Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 22/05/2014

M. Jacques Mézard attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur la mise en œuvre de la réforme de la biologie médicale.

La loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale impose aux laboratoires des investissements financiers particulièrement lourds, évalués à 175 000 euros par an et par laboratoire, pour répondre aux nouvelles normes industrielles. De ce fait, les petits laboratoires de proximité n'ont pas d'autre choix que la fermeture ou le rachat par de grands groupes financiers et deviennent, alors, de simples centres de prélèvements.

Dès lors, il lui demande ce que le Gouvernement envisage de faire pour éviter la disparition de ces laboratoires de proximité, indispensables au maintien d'un tissu sanitaire local de qualité.

- page 1168


Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales et de la santé, chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion publiée le 04/06/2014

Réponse apportée en séance publique le 03/06/2014

M. Jacques Mézard. Ma question concerne l'avenir des laboratoires de biologie médicale.

En France, ces laboratoires occupent une place centrale dans le parcours de soins des patients. Contrairement à plusieurs de nos voisins européens, qui ont privilégié une approche plus« industrielle » de la biologie médicale, la France se distingue par la proximité, un suivi personnalisé avec un professionnel et la rapidité dans le rendu des résultats.

Malheureusement, ces dernières années, l'évolution de la biologie médicale a conduit les laboratoires à faire d'importants investissements, qui étaient nécessaires, et a subi l'assaut de grands groupes financiers connus- et reconnus, d'ailleurs ! -, qui ont vu là l'occasion d'accroître leurs dividendes.

La loi du 30 mai 2013, qui avait été préparée sous le précédent quinquennat, a été présentée comme devant mettre un terme à cette situation d'insécurité juridique, préjudiciable aux professionnels et aux patients. L'enjeu de ce texte était prétendument de garantir une biologie médicale de proximité et de qualité, et d'enrayer la financiarisation de ce secteur.

Aujourd'hui, quelle est la situation ?

Un an après l'adoption de cette loi, nous constatons tous, sur nos territoires, que non seulement ce texte n'a pas empêché la disparition des laboratoires de proximité, mais que, pis encore, le mouvement s'est accéléré !

Lors des débats en séance publique, le groupe du RDSE avait pourtant alerté le ministre qui siégeait alors au banc du Gouvernement - je constate ce matin que le Gouvernement est, si je puis dire, une et indivisible !(Sourires.) Nous avions d'ailleurs été l'un des seuls groupes, avec le groupe CRC, à voter unanimement contre ce texte. Nous étions alors conscients du lobbying efficace, et inquiétant, qui s'était alors manifesté avec le concours de courroies de transmission bien introduites.

La réforme a imposé des normes industrielles particulièrement lourdes et inadaptées aux petites structures indépendantes qui les mettent en grande difficulté financière. Les laboratoires de proximité sont contraints de vendre à des groupes financiers, qui licencient le personnel et suppriment les machines. Ils deviennent de simples centres de prélèvements ou des boîtes aux lettres, totalement déshumanisés, puisque plus aucune analyse n'est effectuée sur place. Les prélèvements sont envoyés vers des plateaux techniques toujours plus éloignés des territoires ruraux, ce qui, bien sûr, augmente les délais d'attente et supprime tout suivi personnalisé des patients, devenus de simples codes-barres. Il pourra d'ailleurs en être de même avec la réforme régionale !

Aussi, madame la secrétaire d'État, je vous remercie de bien vouloir me préciser si le Gouvernement entend prendre des mesures pour préserver les laboratoires de proximité, indispensables au maintien d'un tissu sanitaire local de qualité, et, si oui, lesquelles.

Par ailleurs, comment le Gouvernement entend-il lutter contre les groupes financiers qui ont malheureusement mis le grappin sur ce secteur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, je vous prie, tout d'abord, de bien vouloir excuser l'absence de Marisol Touraine. Je vais vous répondre de façon d'autant plus précise que j'étais rapporteur à l'Assemblée nationale du texte qui devait devenir la loi de 2013.

La réforme adoptée visait avant tout à assurer la qualité des examens réalisés. En effet, il avait été constaté dans un certain nombre de laboratoires, en France, des erreurs dans les résultats et les analyses, qui pouvaient être dramatiques pour certains patients. Or, avant toute chose, notre objectif est de permettre l'égalité d'accès aux soins pour tous sur l'ensemble du territoire, avec, pour ce faire, une offre de proximité de qualité.

Par ailleurs, cette loi tendait à lutter contre la financiarisation du secteur, qui est l'une de vos craintes. Nous souhaitons en effet éviter une situation identique à celle que connaissent nos partenaires européens. En France, la biologie médicale est une activité médicale, et non commerciale. Nous tenons beaucoup à cet aspect des choses, et Marisol Touraine y est particulièrement attachée.

Tel est l'objet de ce texte, qui interdit à un même laboratoire de biologie médicale d'avoir le monopole de l'ensemble de l'activité de biologie médicale sur un territoire de santé donné.

