Question de M. ROGER Gilbert (Seine-Saint-Denis - SER) publiée le 15/04/2021

M. Gilbert Roger attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les verrous juridiques qui empêchent en France la poursuite des criminels internationaux, dans le cadre de l'exercice de la compétence universelle.
Dans de nombreuses zones de conflits dans le monde, en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique, on observe une impunité croissante d'autorités et d'individus qui se rendent coupables des crimes les plus graves (crimes contre l'humanité, crimes de génocide, crimes de guerre, crimes d'apartheid), prohibés par le statut de Rome et bien d'autres traités.
Dans le cadre de la compétence « universelle » prévue par les articles 689 à 689-13 du code de procédure pénale, les tribunaux français pourraient exercer leur pouvoir de poursuivre et juger directement de telles infractions commises hors de France par des individus, notamment en application de la convention internationale contre la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants, la convention sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid ou encore la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006.
Ils en sont malheureusement empêchés par des conditions extrêmement restrictives qui, notamment, réservent le monopole des poursuites au parquet, et donc au Gouvernement, en contradiction totale avec notre tradition juridique en droit pénal. L'exigence de résidence habituelle sur le territoire français des auteurs des faits reprochés est également incohérente avec le droit français existant, et la nécessité de double incrimination est une exigence que la Cour pénale internationale (CPI) n'a pas, par exemple. Enfin, la France exige que la CPI se déclare d'abord incompétente avant d'agir, alors que la CPI oblige les États à juger les crimes internationaux de prime abord.
Ces verrous ont été dénoncés par de grandes organisations comme Amnesty International, par la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), le conseil national des barreaux, la coalition française pour la CPI, ou encore le comité des Nations unies contre la torture.
Les poursuites en cours et une première condamnation prononcée le 24 février 2021 pour crimes contre l'humanité par une juridiction allemande dans le cadre de cette compétence universelle contre des responsables syriens appréhendés en Allemagne pour complicité de crimes contre l'humanité marquent bien la force de dissuasion de ces procédures. Aucun autre système juridique en Europe que le système français n'accumule autant d'obstacles à enquêter et punir les criminels internationaux.
Il le remercie de bien vouloir lui indiquer quelles mesures il prévoit de prendre afin que la parole des victimes et celle des associations de défense des droits humains puissent être prises en compte par des tribunaux français pour enfin mettre un terme à une impunité que la France, garante du respect du droit international, ne peut plus ignorer. Supprimer les verrous qui entravent l'exercice de la compétence universelle française serait un complément nécessaire aux actions menées par la CPI pour lutter contre les crimes les plus graves. Ce serait l'honneur de la France, pays des droits de l'Homme, que d'adopter enfin un mécanisme de compétence universelle effectif.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 05/08/2021

La compétence extraterritoriale des juridictions françaises, et notamment la compétence quasi-universelle instaurée par les articles 689 et suivants du code de procédure pénale, permet à la France de contribuer efficacement à la lutte contre la criminalité et la délinquance internationales. S'agissant des crimes contre l'humanité, l'article 689-11 du code de procédure pénale prévoit la compétence des juridictions françaises pour les crimes contre l'humanité et les délits et crimes de guerre commis à l'étranger. Le procureur de la République antiterroriste peut déclencher des poursuites à l'encontre d'une personne soupçonnée dès lors qu'elle réside habituellement en France, sous la réserve qu'aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne, dès lors que ces faits – et à l'exception du génocide – sont également punis dans l'Etat étranger où ils ont été commis, sauf si ledit Etat est partie à la convention sur la Cour pénale internationale. Les conditions de mise en œuvre de cet article visent à assurer la nécessaire répression d'infractions particulièrement graves, tout en permettant de concilier la sauvegarde des impératifs nationaux et le respect des grands principes du droit international. A ce titre, la condition de résidence habituelle en France permet, tout en préservant l'action diplomatique de la France d'une instrumentalisation politique de nos juridictions, d'assurer la répression des auteurs de ces crimes qui ont voulu se réfugier en France. Par ailleurs, le choix de confier le monopole des poursuites au procureur de la République antiterroriste permet d'assurer une plus grande cohérence de la politique pénale et de l'action des autorités judiciaires dans la mesure où ce ministère public est, au regard de son expertise en la matière, le mieux à même de défendre l'intérêt général auquel portent atteinte les crimes internationaux. Cette condition répond également à une exigence de spécialisation et de centralisation de ce contentieux spécifique. Il revient par ailleurs de relever que, si l'engagement de poursuites par les autorités judiciaires nationales demeure subordonné à l'absence de poursuites devant la Cour pénale internationale, les conditions de sa mise en œuvre ont néanmoins été facilitées par la loi du 23 mars 2019 : en effet, le ministère public s'assure aujourd'hui uniquement de l'absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale, sans que cela suppose qu'elle décline expressément sa compétence, comme c'était le cas jusqu'alors. Enfin, l'exigence de double incrimination constitue un principe fondamental du droit international auquel il n'est possible de déroger que de façon exceptionnelle : à ce titre, si la loi du 23 mars 2019 a supprimé l'exigence de double incrimination dans le cas du génocide, cette exception se trouve justifiée par la spécificité absolue de ce crime qui fait l'objet de la convention de l'ONU du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle s'explique également au regard de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, qui a fait de l'interdiction du génocide une norme impérative du droit international. S'agissant des actes de torture, en application des articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, toute personne coupable de torture, commise hors de France, au sens de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est susceptible d'être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France. Les conditions de mise en œuvre des poursuites par les autorités françaises sont ainsi, dans ce cas, beaucoup plus larges que celles précédemment évoquées dans les cas de crimes contre l'humanité et les délits et crimes de guerre. Ce dispositif parait ainsi, au total, à la fois équilibré et efficace.

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