Question de M. LENOIR Jean-Claude (Orne - UMP) publiée le 30/04/2015

M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de M. le ministre de la défense sur le dispositif de reconnaissance et d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 a créé un régime de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes des essais nucléaires français. Ce cadre juridique permet à toute personne atteinte d'une pathologie radio-induite figurant parmi les vingt-et-une maladies listées par décret ayant séjourné ou résidé, au cours de périodes déterminées, dans l'une des zones géographiques énumérées par la loi précitée de constituer un dossier de demande d'indemnisation. Ce dispositif n'ayant pas atteint ses objectifs, plusieurs mesures ont été prises en vue de l'améliorer, notamment dans le cadre de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, qui a élevé le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) au rang d'autorité administrative indépendante. Pour autant, les associations de victimes continuent de déplorer le très faible nombre d'indemnisations accordées et la décision du ministère de la défense de faire appel de toute décision favorable rendue au bénéfice d'une victime. Elles regrettent également que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires ne se soit pas réunie depuis octobre 2013, ce qui aurait permis de tirer un premier bilan d'application de ces dispositions et, le cas échéant, d'envisager les nouvelles évolutions législatives de nature à rendre effectives la reconnaissance et l'indemnisation des victimes. Il lui demande quelles initiatives il envisage de prendre pour répondre aux légitimes interrogations des victimes des essais nucléaires qui en viennent à mettre en doute l'utilité de déposer des demandes d'indemnisation systématiquement vouées à se heurter à une fin de non-recevoir.

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Réponse du Ministère de la défense publiée le 11/06/2015

Le Gouvernement suit avec la plus grande attention le dossier relatif aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français et a, notamment, décidé l'indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française. La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a ainsi créé un régime de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes des essais nucléaires français, quel que soit leur statut (civils ou militaires, travailleurs sur les sites d'expérimentations et populations civiles, ressortissants français ou étrangers). Ce cadre juridique permet à toute personne atteinte d'une pathologie radio-induite figurant parmi les vingt-et-une maladies listées en annexe du décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ayant séjourné ou résidé, au cours de périodes déterminées, dans l'une des zones géographiques énumérées par la loi et le décret précités, de constituer un dossier de demande d'indemnisation. Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) qui, conformément à l'article 13 du décret susmentionné, définit la méthode qu'il retient pour formuler ses décisions en matière d'indemnisation. Cette méthode s'appuie sur celle recommandée par l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), ainsi que sur l'ensemble de la documentation scientifique disponible relative aux effets de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité examine les demandes d'indemnisation se rapportant aux seules maladies listées en annexe du décret du 15 septembre 2014. Le CIVEN instruit au cas par cas les dossiers de demande d'indemnisation. En effet, il ne saurait y avoir une automaticité de la réparation, contraire au droit de la responsabilité. Si les conditions de l'indemnisation sont réunies, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. S'agissant de la notion de « risque négligeable », celle-ci, instituée par le législateur, est liée au fait qu'il n'existe pas de moyen scientifique permettant d'apporter la preuve de l'absence ou de l'impossibilité d'un lien entre un séjour dans une zone où des essais ont été effectués et une maladie. Dans la mesure où les causes d'un cancer ne peuvent pas être déterminées de façon définitive et que le lien entre une contamination et une maladie radio-induite ne peut être établi de manière certaine, la science n'émet que des liens de probabilité (les cancers étant des maladies aux facteurs multiples, interagissant entre eux). En conséquence, c'est la preuve contraire qui est apportée en se fondant sur des critères objectifs préconisés par l'AIEA, au moyen des paramètres suivants : le sexe du requérant, son année de naissance, l'année du diagnostic de la maladie, la nature de celle-ci, le nombre d'années d'exposition, le type d'exposition (aiguë ou chronique), le type de rayonnements (électrons, neutrons ou alpha), ainsi que la dose de rayonnement reçue. Au moyen de ces données et à l'aide de modèles statistiques issus d'études épidémiologiques menées par de grandes institutions scientifiques telles l'UNSCEAR (United Nations Scientific Comittee on the Effects of Atomic Radiation), le CIVEN évalue le risque attribuable aux essais. La loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale a élevé le CIVEN au rang d'autorité administrative indépendante, dotée d'un rôle décisionnel en matière d'indemnisation, et inséré dans la loi du 5 janvier 2010 des dispositions relatives à la composition de cet organisme, aux modalités de désignation de ses membres et d'exercice de leur mandat, propres à garantir son indépendance. Par conséquent, il n'appartient plus au ministre de la défense de décider d'attribuer ou non des indemnisations aux demandeurs sur le fondement des recommandations du comité. Dorénavant, le CIVEN, qui n'a à recevoir d'instruction de la part d'aucune autorité dans l'exercice de ses attributions, statuera lui-même sur les demandes. À cet égard, il convient de préciser que depuis la publication du décret du 24 février 2015 portant nomination des nouveaux membres, le président du CIVEN est désormais seul compétent pour signer les décisions d'octroi ou de refus d'indemnisation. Avant que le CIVEN devienne une autorité administrative indépendante, la loi prévoyait que le comité adresse au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il était convenu de donner à chaque demande. Au vu de cette recommandation, le ministre notifiait alors à l'intéressé, soit une offre d'indemnisation, soit le rejet motivé de sa demande. Dans le cadre de ce dispositif, le ministre de la défense a systématiquement suivi les recommandations du CIVEN afin de garantir l'indépendance du comité d'indemnisation. Ainsi, la plupart des demandes étudiées ont fait l'objet d'une recommandation de rejet par le CIVEN, au motif que le risque que la maladie présentée soit attribuable aux essais nucléaires pouvait être considéré comme négligeable. Or la notion de « risque négligeable » a fait l'objet de diverses interprétations par les tribunaux administratifs. Pour autant, le nombre de jugements rejetant la requête de la personne s'estimant victime demeure à ce jour le plus élevé (77 jugements, contre 43 annulations de décisions et une condamnation). Dans ce contexte, afin de clarifier la jurisprudence quant à l'appréciation du « risque négligeable », le ministre de la défense a fait appel des jugements reconnaissant le droit à indemnisation des requérants, en attendant que le Conseil d'État, devant lequel cinq affaires ont d'ores et déjà été portées, puisse se prononcer en sa qualité de juridiction suprême de l'ordre administratif. De plus, il est précisé qu'à l'avenir le ministre de la défense ne sera pas partie prenante dans les éventuelles procédures contentieuses qui pourront être engagées consécutivement à des décisions prises par le président du CIVEN. Enfin, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, prévue par l'article 7 de la loi du 5 janvier 2010, dont les réunions se déroulent sous la présidence de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, continuera d'assurer un suivi de l'application de la loi et pourra faire des recommandations au Gouvernement s'agissant en particulier d'éventuelles modifications de la liste des maladies radio-induites.

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