L'obligation d'accréditation, dont vous avez parlé, représente sans doute un investissement pour les professionnels de la biologie médicale, mais elle concourt à l'amélioration des pratiques dans ce secteur. Du reste, madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : la quasi-totalité des laboratoires de biologie médicale ont obtenu, au 31 octobre 2013, la preuve d'entrée dans la démarche d'accréditation sans laquelle ils n'auraient pas pu continuer de fonctionner.

La possibilité pour ces laboratoires de s'organiser en structures multi-sites est une nouveauté introduite par la loi du 30 mai 2013 ; elle vise à donner aux professionnels la liberté de s'organiser de manière optimale pour réaliser les examens de biologie médicale. Les laboratoires multi-sites fournissent une offre d'examens de biologie médicale plus diversifiée. En outre, ils permettent, sur un même territoire rural, le maintien de plusieurs sites à des endroits différents.

Certes, les examens les plus spécifiques ne sont réalisés que sur un seul site, ce qui nécessite des transports ; mais c'est le prix de la qualité. En effet, quand un laboratoire ne réalise un examen très spécifique qu'une fois par semaine, voire une fois par mois, la plupart du temps il le fait mal. De là vient que ces examens, pour être de qualité et faire l'objet de contrôles suffisants, doivent être confiés à des sites qui les réalisent de manière fréquente.

Ainsi, monsieur Mézard, l'organisation des différents sites sur le territoire permet de mieux répondre aux besoins des patients. Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques résultats chiffrés.

Le coût direct de l'accréditation, facturé par le comité français d'accréditation, le COFRAC, comprend les frais d'instruction des dossiers, les frais d'évaluation et la redevance annuelle du maintien du service public d'accréditation ; il représente, en moyenne, de 0,25 à 0,5 % du chiffre d'affaires annuel d'un laboratoire.

Des coûts supplémentaires, que l'on peut évaluer entre 1 et 1,5 % du chiffre d'affaires, sont supportés par certains laboratoires : ils correspondent à des recrutements, par exemple de qualiticiens, ou à des opérations de contrôle métrologique des équipements.

Il faut remarquer que ces dépenses liées à l'accréditation affectent probablement davantage les laboratoires qui n'ont pas réalisé de démarches particulières d'amélioration et de vérification de la qualité avant la réforme de la biologie médicale, alors qu'ils y ont pourtant été incités par le guide de bonne exécution des analyses de biologie médicale.

Au total, l'investissement dans la qualité au titre de la démarche d'accréditation est évalué entre 1,25 et 2 % du chiffre d'affaires d'un laboratoire. Ce coût reste modeste et amortissable du fait des économies résultant des restructurations dues aux regroupements.

À la faveur de ces regroupements, qui ne sont pas, monsieur le sénateur, synonymes de financiarisation, le nombre des laboratoires est passé de 4 000 avant la réforme à 1 300 : 1 000 laboratoires privés et 300 laboratoires publics. Concrètement, de nombreux laboratoires mono-sites ont fusionné entre eux, notamment dans les territoires ruraux ; ce faisant, du reste, ils ont concrétisé des collaborations qui existaient déjà, sous la forme de partage d'analyses ou d'une présence alternée des biologistes.

Je tiens à souligner que ces regroupements n'ont pas modifié, au bout du compte, le nombre total de sites en France ; ce nombre est demeuré constant depuis 2010, ce qui a permis de maintenir l'offre de proximité.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, la réforme de la biologie médicale a bien les mêmes objectifs que ceux que vous avez énoncés : une biologie de qualité et de proximité.

Au demeurant, si vous désirez faire part à Marisol Touraine de problèmes propres à votre département, le Cantal, la ministre sera bien entendu à votre écoute.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame Neuville, autant je puis souscrire au discours du médecin, autant je ne puis pas souscrire à la réponse de la secrétaire d'État, une réponse technocratique qui ne correspond pas à la réalité du terrain.

Dans les faits, à quoi assistons-nous depuis un an ? À la reprise pratiquement contrainte et forcée de nombreux petits laboratoires par des structures financières. Telle est la réalité ; elle ne concerne pas seulement mon département, mais tous les départements, y compris les plus peuplés- je pense, par exemple, aux Bouches-du-Rhône.

Ce phénomène, qui de surcroît s'accélère, résulte d'un choix qui, venant du gouvernement actuel, peut tout de même étonner, car il ne s'accorde guère avec la sensibilité de celui-ci.

Je ne citerai pas les noms des grands groupes qui profitent de la situation actuelle ; le fait est qu'ils ont été efficaces. Je connais des cas dans lesquels certains praticiens ont été obligés de céder leur laboratoire à un prix très bas, sans même pouvoir travailler les cinq ou six mois de plus pour prendre leur retraite, parce qu'ils n'avaient pas d'autre solution.

Aussi bien, madame la secrétaire d'État, il y a les chiffres que vous avez présentés, et que, du reste, je ne conteste pas, et il y a la réalité. Il faut voir aussi que les pourcentages sont fonction du chiffre d'affaires. L'accréditation était vraisemblablement nécessaire, mais on n'a pas prévu les instruments financiers pour aider les laboratoires de faible dimension à en supporter les coûts.

Malheureusement, c'est encore une fois - je le dis parce que je le pense profondément - le résultat d'une réforme d'inspiration financière réalisée de manière très technocratique.

- page 4412

Page mise à jour le