Question de Mme DURANTON Nicole (Eure - Les Républicains) publiée le 30/01/2020

Mme Nicole Duranton attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur le sujet des signes religieux distinctifs pour les bénévoles intervenant ponctuellement en classe.

Nos enfants, dont les esprits sont moins formés et affirmés que ceux des adultes, sont les premiers êtres que le principe de laïcité doit protéger. Pourtant, dans l'ensemble des situations qu'offre le quotidien, ses contours sont souvent encore flous.

La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics n'appliquait l'interdiction de signes religieux distinctifs qu'aux seuls élèves. En 2013, le Conseil d'État ménageait une exception à la non-application de la circulaire dite « Chatel » lorsque des « exigences liées au bon fonctionnement du service public » le rendaient nécessaire, entérinant l'autorisation effective du port de signes religieux distinctifs par les accompagnants scolaires.

En matière de laïcité, les limites du lieu « établissement », du temps « scolaire », et de la fonction « enseignement » ne sont pas toujours claires et spontanément évidentes. La proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation, adoptée au Sénat le 29 octobre 2019, vise à étendre le domaine du lieu. Le domaine du temps est relativement facile à cerner, sauf lorsqu'il s'agit du temps de permanence, d'un forum des métiers, ou encore de moments plus détendus… Le domaine de l'enseignement, visant à identifier ce qui relève d'une transmission de savoir, est lui plus difficile à définir. Le Conseil d'État considère que « les principes de neutralité et de laïcité s'appliquent à l'ensemble des services publics et interdisent à tout agent, qu'il assure ou non des fonctions éducatives ou ayant un caractère pédagogique, d'exprimer ses croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions », et en application de la note juridique du ministère de l'éducation nationale, en date du 22 janvier 2015, les élèves enseignants n'ont pas le droit de porter de signes religieux. Le 19 mars 2013, un arrêt de la Cour de cassation précise que ce qui compte n'est pas le statut de droit privé ou public de la personne, mais bien la destination de l'action. Cependant, on ne peut toujours pas en déduire ce qu'il en est des personnes assurant bénévolement la transmission de connaissances et savoirs sans être pour autant agent de la fonction publique…

Elle a été saisie d'un de ces cas particuliers par un élu du département de l'Eure, confronté à une situation où une intervenante est venue présenter son métier devant une classe de maternelle, en portant un signe religieux distinctif.

De nombreux cas d'espèce rendent l'application de la législation difficile, plaçant les chefs d'établissement dans une posture très délicate. Cette posture l'est d'autant plus que, si l'appréciation finale, au cas par cas, leur incombe, tant les plaignants que l'intervenant accusé peuvent ensuite se retourner contre lui quel qu'en soit le résultat. Lors de l'intervention d'une personne extérieure à l'établissement (par exemple, un parent d'élève) au sein de ce dernier, les chefs d'établissement se demandent légitimement quels sont les cas précis où celle-ci fait l'objet d'une interdiction du port de signes religieux distinctifs.

La jurisprudence et le droit souple ne suffisant pas à sécuriser la décision des chefs d'établissements scolaires, elle lui demande comment il est possible de mieux les informer du périmètre précis de l'interdiction de port de signes religieux, tant lors des sorties scolaires qu'au sein même des écoles.

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Réponse du Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse publiée le 04/03/2020

Réponse apportée en séance publique le 03/03/2020

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, auteur de la question n° 1108, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Nicole Duranton. Nos enfants, dont les esprits sont moins formés et affirmés que ceux des adultes, sont les premiers que le principe de laïcité doit protéger. Pourtant, ses contours sont souvent encore flous.

La loi de 2004 n'appliquait l'interdiction de signes religieux distinctifs qu'aux seuls élèves. En 2013, le Conseil d'État ménageait une exception à la non-application de la circulaire dite « Chatel », entérinant l'autorisation effective du port de signes religieux distinctifs par les accompagnants scolaires.

En matière de laïcité, les limites du lieu « établissement », du temps « scolaire », et de la fonction « enseignement » ne sont pas toujours claires.

La proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation, adoptée au Sénat le 29 octobre 2019, vise à étendre le domaine du lieu.

Le domaine du temps est assez bien défini, mais que penser lorsqu'il s'agit du temps de permanence, d'un forum des métiers ou encore de moments plus détendus ?

Le domaine de l'enseignement est plus difficile à définir. L'interdiction de port de signes religieux pour les enseignants a été étendue aux élèves enseignants en janvier 2015.

Dans un arrêt du 19 mars 2013, la Cour de cassation a précisé que ce n'est pas le statut de droit privé ou public de la personne, mais bien la destination de l'action qui compte.

J'ai été saisie de l'un de ces cas particuliers par un élu de mon département de l'Eure, où une intervenante venue présenter son métier devant une classe de maternelle portait un signe religieux. Bien entendu, les parents n'ont pas apprécié.

L'élu s'est alors rapproché de l'inspection académique, qui lui a répondu que cette question relevait de l'appréciation du chef d'établissement. De fait, les chefs d'établissement se retrouvent souvent en porte-à-faux dans ce genre de situation délicate.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour mieux définir le périmètre de décision des chefs d'établissement confrontés à ces situations particulièrement difficiles ?

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour deux minutes trente au maximum.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. J'y serai attentif, monsieur le président.

Madame la sénatrice Nicole Duranton, pour faire respecter la laïcité à l'école, l'éducation nationale doit apporter une réponse unifiée à toute contestation du principe de laïcité, que ce soit dans les enseignements ou dans les moments de vie scolaire, en prenant en compte le statut des différents acteurs.

Dans cette perspective, nous avons créé un outil nouveau et très utile, qui est un guide pour les chefs d'établissements : il s'agit du vade-mecum « la laïcité à l'école ». Il est composé de vingt-deux fiches classées en quatre rubriques selon la qualité des personnes concernées par l'application du principe de laïcité : les élèves, les personnels, les parents d'élèves et les intervenants extérieurs.

L'approche de chaque situation comporte une analyse juridique et des conseils pédagogiques et éducatifs concrets pour savoir comment réagir et prévenir les atteintes au principe de laïcité.

Deux fiches clarifient la question du devoir de neutralité des intervenants extérieurs, qu'ils soient parents d'élèves ou membres d'une association. Ainsi, dans la fiche 22, « port des signes religieux par les parents d'élèves », il est rappelé que les parents d'élèves ont certes un devoir d'exemplarité, mais restent des usagers. Cependant, par un arrêt du 23 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a fait la distinction entre les parents accompagnateurs, non soumis au principe de neutralité, et les parents intervenant dans les classes – ce qui correspond au cas que vous avez évoqu頖, qui, eux, doivent arborer une tenue neutre.

La fiche 23 traite du cas du port de signes religieux par les intervenants extérieurs non membres de la communauté scolaire. Elle précise que, n'étant pas membres de la communauté éducative, les représentants d'associations ne sont pas contraints au principe de neutralité religieuse.

Ce vade-mecum permet une meilleure compréhension du cadre juridique. Il met également en avant l'importance du dialogue entre les différents acteurs en anticipant les difficultés à venir et en mettant en œuvre avec force et constance une pédagogie de la laïcité.

Ce vade-mecum s'inscrit aussi dans un dispositif plus large au service du respect de la laïcité, que ce soit en académie ou au niveau national.

Au niveau académique, des équipes « valeurs de la République » sont constituées autour du référent placé auprès du recteur et répondent aux situations et aux interrogations comme aux demandes ponctuelles d'accompagnement. Ainsi, dans le cas que vous avez évoqué, il est possible de solliciter cette cellule pour obtenir la réponse adéquate. Personne ne doit être laissé dans l'expectative sur ces questions.

Au niveau national, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a créé une équipe nationale « laïcité et faits religieux » pilotée par la secrétaire générale. Ces équipes sont appuyées par le Conseil des sages de la laïcité que préside Dominique Schnapper et qui a pour objet d'aider et de préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité et de faits religieux, notamment sur des cas inédits.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour la réplique.

Mme Nicole Duranton. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Ce vade-mecum à l'attention des chefs d'établissement me paraît très important, car il va permettre d'éviter les crispations de parents d'élèves.

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