Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 04/02/2016

M. Jean Louis Masson appelle l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur l'arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2015, 3ème chambre civile, numéro de pourvoi 14-22095. Cet arrêt privilégie l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme par rapport aux règles de l'urbanisme. Il lui demande si cet arrêt ne risque pas de fragiliser le respect des règles d'urbanisme.

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Transmise au Ministère du logement et de l'habitat durable


Réponse du Ministère du logement et de l'habitat durable publiée le 11/05/2017

L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'Homme (CESDH) garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et prévoit qu'il ne peut y avoir une ingérence dans l'exercice de ce droit que si elle est prévue par la loi et qu'elle est nécessaire, dans une société démocratique, à un certain nombre d'objectifs. La France ayant ratifié cette convention, il appartient aux juridictions nationales de l'appliquer et de la faire respecter. Par l'arrêt n°  14-22095 du 17 décembre 2015, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a annulé l'arrêt du 11 septembre 2013 de la Cour d'appel de Versailles qui avait ordonné, à la demande de la commune d'Herblay, sur le fondement de l'action pour trouble manifestement illicite prévue par l'article 809 du code de procédure civile, l'enlèvement de plusieurs caravanes et de cabanons de jardin appartenant à des gens du voyage, installés en zone naturelle en méconnaissance des dispositions du plan local d'urbanisme de la commune. La Cour d'appel avait, en effet, considéré, confirmant ainsi l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Pontoise, que l'article 8 de la CESDH comme le droit au logement ne pouvaient faire obstacle au nécessaire respect des règles d'urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite. Mais la Cour de cassation a jugé « qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, la cour d'appel (…) n'a [vait] pas donné de base légale à sa décision ». La Cour de cassation a ainsi tenu compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) et, en particulier, d'un arrêt, rendu à l'occasion d'une autre instance concernant également la commune d'Herblay et des gens du voyage, par lequel elle avait notamment considéré que les requérants n'avaient pas bénéficié, dans le cadre de la procédure d'expulsion ordonnée, pour le même motif, par les juridictions internes, d'un examen de la proportionnalité de l'ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile conforme aux exigences de l'article 8 de la Convention (CEDH 17 octobre 2013, Winterstein et autres c/France, n°  27013/07, points 155, 156 et 158). Cette procédure a d'ailleurs donné lieu à un arrêt définitif n°  27013/07 du 28 avril 2016 par lequel la Cour européenne des droits de l'Homme s'est félicitée de l'évolution de la jurisprudence interne et en particulier de l'arrêt de la cour de cassation du 17 décembre 2015. Il convient, également, de rappeler que le Conseil d'état avait déjà jugé qu'un refus de raccordement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée « a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations » de l'article 8 de la CESDH et que « si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d'urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l'environnement, il appartient, dans chaque cas, à l'administration de s'assurer et au juge de vérifier que l'ingérence qui découle d'un refus de raccordement est, compte tenu de l'ensemble des données de l'espèce, proportionnée au but légitime poursuivi » CE, 15 décembre 2010, n°  323250. S'inscrivant dans cette lignée jurisprudentielle, la cour de cassation s'est bornée, par son arrêt du 17 décembre 2015, à rappeler à la cour d'appel de Versailles la nécessité d'opérer un contrôle de proportionnalité, au cas particulier, entre les atteintes au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile et le but poursuivi par les mesures en cause, sans se prononcer, d'une manière générale, sur la légitimité ou l'opportunité des règles de droit de l'urbanisme fondant lesdites mesures.

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