Question de M. LONGEOT Jean-François (Doubs - UC) publiée le 11/08/2022

M. Jean-François Longeot attire l'attention de Mme la ministre de la transition énergétique sur le projet de règlement européen concernant la déforestation importée, ce phénomène étant à l'origine de 11 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales et de la disparition de 10 % des forêts du monde entre 1990 et 2010.

En effet, si la France est le premier État membre de l'Union européenne à s'être doté - dès novembre 2018 - d'une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, la Commission européenne a quant à elle présenté un projet de règlement en novembre 2021. Celui-ci propose notamment de créer un système de traçabilité visant à interdire l'importation de produits issus de la déforestation.

En juin 2022, le Conseil de l'Union européenne a adopté ledit projet de règlement, après modifications, suscitant des critiques de la part d'organisations non gouvernementales (ONG) qui estiment qu'il s'agit d'une « occasion manquée », secondées par le Parlement européen qui demande un champ d'application plus étendu.

La fédération nationale du bois, au niveau national, de même que les organisations professionnelles européennes, au niveau fédéral, estiment que ce texte manque de proportionnalité, rejetant plus particulièrement son article 31. Celui-ci impose d'alimenter une base de données européenne avec les coordonnées GPS de chaque chantier forestier. En effet, une telle obligation serait imposée exclusivement aux exploitants forestiers des États membres de l'Union européenne et non à ceux des pays tiers.

Alors que la Présidence française de l'Union européenne avait fait de ce sujet une priorité, il l'interroge sur l'appréciation du bilan que le Gouvernement fait de la lutte contre la déforestation importée. Il lui demande, d'une part, dans quelle mesure le Gouvernement compte intensifier sa lutte contre la déforestation importée comme le Sénat le lui enjoint dans son rapport n° 620 « Alimentation durable et locale » (mai 2021) et, d'autre part, quelle est sa position eu égard aux critiques adressées à l'article 31 du projet de règlement européen (manque de proportionnalité, manque de concertation, affaiblissement du secret des affaires, inadaptation des mesures à la déforestation importée extra-UE).

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Transmise au Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires


Réponse du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires publiée le 01/12/2022

