Question de Mme BENBASSA Esther (Paris - CRCE-R) publiée le 16/04/2020

Mme Esther Benbassa attire l'attention de M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, sur le développement de l'application smartphone « StopCovid » et de son système de « tracking ».

Dans un entretien au Monde, en date du 8 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé et le secrétaire d'État chargé du numérique ont déclaré réfléchir au développement d'une application pour smartphone, destinée à « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes sociales de transmission ».

Le dispositif qui semble être choisi par l'exécutif serait une application dont le téléchargement devrait être volontaire et fonctionnerait grâce au Bluetooth, sur un modèle mis en œuvre à Singapour.

L'avantage de cette application pour les libertés individuelles est qu'elle n'utilise pas la géolocalisation, qu'elle ne centralise pas les informations sur une base de données et que celles-ci sont supprimées tous les vingt et un jours. Elle ne peut pas non plus être installée sans le consentement de son utilisateur.

Toutefois, cette application présente de nombreux risques.

Tout d'abord celle de la banalisation d'une cyber-techno-police, qui sera en mesure d'analyser l'activité humaine. Cette dimension pose un véritable problème éthique et ouvre la voie à des systèmes de surveillance plus poussés, comprenant notamment la géolocalisation ou la collecte de données personnelles, susceptibles de mettre à mal les libertés individuelles.

Le deuxième problème soulevé est celui de son efficacité. Pour parvenir à détecter à grande échelle les malades en mesure de propager le Covid-19, il faudrait que l'application soit utilisée par une majeure partie des Français. L'exemple de Singapour n'est pas particulièrement concluant : leur logiciel a été téléchargé un million de fois pour une population totale de 5,7 millions de personnes, lorsqu'on sait que les Singapouriens sont beaucoup plus « connectés » que les Français. L'application n'a par ailleurs pas empêché un confinement de la cité-État ultérieur à la sortie du logiciel.

Le risque en France serait que le dispositif ne trouve que trop peu d'usagers pour être efficace à l'échelle nationale. Sans téléchargement massif de l'application, celle-ci ne peut avoir de réelle efficience. Notre territoire national étant touché par une fracture numérique, des citoyens se trouveraient d'office exclus de la détection.

De surcroît, il ne peut être ignoré le danger que ce logiciel ouvre la voie au ciblage des populations contaminées, créant mécaniquement leur exclusion de la société.

Enfin, la dimension volontaire du projet devrait également être questionnée. En temps de crise, si le Gouvernement incite moralement à avoir recours à l'application, le libre-arbitre du citoyen pourrait se trouver biaisé en raison de la pression sociale. En l'occurrence, le volontariat n'en serait plus un, puisqu'il serait contraint.

Ainsi, elle lui demande quels seront les garde-fous mis en place, afin que l'application puisse être conciliable tant avec le respect de la vie privée, qu'avec le consentement libre et éclairé de la population française.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique publiée le 21/05/2020

L'application StopCovid s'inscrit dans la stratégie globale de gestion de la crise sanitaire et de suivi épidémiologique. Elle constitue une brique permettant de fournir aux acteurs de la santé publique un outil complémentaire aux enquêtes sanitaires pour la phase de déconfinement. Elle soulève des questionnements légitimes et c'est pour cette raison que de nombreux engagements ont été pris. L'application est développée dans le stricte respect du cadre de protection des données et de la vie privée au niveau national et européen, tel que défini notamment par la loi française et le RGPD ainsi que la boîte à outils récemment définie par la commission européenne sur les applications de suivi de proximité. Plus précisément, l'application n'exige aucune donnée permettant d'identifier l'utilisateur (nom, adresse, numéro de téléphone mobile). La structure du système est imaginée telle que, ni l'État, ni personne, ne peut avoir accès à la liste des personnes contaminées et à la liste des interactions sociales. En cas de notification, bien qu'il sera impossible de connaître la personne à l'origine, des mesures supplémentaires seront mises en place afin d'empêcher la notification d'une personne dont les interactions sociales seraient trop peu nombreuses pour que celles-ci ne puissent aisément déduire d'où vient l'information. La CNIL a rendu un premier avis sur Stopcovid le 24 avril et sera saisie sur le dispositif final comme elle le demande. StopCovid s'inscrit dans un contexte précis et n a aucune vocation à être utilisée au-delà de la période épidémique. Cette finalité stricte et cette limite sera inscrite dans le décret créant les traitements nécessaires à l'application StopCovid. Dans un souci de transparence, son code sera diffusé en open source, permettant à chacun de vérifier la bonne mise en oeuvre des engagements pris, comme l'effacement des données ou les modalités de fonctionnement réelles de l'application. Quant à son efficacité, les études et notamment celles de l'Université d'Oxford qui font référence montrent que de telles applications trouvent leur utilité dès les premiers pourcents de diffusions, notamment au sein des villes. Ce sont ces populations urbaines et actives qui sont au cœur de la circulation du virus et ce sont aussi celles qui présentent le plus haut taux de possession d un smartphone. Elles complètent les enquêtes sanitaires à la fois en permettant de gagner un temps précieux dans l'information des personnes mais aussi en palliant certaines limites des enquêtes, dans les centres urbains notamment, en ce qu'elles se heurtent à l'impossibilité de reconstituer les chaînes de transmission dans les lieux comme les transports aux communs, les lieux publics ou les commerces.

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