Question de Mme BENBASSA Esther (Val-de-Marne - Écologiste) publiée le 16/12/2016

Question posée en séance publique le 15/12/2016

Mme Esther Benbassa. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

Monsieur le ministre, Sergio Coronado, Cécile Duflot, députés, et moi-même sommes partis trois jours en Turquie rencontrer des associations LGBT – lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres –, des avocats, des élus AKP, CHP et HDP, des journalistes, des universitaires ainsi que la Fédération turque des droits de l'homme.

Le putsch raté de juillet 2016 n'a eu qu'un effet : donner à Erdoğan un bon prétexte pour briser tous les ressorts de la démocratie turque.

Son ennemi était jusqu'à récemment le HDP, ce parti pro-kurde l'empêchant d'avoir une majorité suffisante au Parlement pour réformer la Constitution et asseoir son régime présidentiel autoritaire sans contre-pouvoir parlementaire.

Désormais, tous ses opposants sont devenus des « terroristes », arrêtés soit en raison de leur prétendu soutien aux Kurdes, soit parce qu'ils seraient des gülenistes, adeptes de cet Opus Dei islamiste accusé d'avoir fomenté le putsch.

À ce jour, 70 % des médias se sont transformés en organes de presse gouvernementaux, 146 journalistes sont détenus sans motif, la plupart sans chef d'accusation précis. Quatre-vingts à quatre-vingt-cinq médias kurdes ont été voués au silence.

Plus de 100 000 fonctionnaires sont suspendus ou déchus de leurs droits. Eux et leurs familles sont condamnés à la mort civile et au pire dénuement.

Des milliers de sociétés voient leurs capitaux saisis ; 370 associations et ONG sont dissoutes ; 36 000 personnes sont détenues pour relations avec les gülenistes.

La décision de geler le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne a fait chuter la livre turque de 30 % en quelques jours. Contrairement à ce que proclame M. Erdoğan, son pays a besoin de l'Europe. Il en a besoin économiquement déjà. Des sanctions économiques pourraient freiner cette fuite en avant.

Monsieur le ministre, l'Europe et la France avec elle, qui invoquent si souvent les valeurs dont elles se réclament, entendent-elles poursuivre leur politique de tolérance intéressée face à une dictature qui ne dit pas son nom ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe CRC.)

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Réponse du Ministère des affaires étrangères et du développement international publiée le 16/12/2016

Réponse apportée en séance publique le 15/12/2016

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Ce qui se passe actuellement en Turquie nous préoccupe, tout comme vous, et préoccupe l'ensemble des pays européens.

Depuis le mois de juillet dernier et le début de la répression et des arrestations qui ont suivi la tentative de putsch en Turquie, il n'y a pas une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne qui ne s'est tenue sans que la question de la relation avec la Turquie figure à l'ordre du jour de nos discussions.

Je me suis moi-même rendu en Turquie. J'ai rencontré en octobre l'ensemble des autorités du pays, dont le président Erdoğan. (Mme Esther Benbassa s'exclame.) J'ai rencontré, comme vous, des représentants de la société civile, y compris des journalistes poursuivis. J'ai aussi eu l'occasion très récemment de faire un point complet avec le secrétaire général du Conseil de l'Europe, qui revenait d'une visite en Turquie et qui m'a exprimé sa grande inquiétude.

En ce qui concerne ce que nous faisons, vous avez fait une allusion que je trouve inutile sur des complaisances liées à des intérêts.

Je crois que vous avez tort de voir les choses ainsi. En effet, des agents de notre ambassade à Ankara et de notre consulat général à Istanbul ont notamment assisté au procès de journalistes, par exemple à celui de Can Dündar et d'Erol Önderoğlu, et se sont rendus dans les locaux du journal Cumhuriyet (Mme Esther Benbassa opine.) pour témoigner du soutien de la France.

Sur les principes et les valeurs, notre position est donc sans ambiguïté.

Comme j'ai pu le constater, les représentants du Conseil de l'Europe, l'ensemble des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne partagent cette préoccupation, mais aussi la conviction que nous devons, malgré tout, poursuivre le dialogue avec la Turquie et tenir à ses représentants un langage responsable et clair, tout en tenant compte de la situation à l'intérieur du pays. Il est évident que nous ne devons pas renoncer à nos valeurs ni à nos principes, mais nous devons également reconnaître, avec lucidité, que la Turquie est aussi – j'ai exprimé ma solidarité avec le peuple turc voilà quelques jours – la victime du terrorisme, que ce soit de Daech ou du PKK, que la France, vous le savez, considère comme un mouvement terroriste.

Il importe que notre message soit sans ambiguïté et qu'il soit reçu comme tel en Turquie.

Il est légitime qu'un pays attaqué se défende, mais il doit le faire en adoptant des mesures qui soient proportionnées, respectueuses de l'État de droit. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et c'est pourquoi nous continuons d'avoir, avec la Turquie, un dialogue franc,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … qui rappelle à ce pays ses engagements, notamment parce qu'il est membre du Conseil de l'Europe.

Concernant l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il me semble que, en l'état de la situation, il n'est pas possible d'ouvrir un nouveau chapitre de négociations.

Voilà ce que je pouvais vous dire à ce stade, madame la sénatrice. Nous continuons à dialoguer avec la Turquie, en gardant la vigilance et l'exigence nécessaires. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

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