Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - CRCE-R) publiée le 11/02/2021

Mme Marie-Noëlle Lienemann interroge M. le ministre des solidarités et de la santé sur les graves risques que fait peser la pollution d'un terrain sur les habitants du quartier des Ormes à Romainville (93), et sur les conditions de modification des seuils d'exposition au trichloréthylène (TCE).

Elle lui demande comment une opération de promotion immobilière a pu être autorisée sur ce site entre la rue des Oseraies et la rue de l'Orme, comment le promoteur Alios peut construire des logements sur un terrain affectée par une pollution chimique inquiétante.
99 appartements devraient y voir le jour d'ici à deux ans. Un peu plus de la moitié d'entre eux auraient déjà été vendus.
Ce terrain est l'ancien site de l'entreprise Wipelec, on y retrouve du TCE, mais aussi des cyanures ou encore du benzène et une contamination des eaux souterraines au chrome VI.
Aucune étude ne fait référence à l'ensemble de ces produits, aucune information n'a été donnée sur ces pollutions aux riverains.
Officiellement, la dépollution du site est terminée depuis juillet 2018, selon l'entreprise spécialisée Gingko. Or, malgré les ventes en cours par Alios, Gingko n'a pas achevé la dépollution qui ajoute à l'exposition existante au regard du caractère volatil des substances. Sans la moindre étude sérieuse sur les risques encourus par les riverains, les opérations de « dépollution » vont bon train.

Plus surprenant et scandaleux, les limites des taux de TCE ont été modifiées pour l'occasion, dans un arrêté publié le 29 décembre 2020, permettant cette opération immobilière et prévoyant un taux d'exposition au TCE supérieur à celui de l'organisation mondiale de la santé (OMS) qui prévalait jusqu'alors.
Tout cela a été orchestré au plus haut niveau de l'État. Dans une saisine conjointe du 4 juin 2020, le directeur général de la santé et le directeur général de la prévention des risques ont demandé au haut conseil de la santé publique (HCSP) d'assouplir les normes concernant le TCE.
Ils rappelaient « qu'en réponse à une demande complémentaire de la DGS concernant les modalités d'application de certaines dispositions de cet avis en lien avec la gestion du site Wipelec à Romainville, le HCSP a publié en 2016 un avis sur les expositions au TCE présent dans l'air intérieur des logements des riverains de ce site ». Cet avis réaffirmait celui de 2012 et recommandait la réduction de l'exposition au TCE.
Or les deux directeurs ont insisté sur les « difficultés dans la mise en œuvre de ces avis et la nécessité de disposer de compléments » et demandé au HCSP un nouvel avis satisfaisant mieux le DGS obtenu en juillet 2020. La préfecture de Seine-Saint-Denis a ainsi pu interpréter ce nouveau taux dans l'arrêté du 29 décembre, mais sans limite de durée, faisant passer le seuil d'alerte de TCE de l'OMS pratiqué précédemment sur le site (23µg/m3) à 3200 µg/m3 pour l'air extérieur.
Elle lui demande comment il peut être accepté que le DGS demande un assouplissement des normes environnementales, communément respectées et édictées par l'OMS, quels intérêts ont pu pousser à cette manœuvre alors que ces produits sont cancérigènes.
Les grands bénéficiaires de cette décision sont le groupe Gingko et Alios. Pas les habitants : les riverains s'étonnent du taux particulièrement élevé d'apparition de cancer dans leur quartier depuis les années 1990 ou ont connu différents problèmes de santé qui pourraient être liés à ces pollutions.

Elle lui demande s'il a donné son aval à la demande de révision des normes d'expositions au TCE réalisée par le DGS auprès de la HCSP et comment il peut accepter que la France édicte des normes moins bonnes que celles de l'OMS. Elle lui demande s'il compte restaurer les normes antérieures plus protectrices pour la santé et s'il compte mettre fin à la situation inacceptable du quartier de l'Orme à Romainville.

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Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée le 13/05/2021

