Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - Communiste républicain et citoyen) publiée le 30/07/2015

Mme Laurence Cohen, notamment alertée par des organisations de jeunesse, attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les contrôles au faciès.

Le 24 juin 2015, l'État a été condamné, pour la première fois en France, par la cour d'appel de Paris. La plainte a été déposée par plusieurs associations pour dénoncer les contrôles d'identité abusifs. D'après une étude menée en 2009, les contrôles seraient six à huit fois plus nombreux, selon la couleur de la peau, l'âge ou bien la tenue vestimentaire.

Ces chiffres témoignent de dérives qui entraînent un sentiment de discrimination, voire d'humiliation. Ces pratiques contribuent, par ailleurs, à tendre les rapports entre les agents policiers et les citoyens.

Elle l'interroge donc sur la volonté du Gouvernement de lutter contre les contrôles au faciès. Elle lui demande s'il entend modifier l'article 78-2 du code de procédure pénale pour permettre de requérir des raisons objectives, plausibles et individualisées pour chaque contrôle et s'il entend développer une politique de récépissé lors de contrôles d'identité, comme cela se pratique dans plusieurs pays européens.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale publiée le 14/10/2015

Réponse apportée en séance publique le 13/10/2015

Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d'État, de jeunes citoyens, aux côtés de collectifs, d'associations ou d'organisations de jeunesse, mènent une campagne active pour dénoncer les contrôles d'identité abusifs, plus communément appelés « contrôles au faciès ».

Dans le département du Val-de-Marne, nous avons tenu vendredi dernier une conférence de presse à ce sujet, sur l'initiative de la jeunesse communiste, qui a lancé au début du mois de juin une pétition dont je suis signataire avec Christian Favier, sénateur et président du conseil départemental.

Il faut dire que les faits sont si graves que, le 24 juin 2015, l'État a été condamné, pour la première fois en France, par la cour d'appel de Paris. Par ailleurs, d'après une étude menée en 2009, le nombre de contrôles varierait en France d'un à six ou huit selon la couleur de la peau, l'âge ou la tenue vestimentaire.

Ces chiffres témoignent de dérives très inquiétantes, qui entraînent un sentiment de discrimination, voire d'humiliation. En effet, comment accepter qu'un jeune se fasse contrôler plusieurs fois par jour, sans aucune justification, dans un pays démocratique comme la France ? Ces pratiques contribuent par ailleurs à tendre les rapports entre les policiers et les citoyens et à fissurer le sentiment d'égalité face à la République et le sentiment d'appartenance.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, le candidat Hollande s'était engagé à agir pour mettre fin à ces dérives à travers sa proposition n° 30. La mise en place d'un formulaire de contrôle était notamment évoquée ; je précise que ce dispositif pourrait voir le jour rapidement, puisqu'aucune loi n'est nécessaire et qu'il ne dépend que de la volonté politique du Gouvernement. Je souhaite donc en premier lieu savoir à quel moment vous comptez mettre en place ce récépissé.

Ma question porte en second lieu sur l'article 78-2 du code de procédure pénale, qu'il conviendrait de modifier pour permettre de requérir les raisons objectives et individualisées de chaque contrôle. Ce changement sémantique induirait un changement salutaire de pratique. Ma seconde question est donc simple : le Gouvernement est-il favorable à cette évolution législative ?

Alors qu'une partie de la jeunesse est en souffrance, du point de vue de sa reconnaissance et de sa place dans la société, et qu'elle est inquiète pour son avenir, la volonté du Gouvernement de s'attaquer à ces contrôles au faciès constituerait un pas décisif et une mesure de justice sociale.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. J'aurais aimé indiquer à M. Maurey, s'il était encore là, que je suis bien sûr allé en Normandie. J'étais la semaine dernière ou il y a quinze jours dans le Calvados et en Seine-Maritime - à Caen et à Rouen -, et je me suis rendu il y a quelques mois dans l'Orne.

M. le président. Vous êtes également bienvenu à Marseille quand vous le voulez, monsieur le secrétaire d'État ! (Sourires.)

M. André Vallini, secrétaire d'État. Merci, monsieur le président !

Mme Laurence Cohen. Dans le Val-de-Marne aussi, pour discuter des contrôles de police !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, votre question est importante et je vais y répondre précisément.

