Question de M. PLA Sebastien (Aude - SER) publiée le 11/08/2022

M. Sebastien Pla attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le décès brutal d'un jeune éleveur audois au cours du mois de juillet 2022, qui a mis en émoi l'ensemble de la communauté paysanne. Ce drame n'est, hélas, pas isolé puisque chaque jour 2 agriculteurs se suicident en France. Crise économique, sanitaire, climatique, problèmes financiers, solitude… Les raisons du mal-être dans le milieu agricole sont nombreuses si bien qu'en France, les taux de suicides sont supérieurs de 20 % à celui de la population générale.
Il lui rappelle aussi que l'insuffisance de prix rémunérateurs, la hausse continue des charges, la baisse des aides de la politique agricole commune (PAC) et leur inadéquation pour les petites fermes, la prolifération et l'instabilité des normes, la course à l'endettement pour s'en sortir, les déserts vétérinaires, les pénuries de main d'œuvre.. sont des facteurs aggravants qui exposent beaucoup d'agriculteurs à un revenu insuffisant au regard du volume horaire du travail accompli. L'« agribashing » ou l'intrusion dans des élevages dont sont victimes certains agriculteurs, se surajoutent par ailleurs à des tensions plus diffuses, avec les voisins, les néo-ruraux… et concourent à la création d'un climat anxiogène pour nombre d'exploitants.
Il estime dès lors qu'il devient urgent d'anticiper la mise en place de comités départementaux sur le mal-être agricole, annoncée avant la fin de l'année 2022 dans le cadre du programme national destiné à prévenir de manière coordonnée ces situations de détresse, sous l'égide des préfets de département.
Il lui précise que voilà plus d'un an et demi, les sénateurs membres de la commission des affaires économiques, à laquelle il appartient, avaient d'ailleurs proposé 63 recommandations incitant à une politique volontariste de l'État, parmi lesquelles les sénateurs appelaient à mieux cerner la mortalité par suicide en milieu agricole, mais aussi à prévenir les situations de détresse en consolidant l'aide au remplacement, par exemple, et en faisant des cellules départementales d'identification et d'accompagnement, la clef de voute du soutien aux agriculteurs en détresse.
Insuffisance du service « Agri'écoute », besoin de formation professionnelle du réseau sentinelle, réforme de l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) en l'érigeant en une aide plus précoce à l'accompagnement pour éviter les difficultés, assouplissement des conditions de modulation des cotisations sociales (en étendant le pouvoir de modulation à 6 ans au lieu de 3 et en augmentant le plafond de prise en charge des cotisations par la mutuelle sociale agricole -MSA), revenu de solidarité active (RSA) agricole pour les exploitations en difficultés, telles sont les suggestions avancées par le rapport de la commission des affaires économiques, et au sujet desquelles il l'interroge sur une mise en œuvre rapide.
En outre, l'accompagnement des familles endeuillées (en garantissant la gratuité du service de remplacement pour les proches de victimes immédiatement après le décès d'un exploitant agricole) ou encore le gel immédiat pour les proches des victimes du remboursement des dettes sociales et financières de l'exploitation agricole pendant la période de deuil, demeurent, selon lui, autant de pistes inexplorées, pour lesquelles le monde agricole est en attente, dans un silence assourdissant de détresse.
Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître les initiatives urgentes qu'il compte impulser et s'il prévoit d'anticiper la création des cellules départementales d'accompagnement afin de répondre au plus vite aux besoins. Il lui demande enfin quelles suites il entend réserver aux propositions soulevées par le rapport établi, ainsi qu'il l'a énoncé plus haut.

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée le 06/10/2022

Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire partage l'émotion qu'a suscité, dans le département de l'Aude, le suicide d'un jeune éleveur début juillet 2022. Celui-ci est hélas révélateur de la vulnérabilité ancienne du monde agricole face au risque suicidaire et renforce le Gouvernement dans sa volonté politique, affirmée dès fin 2021, de faire face à ce « véritable problème de santé publique » (pour reprendre l'expression, il y a vingt ans, de Jeannette Gros, à l'époque présidente de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole). La politique volontariste de l'État en matière de lutte contre les suicides d'agriculteurs a été définie par la feuille de route interministérielle du 23 novembre 2021. Celle-ci fait suite au rapport, en décembre 2020, du député Olivier Damaisin, « Identification et accompagnement des agriculteurs en difficulté et prévention du suicide », missionné par le Premier ministre le 21 février 2020, et reprend en grande partie les 63 recommandations formulées par la commission des affaires économiques du sénat, dans le rapport du 17 mars 2021 des sénateurs Henri Cabanel et Françoise Férat, « Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse » et qui aboutissait aux mêmes conclusions. La mise en œuvre de cette feuille de route a été engagée dès le début de l'année 2022, avec la nomination d'un coordinateur national, Daniel Lenoir, inspecteur général des affaires sociales, et une circulaire des ministres chargés de l'agriculture, de la santé et du travail du 3 février 2022, installant une nouvelle gouvernance au niveau national et départemental. Celle-ci repose sur la mise en place par les préfets de comité départementaux chargés de déployer de façon coordonnée la prévention du mal-être et la prise en charge des agriculteurs comme des salariés de l'agriculture, ainsi que de leurs proches. Si, au niveau départemental, les deux périodes de réserve électorale ont pu donner le sentiment d'un retard dans la mise en place des comités pléniers qui réunissent de façon très large l'ensemble des parties prenantes, de nombreux préfets ont prévu de les installer en cette période de rentrée, et cela n'a pas empêché la mise en place des comités techniques chargés de la mise en œuvre de la feuille de route sur le terrain. Au vu du déploiement actuel, l'objectif d'une couverture totale devrait être atteint, comme prévu, à la fin de l'année. Au niveau national, le comité de pilotage réunissant l'ensemble des parties prenantes s'est d'ores et déjà réuni deux fois, et un comité de suivi et de coordination interministériel permet d'harmoniser l'intervention des administrations et des services publics. Dans ce cadre, les actions suivantes ont été engagées : - le développement du réseau des sentinelles en agriculture, notamment de leur formation, en lien avec la stratégie nationale de prévention des suicides de la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » ; - l'amélioration du dispositif « agri-écoute » et notamment son articulation avec le numéro national de prévention du suicide (3114) ; - l'élargissement de l'accès à l'aide à la relance des exploitations agricoles, mis en place par voie de décret le 5 août 2022, aide pour laquelle le Gouvernement a doublé le budget dédié, soit 7 millions par an dès 2022 ; - l'assouplissement des possibilités d'étalement des cotisations agricoles, en donnant dans ce domaine à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole les mêmes compétences que celles de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale pour les autres indépendants ; - la possibilité pour le département d'attribuer le revenu de solidarité active en urgence en cas de perte totale du revenu d'activité agricole. