Question de Mme ESTROSI SASSONE Dominique (Alpes-Maritimes - UMP) publiée le 14/05/2015

Mme Dominique Estrosi Sassone interroge Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur l'expérimentation des salles de consommation de drogue à moindre risque dites « salles de shoot ».

Certaines mesures du projet de loi de modernisation de notre système de santé (Sénat n° 406 2014-2015) auront un impact positif sur la santé des Français et notamment des jeunes : lutte contre le tabagisme, informations nutritionnelles sur les produits alimentaires, interdiction du bisphénol « A » dans les jouets ou encore sanctions contre l'incitation à l'ivresse.

Toutefois, la logique de ces propositions entre en contradiction avec l'expérimentation des « salles de shoot » où les toxicomanes pourront, en réalité, librement se droguer, sous couvert de réduire les risques liés aux injections (virus de l'immunodéficience humaine, hépatite « C »), contribuant ainsi à les maintenir dans leur dépendance plutôt que d'encourager leur guérison.

Ce dispositif entraîne des interrogations de la part d'élus et de riverains très inquiets, tant pour l'impact sanitaire, pour l'ordre public que pour l'image renvoyée aux plus jeunes, alors que des campagnes en ligne ou bien de terrain sont menées dans les établissements scolaires et secondaires, pour démontrer les dangers des drogues et de la dépendance.

Les lieux publics improvisés par les toxicomanes sont bien connus par les élus locaux et les forces de l'ordre qui constatent que la disposition n'aura pour effet que de dissimuler des nuisances publiques qui en créeront d'autres.

L'académie nationale de médecine s'est prononcée contre le dispositif en 2011 et en 2013. Elle a notamment expliqué que les résultats issus des pays voisins sont contrastés et que les expériences n'ont pas établi un impact sur la consommation de drogues des usagers.

Le conseil national de l'ordre des médecins (C.N.O.M) a également formulé un avis négatif, en 2013. Il recommande une évaluation afin d'en mesurer toutes les conséquences et, en premier lieu, la responsabilité juridique du personnel médical sur place, en cas de complication (overdose, ignorance des produits injectés), ainsi que les implications légales qui en résultent.

Alors que le C.N.O.M et l'académie nationale de médecine préconisent le renforcement d'une politique active de prévention pour appréhender les toxicomanes reconnus dans un état de maladie, elle lui demande pourquoi le Gouvernement a écarté ces avis médicaux importants pour légiférer.

Elle voudrait également savoir pourquoi le Gouvernement fait le choix de financer l'implantation et l'exploitation de ces salles, dans un contexte budgétaire contraint, plutôt que de consacrer d'avantage de moyens aux services hospitaliers d'addictologie, aux soins de sevrage, à une politique active de prévention ou encore aux structures déjà existantes.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie publiée le 08/07/2015

Réponse apportée en séance publique le 07/07/2015

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur l'expérimentation des salles de consommation de drogue à moindre risque, dites « salles de shoot ».

Madame la secrétaire d'État, certaines mesures du projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui sera débattu dans cet hémicycle en septembre prochain, auront des répercussions positives sur la santé des Français, et notamment des jeunes : je songe à la lutte contre le tabagisme, aux informations nutritionnelles sur les produits alimentaires, à l'interdiction du bisphénol A dans les jouets ou encore aux sanctions prévues contre l'incitation à l'ivresse.

Toutefois, la logique de ces propositions entre en contradiction avec l'expérimentation des « salles de shoot ». Sous couvert de réduire les risques liés aux injections - virus de l'immunodéficience humaine, VIH, ou de l'hépatite C, VHC -, les toxicomanes pourront, en réalité, s'y droguer librement. On contribuera ainsi à les maintenir dans leur dépendance plutôt que d'encourager leur guérison.

Dans de nombreuses communes, ce dispositif suscite des interrogations de la part des élus et des populations, très soucieux des conséquences pour la santé et l'ordre publics et de l'image renvoyée aux plus jeunes, alors que des campagnes d'information sont menées, en ligne comme sur le terrain, dans les établissements scolaires et notamment secondaires, pour démontrer les dangers des drogues et de la dépendance. Ces craintes sont fondées : à preuve, la « salle de shoot »parisienne a finalement déménagé, avant même d'être achevée, au sein de l'hôpital Lariboisière.

À Paris ou ailleurs, le problème de fond n'est pas résolu. Quel que soit le lieu d'implantation de la salle, les élus et les forces de l'ordre constatent qu'il s'agit simplement de déplacer des nuisances publiques.

En 2011 et en 2013, l'Académie nationale de médecine s'est prononcée contre ce dispositif. Elle a notamment exposé que les résultats issus des pays voisins sont contrastés et que les expériences n'ont pas permis d'établir que l'existence de ces salles avait un effet sur la consommation de drogues par les usagers.

Le Conseil national de l'ordre des médecins a également formulé un avis négatif en 2013. Il recommandait une évaluation afin de mesurer toutes les conséquences en jeu et, en premier lieu, la responsabilité juridique du personnel médical sur place en cas de complication - overdose, ignorance des produits injectés, etc. -, ainsi que les implications légales qui en résultent.

Madame la secrétaire d'État, le Conseil national de l'ordre des médecins et l'Académie nationale de médecine préconisent le renforcement d'une politique active de prévention pour appréhender les toxicomanes reconnus dans un état de maladie. Pourquoi le Gouvernement a-t-il écarté ces avis médicaux importants pour légiférer ?

Enfin, pourquoi, dans un contexte budgétaire contraint, le Gouvernement fait-il le choix de financer ces projets - le coût annuel de chaque salle est estimé à environ 800 000 euros - plutôt que de consacrer les moyens correspondants aux services hospitaliers d'addictologie, aux soins de sevrage, à une politique active de prévention ou encore aux structures déjà existantes ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie.Madame la sénatrice, la mise en lumière, dès le début des années 1980, chez les usagers de drogue par voie injectable d'une prévalence élevée du VIH, puis, dans les années 1990, du VHC, a été à l'origine de nombreuses actions de santé publique engagées par les associations et par les professionnels de santé.

Ces initiatives ont progressivement abouti à la mise en place de politiques publiques de réduction des risques, lesquelles ont fait la preuve de leur succès. Ainsi, l'incidence du VIH chez les usagers de drogues a été divisée par quatre, chutant de 40 % à 10 %.

Les salles de consommation à moindre risque sont des espaces encadrés par des professionnels - personnel médical et infirmier, travailleurs sociaux - pour lutter contre les risques infectieux liés à l'usage de drogues et aider à réduire progressivement la consommation de ces substances. Ces dispositifs existent aujourd'hui dans neuf pays étrangers, au premier rang desquels les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suisse et l'Espagne. Sur la base de tous ces éléments, l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Les salles de consommation à moindre risque s'inscrivent donc dans un dispositif global de prise en charge des addictions et de réduction des risques. Elles n'ont pas vocation à remplacer les structures d'accueil ou de soins. Elles sont exclusivement ciblées sur l'usage de drogues injectables et ne concernent donc en rien, par exemple, la consommation de cannabis.

Au regard des bilans positifs tirés des expériences étrangères, le Gouvernement juge opportun d'expérimenter ce dispositif en France, dans un nombre limité de villes volontaires, en lien étroit avec les élus municipaux.

Un travail interministériel, destiné à préparer l'ouverture de ces dispositifs dans les meilleures conditions, est piloté par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Y sont associés tous les ministères concernés, à savoir ceux de la justice, de la santé et de l'intérieur.

Enfin, une évaluation tenant compte aussi bien des effets sur la santé des usagers de drogues que des conséquences sur l'espace public permettra de tirer le bilan de cette expérimentation.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la secrétaire d'État, vous vous en doutez, votre réponse ne me satisfait pas pleinement...

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État. J'aurais préféré vous convaincre !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Vous faites référence aux salles de consommation de drogue à moindre risque ouvertes à l'étranger.

Or ces expériences l'ont prouvé : ces structures ne peuvent fonctionner que si elles bénéficient d'un véritable consensus parmi la population, les élus, les professionnels de santé, les autorités judiciaires et de police. Force est de constater que de telles situations sont loin d'être fréquentes. Dans bon nombre de nos communes, ce consensus n'existe pas, et les inquiétudes vont même croissant.

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État. Cette expérience ne concerne que les communes volontaires !

Mme Catherine Génisson. Laissons le temps à l'expérimentation !

Mme Dominique Estrosi Sassone. J'en suis persuadée, l'examen, par le Sénat, du projet de loi de modernisation de notre système de santé permettra d'observer de nouveau ces désaccords.

À mon sens, il y a mieux à faire : renforcer les actions de prévention au lieu de tenter l'expérimentation de ces salles qui, même dans les pays étrangers où elles existent, exigent d'être transformées, étant donné qu'elles ne sont pas pleinement satisfaisantes.

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