Les contrôles d'identité prévus par l'alinéa 2 de l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui prévoit les cas d'espèce jugés par la cour d'appel de Paris le 24 juin 2015, sont soumis à une autorisation écrite préalable du procureur de la République. Ils ne peuvent être autorisés que pour une durée et en des lieux précis, afin de prévenir la commission de certaines infractions.

Les contrôles discriminatoires en sont évidemment exclus ; par ailleurs, les policiers et les gendarmes qui pratiquent les contrôles d'identité sont tenus à de strictes règles déontologiques, qui imposent un respect absolu des personnes.

En effet, si les contrôles d'identité sont essentiels pour lutter contre la délinquance, ils ne sauraient être abusivement répétés à l'égard des mêmes personnes ni multipliés sans discernement dans tel ou tel quartier. La décision de la cour d'appel que vous mentionnez ne remet pas en cause les contrôles d'identité, mais soulève la question de leur traçabilité, pour permettre au juge de contrôler leur mise en œuvre.

Le Président de la République s'était en effet engagé, pendant sa campagne électorale de 2012, à lutter « contre le "délit de faciès" dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens ». Depuis lors, le Gouvernement a mené un travail approfondi, afin de mettre en œuvre cet engagement.

Il apparaît ainsi que la délivrance d'un récépissé ne constitue pas la meilleure solution et nécessiterait la mise en place d'un système très lourd. Elle est d'ailleurs peu développée à l'étranger. D'autres choix ont donc été faits, afin de répondre aux questions soulevées par la cour d'appel de Paris.

Tout d'abord, un nouveau code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie nationale, a été publié au début de l'année 2014. Ensuite, un numéro d'identification est désormais apposé sur l'uniforme des policiers et des gendarmes. Par ailleurs, la formation de ces derniers a fait l'objet d'une refonte, et les mises en situation, notamment de contrôle d'identité, ont été largement développées. Enfin, nos concitoyens ont la possibilité de saisir directement l'Inspection générale de la police nationale, notamment sur une plateforme internet permettant le signalement de comportements non conformes à la déontologie.

La solution de la « caméra-piéton », portée par les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie, paraît constituer une solution complémentaire. Au terme d'une expérimentation, nous travaillons à une réforme réglementaire permettant sa généralisation.

Madame la sénatrice, si l'ordre républicain doit prévaloir partout, il doit être garanti dans le strict respect des libertés publiques et de la déontologie.

Des forces de l'ordre exemplaires sont de surcroît mieux respectées et donc plus efficaces. Au-delà des enjeux d'éthique et de déontologie, les relations entre, d'une part, la police et la gendarmerie, et, d'autre part, la population sont au cœur des réformes menées par le ministère de l'intérieur pour renforcer le lien de confiance et le respect mutuel entre la population et les forces de l'ordre.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. En premier lieu, je regrette que le ministre de l'intérieur n'ait pu être présent pour cette question de première importance.

En second lieu, les réponses qui m'ont été faites ne sont pas convaincantes. En effet, monsieur le secrétaire d'État, vous déviez de ma question en évoquant une mise en accusation les forces de l'ordre et en affirmant que les choses vont s'arranger.

Or les faits que j'ai très brièvement évoqués montrent le contraire. Il y a réellement un problème ! Il n'est pas normal que, aujourd'hui, dans notre pays, des jeunes soient contrôlés plusieurs fois par mois, par semaine ou par jour, uniquement en raison de la couleur de leur peau ou de leur tenue vestimentaire.

Il ne s'agit pas de mettre en opposition la population et les forces de l'ordre ; ce n'était pas le sens de ma question. D'ailleurs, les associations de jeunesse et celles qui s'intéressent à ce problème essaient justement de travailler avec les forces de l'ordre - policiers ou gendarmes - pour faire en sorte que le climat entre ces dernières et la population soit différent et contribue au « mieux-vivre ensemble ».

Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d'État, qu'il est très important de réfléchir à ces questions, dans un climat délétère ; je pense notamment aux propos de Mme Morano, qui ont fait un éclat et qui ne contribuent pas à apaiser la situation. Il faut prendre les choses au sérieux. Or les mesures que vous avez mentionnées ne règleront absolument rien. Les « caméras-piéton » peuvent effectivement éviter des actes de violence lors de contrôles, mais non les contrôles au faciès ou abusifs.

Monsieur le secrétaire d'État, les réponses que vous m'avez données concernant le récépissé, que vous avez balayé d'un revers de main, et la modification de la loi ne sont pas à la hauteur des enjeux en présence sur la place publique. Nous allons donc continuer de mener cette bataille.

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