La France a été l'un des premiers pays à publier une Stratégie nationale contre la déforestation importée (SNDI) en novembre 2018 afin d'y mettre fin dans les chaînes de valeur du soja, du cacao, du caoutchouc naturel, des produits du bois, du bœuf et de l'huile de palme d'ici 2030. Dans la loi Climat et résilience, adoptée en 2021, quatre articles sont consacrés à la lutte contre la déforestation. Ils inscrivent la SNDI dans le code de l'environnement, permettent le partage de données douanières entre les douanes et le ministère chargé de l'environnement afin d'améliorer la traçabilité et les outils d'évaluation des risques de déforestation importée, introduisent un objectif d'achat public zéro déforestation pour l'État et comprennent également des mesures relatives à la déforestation en matière de devoir de vigilance pour certaines entreprises. Cette stratégie, qui constitue un cadre d'engagement volontaire, a permis d'envoyer un signal fort et a très certainement contribué à la publication d'un projet réglementaire contraignant au niveau européen. La SNDI constitue aujourd'hui un cadre de dialogue efficace et constructif avec les acteurs de la société civile (entreprises, représentants de filières, acteurs de la recherche, Organisation non gouvernementale) et facilite l'appropriation de ces problématiques et des obligations européennes à venir par les acteurs. La première orientation de la SNDI est dédiée à l'approfondissement des connaissances relatives à la déforestation, le Comité scientifique et technique forêt créé en 2019 et rattaché à l'Agence française de développement (AFD). Elle a permis la publication de 6 rapports de recherche élaborés en concertation avec les parties prenantes de la SNDI. Ces travaux nourrissent les discussions au niveau européen, notamment concernant les définitions des forêts et de la dégradation forestière. Un travail est en cours pour l'élaboration d'un indicateur « empreinte forêt » qui permettra de mesurer les progrès français dans la lutte contre la déforestation importée. Le deuxième axe est relatif à la coopération avec les pays producteurs. Pour cela, la contribution du Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) et de l'Agence française de développement (AFD) à des projets concourants aux objectifs de la SNDI est estimée à 70 millions d'euros en dons entre 2020 et 2021. La troisième orientation de la SNDI concerne le soutien d'un texte européen ambitieux pour lutter contre la déforestation. Cet objectif a pu être défendu avec l'adoption en juin 2022, sous présidence française du Conseil de l'UE, d'une orientation générale sur le projet de règlement relatif à la déforestation et la dégradation des forêts, proposé par la Commission européenne au mois de novembre 2021. Ce texte s'articule autour du concept central de diligence raisonnée qui permet le recueil d'informations afin de s'assurer que le produit n'est pas associé à de la déforestation ou de la dégradation forestière. La traçabilité à la parcelle de l'exploitation via la géolocalisation est notamment exigée pour l'ensemble des produits concernés par le règlement. Dans le cadre du processus de trilogue en cours, la France continue de défendre une approche cohérente et équilibrée des obligations de mise en œuvre des opérateurs. Parmi les autres avancées de la SNDI relevant de la troisième orientation de la stratégie, il peut être rappelé le conditionnement de l'accord commercial sur le MERCOSUR à l'obtention de garanties relatives à la préservation des forêts, ainsi que la suppression de l'avantage fiscal sur l'huile de palme et l'huile de soja dans les carburants, tarissant dans les faits la demande sur ces produits à des fins énergétiques. Enfin, la stratégie nationale sur les protéines végétales publiée en 2020 vise un doublement en dix ans de la surface allouée aux protéines végétales. Dans le cadre de la quatrième orientation de la SNDI qui vise l'engagement des acteurs, les entreprises de la filière soja ont adopté des objectifs ambitieux au travers d'un manifeste dédié. Elles ont pu travailler sur l'évaluation de leur risque et la traçabilité de leurs chaines d'approvisionnement, notamment grâce à un outil d'évaluation des risques lié aux importations de soja en provenance du Brésil, mis à disposition sur la plateforme SNDI. Les acteurs de la filière cacao se sont engagés, dans le cadre de l'Initiative française pour un cacao durable (IFCD), à atteindre des objectifs environnementaux mais aussi sociaux et économiques ambitieux et des travaux sont menés en coordination avec d'autres initiatives nationales en lien avec ce sujet. Inspiré de la loi française sur le devoir de vigilance, un projet de directive publié par la Commission européenne le 23 février 2022 a pour objectif de favoriser un comportement durable et responsable des entreprises en les enjoignant d'évaluer les risques environnementaux et sociaux liés à leur activité et à leur chaîne de valeur mais aussi de prévenir, atténuer ou supprimer les incidences négatives potentielles et réelles. Ces nouvelles obligations qui viendront compléter les dispositions nationales permettront de renforcer le cadre général de responsabilités des entreprises dans leurs chaînes de valeurs à l'étranger. Ce corpus réglementaire européen est composé de la directive sur le devoir de vigilance, du règlement relatif à la déforestation et la dégradation des forêts, ainsi que les différents textes ayant trait à la transparence environnementale et sociale des entreprises (taxonomie, directive sur le rapport de durabilité) : il peut contribuer substantiellement à la modification de la nature des pratiques et des échanges commerciaux, et permettre d'aller vers des approvisionnements durables qui préservent les forêts du monde. La France est donc résolument engagée dans ces négociations à l'échelle européenne pour obtenir un cadre réglementaire exigeant et juste. La concertation des parties prenantes sur le projet de règlement a commencé dès la publication du projet par la Commission européenne. En effet, un comité de suivi des parties prenantes de la SNDI s'est tenu en décembre 2021 et en janvier 2022 ; le projet de règlement y a été présenté et discuté. De même, une réunion de concertation avec les acteurs de la filière bois a été organisée au mois d'avril 2022, incluant de nombreux acteurs représentatifs au niveau français et européen. A cette occasion, il a été demandé aux acteurs de transmettre leurs commentaires sur le projet de règlement et de nombreuses contributions ont ainsi été reçues et analysées (l'Union de la Coopération Forestière Française, de la Fédération Nationale du Bois, de l'industrie papetière française, de France Bois Industries Entreprises, des organismes de gestion durables, de l'Office national des forêts…). Concernant plus spécifiquement l'article 31 du projet de règlement relatif à la déforestation et à la dégradation des forêts, le texte proposé par la Commission européenne prévoit la mise en place d'un registre d'information qui contiendra les déclarations de diligence raisonnée des acteurs soumis à cette réglementation. Ces déclarations devront contenir des informations relatives aux produits avec les références de la ou des, parcelle (s) ayant permis sa production, une évaluation de risque et les mesures d'atténuation envisagées. Ce registre sera accessible aux douanes, aux autorités compétentes nationales ainsi qu'aux opérateurs et commerçants soumis aux obligations de ce texte. L'accessibilité au registre permettra de faciliter la mise en œuvre des obligations des acteurs en aval. En outre, ce mécanisme de diligence raisonnée laisse aux acteurs économiques la possibilité de choisir les outils et les approches adaptés pour mettre en œuvre leurs obligations. Enfin, le projet de texte de la Commission européenne ne prévoit pas de gestion différenciée par filière et au sein de l'Union européenne ; cette option n'a, en effet, pas été soutenue par les États membres au sein du Conseil de l'Union européenne. Cela répond notamment à l'objectif d'assurer la compatibilité du règlement avec le principe de non-discrimination de l'Organisation mondiale du Commerce et avec les règles du commerce international.

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