour éviter que les travaux de mise en accessibilité ne soient rendus impossibles par le montant des dépenses : par exemple, dans certains cas, une rampe d'accès amovible sera suffisante. Dans cette réforme, comme vous le voyez, c'est l'esprit pratique qui domine.

Pour informer les professionnels et les élus, une campagne de communication nationale va démarrer, aidée par des jeunes en service civique qui seront chargés d'expliquer partout sur le territoire le mode d'emploi des agendas d'accessibilité.

Je veux terminer en affirmant que l'accessibilité doit être considérée non plus comme une charge supplémentaire, mais bien comme un investissement d'avenir. L'accessibilité concerne 12 millions de personnes en France. Être accessible pour un établissement, pour une ville, pour un lieu touristique, comme l'est la Corrèze - département dont vous êtes élue, madame la sénatrice -,c'est être attractif.

L'accessibilité, c'est aussi une question d'égalité de tous les citoyens. C'est donc une exigence républicaine. Soyez assurée, madame la sénatrice, que le Gouvernement y est extrêmement attaché.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Bordas.

Mme Patricia Bordas. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie des éléments de réponse que vous avez apportés.

Tout d'abord, j'aimerais ardemment souligner que l'accessibilité universelle ne s'adresse pas seulement aux personnes atteintes d'un handicap : elle s'adresse à tous les individus pouvant être confrontés, un jour ou l'autre, à des difficultés pour se déplacer. Je pense aussi aux jeunes parents accompagnés de leur enfant en poussette : on oublie souvent ce public quand on parle d'accessibilité. En outre, eu égard au vieillissement de la population, cette approche transversale se révèle un enjeu considérable.

Ensuite, en matière d'accessibilité, il convient d'insister sur la forte hétérogénéité entre territoires. À titre d'exemple, si certaines villes comme Grenoble ou Brive-la-Gaillarde ont effectué de substantiels investissements, à l'inverse, d'autres communes et régions n'ont ni suivi ni approfondi le processus entamé en 2005. Cette diversité illustre le rôle déterminant des élus locaux qui, par leur volontarisme politique, peuvent influer sur l'insertion des personnes en situation de handicap dans la vie de la cité.

Enfin, madame la secrétaire d'État, les parlementaires ainsi que l'exécutif doivent être extrêmement vigilants quant à l'application de la loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Les futures échéances doivent être impérativement respectées, sans concession aucune. Tout nouveau retard serait à mon avis une véritable régression, aussi bien pour les personnes en situation de handicap que pour la société dans son ensemble. L'espoir né de la loi de 2005, aujourd'hui déçu, doit revivre et prendre racine dans une société enfin et entièrement accessible. Sur ce sujet, vous avez toute ma confiance.

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