Question de Mme DELATTRE Nathalie (Gironde - RDSE) publiée le 04/06/2020

Mme Nathalie Delattre interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le délai de mise en place de la surveillance des abords intérieurs et extérieurs des établissements pénitentiaires par des équipes locales spécialisées.

L'article 12-1 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 donne la possibilité aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire affectés aux équipes de sécurité pénitentiaire de procéder aux « contrôles des personnes, autres que des personnes détenues, à l'égard desquelles existe une ou plusieurs raisons sérieuses de penser qu'elles se préparent à commettre une infraction portant atteinte à la sécurité de l'établissement pénitentiaire ». La modification apportée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a permis d'agrandir le périmètre d'action de ces unités à « l'ensemble du domaine affecté à l'établissement pénitentiaire ou à ses abords immédiats ».

Ce renforcement de la sécurité, inscrit dans la loi, avait notamment pour objectif de prévenir la projection de téléphones, d'armes blanches ou de boulettes de stupéfiants à l'intérieur des enceintes de prisons par des individus de l'extérieur et ainsi d'éviter des trafics illicites externes, avec des répercussions internes fortement dommageables.

Mais, si certains établissements ont mis en place cette surveillance, ils semblent minoritaires en France. À titre d'exemple, le centre pénitentiaire de Fresnes avait initié la formation de ses agents avant le confinement sanitaire, et la reprend avec le déconfinement progressif, tandis que la maison d'arrêt de Gradignan, en Gironde, n'envisage aucune création d'unité dédiée pour la surveillance des abords de ses murs avant 2022. Or, la fermeture des parloirs, pendant le confinement, a bien démontré, dans cet établissement, que le flux de substances illicites - au cœur d'un trafic interne dénoncé à maintes reprises par les syndicats des personnels de la pénitentiaire - était resté quasi inchangé à cause de projectiles venant de l'extérieur. Or, pour l'équipe municipale et les forces de l'ordre aux alentours, ces canaux d'alimentation représentent un véritable trouble à l'ordre public auquel une équipe spécialisée, autorisée à avoir un port d'arme, pourrait mettre fin. Les syndicats des salariés sont dans la même demande tant ce trafic interne de stupéfiants rend la situation tendue dans la prison. Des prévenus refusent de se rendre en promenade pour ne pas être recrutés dans ce trafic ou côtoyer des individus sous emprise de stupéfiants. Des surveillants évoquent l'existence de téléphones portables cachés et de répétiteurs wifi qui permettent de structurer l'offre et la demande puisque cet établissement n'est pas équipé de brouilleurs.

Elle souhaite donc attirer son attention sur ce sujet et lui demander combien de sites se sont dotés de ces équipes locales de sécurité et si un premier bilan d'expérimentations sur ces différents sites pénitentiaires a pu être dressé pour évaluer l'efficacité de ce dispositif. Elle souhaite enfin savoir dans quelle mesure elle peut inciter des directeurs de lieux de privation de liberté à « prioriser » la création d'équipes spécialisées de surveillance pénitentiaire au sein de leurs établissements.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/06/2020

Réponse apportée en séance publique le 16/06/2020

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1202, adressée à M. la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nathalie Delattre. Madame la garde des sceaux, grâce à une baisse sans précédent de la population carcérale, opérée par voie d'ordonnance, la vie au sein de nos prisons reprend cahin-caha son cours normal.

Mon collègue François-Noël Buffet et moi-même avons constaté, au fil des auditions et des déplacements inhérents à notre mission de suivi des lieux de privation de liberté, que l'épreuve du confinement a révélé des failles au sein de certaines prisons.

Au centre pénitentiaire de Gradignan, en Gironde, les projections de téléphones, d'armes blanches ou de boulettes de stupéfiants dans les cours intérieures de l'établissement par des individus de l'extérieur ont connu une activité intense pendant le confinement, comme à l'accoutumée malheureusement.

Aux alentours de la prison, ces canaux d'alimentation représentent un véritable trouble à l'ordre public et à la sécurité des riverains. À l'intérieur, ces trafics suscitent des comportements qui mettent en danger tant le personnel pénitentiaire que les détenus. Pour se tenir éloignés de ces trafics, certains d'entre eux refusent même la promenade quotidienne.

Des prévenus sont sous l'emprise de la drogue : j'ai pu le constater dernièrement, en exerçant mon droit de visite.

Pourtant, il suffirait de peu pour réguler cette situation : une équipe pénitentiaire spécialisée, avec port d'arme, autorisée à intervenir aux abords de la prison et une volonté affirmée de la part de la direction.

Justement, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permet la mise en place de ces équipes de sécurité aux abords immédiats des établissements. Ainsi, le centre pénitentiaire de Fresnes a entrepris la formation de ses agents avant le confinement sanitaire et la reprend avec le déconfinement. Mais, quant à elle, la prison de Gradignan n'envisage aucune création d'unité dédiée pour la surveillance des abords de ses murs avant 2022, au mieux.

Votre ministère peut-il inciter un directeur de prison à ériger en priorité la création d'une équipe spécialisée de surveillance pénitentiaire au sein de son établissement ? Pouvez-vous venir constater par vous-même la prégnance de ces trafics dans la prison de Gradignan et entendre les représentants du personnel et le maire de la ville afin de prendre les mesures qui s'imposent ? L'attente est forte !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Delattre, la situation que vous avez décrite pose une véritable difficulté, non seulement à la prison de Gradignan mais dans l'ensemble des établissements pénitentiaires.

Le déploiement des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) permet, comme vous l'avez souligné, de lutter activement contre le trafic de substances ou d'objets illicites et interdits en détention. Ces structures sécurisent les fouilles sectorielles et renforcent les équipes de surveillance lors des incidents qui peuvent se dérouler en détention. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a d'ailleurs renforcé leurs pouvoirs de contrôle.

En 2019, 311 agents ont été formés et habilités pour intégrer les équipes de sécurité pénitentiaire. D'ores et déjà, 29 équipes locales sont déployées sur l'ensemble des établissements pénitentiaires. Dès l'année prochaine, 50 établissements seront dotés d'une ELSP.

S'agissant du centre pénitentiaire de Bordeaux- Gradignan, où je compte en effet me rendre, nous ne l'avons pas priorisé dans le cadre du déploiement des ELSP, et ce pour deux raisons.

D'une part, une équipe régionale d'intervention et de sécurité (ÉRIS), un autre élément de notre dispositif, est basée sur place : elle peut être actionnée en cas d'incident ou d'atteinte à la sécurité.

D'autre part, ce centre pénitentiaire va être entièrement reconstruit, avec une sécurisation totalement repensée, pour un investissement de près de 137 millions d'euros. Les travaux de démolition préalable ont démarré en juin dernier. Cette opération permettra de livrer un nouvel établissement de 600 places, entièrement sécurisé ; sa première phase se terminera à la fin de 2022.

Plus largement, je veux souligner l'effort particulièrement important que nous consacrons à la sécurisation des établissements pénitentiaires : 64 millions d'euros sont inscrits à ce titre dans la loi de finances initiale pour 2020, une dotation en hausse de 8 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Cette augmentation vise notamment à sécuriser les abords périmétriques des établissements par le renforcement des clôtures, l'installation de filins anti-projections et la maintenance des installations de sécurité.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.

Mme Nathalie Delattre. L'ÉRIS n'est jamais, ou quasiment jamais sollicitée. Quant à la nouvelle prison, elle ne sortira pas de terre avant des années. La situation est fort préoccupante, et une équipe locale de sécurité plus que nécessaire. Madame la garde des sceaux, nous vous attendons sur place avec impatience !

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