Le fonds d'investissement Ginkgo a racheté le site de la société Wipelec à Romainville en 2014, qui y a exploité une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). La société Wipelec a cessé son activité de traitement de surface à Romainville en 2006 et a laissé le site pollué par des solvants chlorés, notamment par du trichloréthylène (TCE), dans les sols et les eaux souterraines. La société Wipelec, bien que non défaillante, n'a jamais mené à son terme la remise en état du site et reste donc responsable de la pollution du site. En rachetant le site en 2014, Ginkgo s'est engagé à le réaménager dans le cadre d'un projet immobilier et à le dépolluer. Bien qu'il ne soit pas redevable des obligations de l'ancien exploitant, il réalise aujourd'hui les travaux prescrits à la société Wipelec par l'arrêté préfectoral du 5 juillet 2015. Ginkgo a obtenu en octobre 2018 un permis de construire, délivré par le maire de Romainville, pour réaliser une centaine de logements sur ce site. Ginkgo a ainsi accepté d'endosser la remise en état du site en lieu et place de Wipelec mais aussi de le dépolluer au regard de l'usage futur qu'il envisage (construction de logements). Cette articulation, complétée par l'action de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie permet d'assurer la compatibilité entre l'état de l'environnement et les usages retenus à ce stade. Une première phase de travaux de dépollution du site a été mise en œuvre par Ginkgo en 2017-2018. Ces travaux ont permis d'éliminer 96% de la pollution en TCE du site. Leur réalisation a été contrôlée par les services de l'inspection des installations classées, qui ont constaté leur bon avancement et leur conformité au plan de gestion. Une seconde phase de travaux a débuté en mars 2021 : il s'agit des travaux de terrassement nécessaires à la construction des logements. Ils permettront d'éliminer l'essentiel des 4% de pollution restant qui ne pouvaient pas être excavés lors de la première phase du chantier pour des raisons techniques. Ces travaux sont prévus pour une durée de 4 mois. L'Etat et la mairie ont souhaité encadrer ce nouveau chantier de manière très rapprochée. Ainsi, la préfecture de la Seine-Saint-Denis, la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE) et l'agence régionale de santé (ARS) ont demandé à Ginkgo d'établir un protocole de gestion et de surveillance du chantier. L'ARS a par ailleurs missionné l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) pour la définition d'une valeur seuil d'intervention en air extérieur pour le TCE. L'ensemble de ces éléments ont permis la prise de l'arrêté municipal d'encadrement des travaux du 9 mars 2021, à la demande et sur proposition des services de l'Etat, suite aux échanges tenus localement entre les différentes parties prenantes. Il y est prévu la mise en place d'actions de prévention dès 15 minutes de dépassement de la valeur d'intervention et stipulé que si la valeur seuil d'intervention est dépassée pendant 45 minutes, les travaux seront arrêtés et les fouilles seront bâchées. Les résultats des mesures de surveillance réalisées par Ginkgo sont transmis à la préfecture, l'ARS et la mairie, cette dernière les tiendra à disposition des riverains intéressés. A ce jour, aucune valeur de gestion en air extérieur n'existait pour le TCE, c'est pourquoi l'ARS a demandé à l'INERIS de définir un seuil d'intervention. L'INERIS a retenu la valeur de 3200?g/m3 comme seuil d'intervention, correspondant à la Valeur toxicologique de référence (VTR) et à la Valeur guide de l'air intérieur (VGAI) subchroniques (exposition de 14 jours à un an) pour le TCE proposées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dans ses avis de juillet 2018 et novembre 2019 respectivement. Cela signifie qu'en cas d'exposition à cette valeur pendant une durée de 14 jours à un an, aucun effet sanitaire n'est attendu. Les dispositions prises sur le chantier (arrêt des activités à l'origine des émissions en cas de dépassement de cette valeur sur 45 minutes) sont donc de nature à protéger la santé des populations riveraines, objectif premier de l'action de l'Etat sur ce site depuis la découverte de cette pollution et sont très sécurisantes puisqu'elles permettent de résorber très rapidement les éventuelles émanations de TCE dès leur détection en se basant sur une valeur normalement retenue pour une exposition de 14 jours à un an. La valeur guide de l'organisation mondiale de la santé (OMS) de 23?g/m3 a, quant à elle, été établie pour un risque vie entière de 10-5. Cela signifie qu'en cas d'exposition à cette valeur de 23?g/m3 en continu durant toute la vie, un cas supplémentaire de cancer est attendu dans une population de 100 000 personnes. Il existe donc une grande différence en termes de durée d'exposition prise en compte entre la valeur seuil définie par l'INERIS et la valeur guide de l'OMS. Il n'est donc pas pertinent de comparer ces deux valeurs. S'agissant de la révision en juillet 2020 des valeurs de gestion pour le TCE par le Haut conseil de la santé publique (HCSP), elle intervient suite à l'élaboration par l'ANSES des VTR chronique et subchronique par inhalation pour le TCE en 2018 puis des VGAI pour cette même substance en décembre 2019. Ainsi cette révision demandée par saisine conjointe du Directeur général de la santé et du Directeur général de la prévention des risques visait à prendre en compte les nouvelles connaissances scientifiques sur le TCE, les nouvelles VTR et VGAI de l'ANSES, les retours de terrain, et les dernières données d'exposition disponibles. Cette saisine n'a pas été rédigée dans le cadre particulier de la gestion du site de WIPELEC mais elle correspond à une actualisation des données scientifiques dans le domaine. Cette révision par le HCSP ne doit ainsi pas être confondue avec la valeur seuil d'intervention de l'INERIS qui a été produite à la demande de l'ARS pour le cas d'espèce et qui est utilisée dans l'arrêté du 9 mars 2021 encadrant les travaux sur le site de Romainville. Enfin, les expertises de l'ANSES et du HCSP sont menées de manière indépendante. Notamment toutes les expertises de l'ANSES sur lesquelles s'appuie l'avis du HCSP se font dans le respect de la norme NF X 50-110 « Qualité en expertise ». Concernant l'information des riverains, tous les rapports des interventions réalisés par l'ADEME sont en ligne sur le site de la préfecture, une fiche d'information sur le sol pollué (« fiche BASOL ») est en ligne sur le site Georisques et des courriers individuels sont systématiquement adressés à chaque riverain avec les résultats des investigations faites dans leur logement. Des propositions de relogement ont été réalisées lorsque la situation le nécessitait. L'ADEME et l'ARS, dans le cadre des campagnes de surveillance des milieux, sont au contact régulier des riverains pour échanger avec eux sur les enjeux sanitaires du site. Un médecin conseil du centre antipoison a également été mobilisé pour les riverains qui le souhaitaient. Par ailleurs, concernant les pathologies signalées par les riverains, en 2016, Santé publique France a conduit une étude visant à vérifier l'existence ou non d'un nombre anormalement élevé de cancers pouvant être en lien avec des facteurs de risques environnementaux. Son rapport a été publié en 2018. Les investigations menées par Santé publique France ont montré qu'aucune pathologie validée chez les riverains du site Wipelec ne correspond à celles pour lesquelles a été décrit un excès de risque en lien avec le TCE à des niveaux d'exposition comparables à ceux observés à Romainville.

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