Question de M. JOLY Patrice (Nièvre - SOCR) publiée le 16/04/2020

M. Patrice Joly attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la possibilité de procéder par un vote électronique pour le second tour des élections municipales 2020.

En raison du caractère pathogène et contagieux du virus SARS-CoV-2 et de l'urgence de santé publique que l'évolution de sa propagation entraîne, le Gouvernement a été conduit à limiter fortement les déplacements des personnes hors de leurs domiciles.

Ainsi, il a été décidé de reporter le second tour des élections municipales, communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon prévu le 22 mars 2020 à une date ultérieure, au plus tard au mois de juin. Cependant, au regard de l'ampleur de cette épidémie, il est à craindre que ce report, à une échéance plus lointaine, pour les quelques 4 922 communes, retarderait considérablement l'installation des nouveaux conseils communautaires avec des élus complètement renouvelés.

C'est pourquoi, il lui demande si un vote électronique pourrait être mis en place exceptionnellement pour ce second tour, d'autant que cette modalité de scrutin dématérialisé avait été utilisée par les Français établis à l'étranger pour les élections législatives de 2012 et les élections consulaires de 2014 avant d'être suspendue par le décret n° 2017-306 du 10 mars 2017 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France pour les élections législatives de 2017 par crainte de cyberattaques. Dernièrement, le Gouvernement a pris la décision de permettre à nouveau le vote électronique pour les élections des conseillers des Français de l'étranger et des délégués consulaires des 16 et 17 mai 2010. Ce qui signifie que le vote électronique est sûr, fiable et compatible avec les standards européens en matière électorales.

En France, cette modalité de vote est également sollicitée pour le vote aux élections professionnelles. À titre d'exemple, elle doit être utilisée par environ 250 000 pompiers répartis dans les 97 services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) pour élire leurs représentants dès 2020. D'autant que lorsque toutes les conditions de sécurité sont réunies, le vote électronique présente de nombreux avantages : une diffusion très rapide des résultats, un dépouillement simplifié et efficace, un gain de temps non négligeable en amont pour la mise en place du scrutin, un gain d'argent (…).

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 01/07/2021

Le vote électronique par internet est aujourd'hui prévu en France pour deux scrutins : l'élection des députés des Français établis hors de France (modalité utilisée une seule fois en 2012) et les élections consulaires (modalité utilisée une seule fois en 2014 et qui devrait de nouveau être utilisée en 2021). Le vote électronique comporte ainsi trois avantages. D'abord, il évite un déplacement au bureau de vote, ce qui présente un intérêt certain pour les circonscriptions des Français établis hors de France, où le maillage des bureaux est particulièrement lâche. De plus, en période d'épidémie, voter depuis son domicile limite les déplacements et les risques de contagion. Enfin, cette modalité de vote facilite et accélère les opérations de dépouillement. Cependant, derrière ces avantages et la modernité qu'il incarne, le vote électronique comporte quatre failles substantielles. En premier lieu, il ne permet pas de s'assurer avec certitude de l'identité de l'électeur, du secret de son vote et de son consentement. En théorie, la transmission des codes à l'électeur par plusieurs moyens distincts doit assurer l'identité de l'électeur. Néanmoins, cette procédure apporte nettement moins de garanties qu'une présentation de l'électeur en personne, muni d'un justificatif d'identité, comme lorsque l'électeur vote à l'urne ou établit une procuration devant un officier de police judiciaire ou devant un magistrat. La Commission nationale de l'informatique et des libertés a rappelé cette difficulté en 2019 : « Devant l'extension continue du vote par Internet à tous types d'élections, la commission souhaite rappeler que le vote par correspondance électronique, notamment via Internet, présente des difficultés accrues au regard des principes susmentionnés pour les personnes chargées d'organiser le scrutin et celles chargées d'en vérifier le déroulement, principalement à cause de l'opacité et de la technicité importante des solutions mises en œuvre, ainsi que de la très grande difficulté de s'assurer de l'identité et de la liberté de choix de la personne effectuant les opérations de vote à distance. » Surtout, en deuxième lieu, cette modalité de vote ne permet pas d'exclure un vote sous influence (familiale, professionnelle ou communautariste), un achat de vote ou toute autre atteinte au secret du vote et au consentement de l'électeur. Seul l'isoloir garantit ces principes reconnus par l'article 3 de la Constitution. Troisièmement, le contrôle citoyen sur le dépouillement n'est pas possible. Le revers du dépouillement instantané est l'absence de contrôle des citoyens sur cette opération. Dans ses observations sur les scrutins présidentiel et législatif de 2007, le Conseil constitutionnel notait que l'utilisation des machines à voter « (…) qui rompt le lien symbolique entre le citoyen et l'acte électoral que la pratique manuelle du vote et du dépouillement avait noué, se heurte aussi à une résistance psychologique qu'il convient de prendre en compte ». Dans ses observations sur l'élection présidentielle de 2012, il a de nouveau souligné « le risque d'altération de la confiance des électeurs dans la sincérité du scrutin faute de pouvoir matériellement toucher et surtout recompter les bulletins ». Ces observations sur les machines à voter sont a fortiori valables pour le vote par internet. Le contrôle sur les opérations de dépouillement, exercé tant par les représentants des candidats que par les électeurs eux-mêmes, est une garantie forte de la sincérité du scrutin dans notre système électoral. A l'inverse, le juge de l'élection peut annuler un scrutin si le dépouillement a eu lieu à huis-clos, comme cela s'est produit lors des élections municipales de cette année, ce qui rappelle l'importance de ce contrôle collectif. Au-delà de la sécurité juridique de l'organisation du scrutin, le vote à l'urne et le dépouillement sont aujourd'hui des actes citoyens importants. Le vote par procuration se conforme d'ailleurs à ces rituels républicains puisque le mandataire introduit bel et bien le bulletin de son mandant dans l'urne et que celui-ci est in fine dépouillé comme tous les autres. En revanche, substituer à ce vote une procédure électronique informelle et dénuée de toute dimension collective risquerait de banaliser le vote. Quatrièmement, cette modalité de vote expose les scrutins à des attaques électroniques. Comme toute infrastructure électronique, le système de vote par internet peut être attaqué par des organisations ou des Etats hostiles. Ce système étant nécessairement ouvert à tous les électeurs concernés, il est d'autant plus vulnérable. En 2017, à la demande de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), ce risque cyber a conduit le secrétaire d'Etat auprès du ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères à renoncer à cette modalité de vote pour les élections des députés des Français établis hors de France. A ce titre, il faut rappeler que le vote électronique est aujourd'hui prévu pour l'élection des députés des Français de l'étranger dont les circonscriptions, vastes géographiquement, sont limitées en nombre d'électeurs. Le risque d'une annulation pour un dysfonctionnement ou une attaque est donc circonscrit. En revanche, pour des scrutins à vaste circonscription (élections régionales, européennes, présidentielle et référendum), le risque de contagion serait accru : les failles potentielles seraient multipliées à raison du nombre d'électeurs supplémentaires concernés, et un problème local pourrait entraîner une annulation de toute l'élection. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement n'envisage pas, à ce stade, de mettre en place un vote électronique pour les élections politiques, ce qui aurait de toutes façons été inenvisageable entre les deux tours des élections municipales.

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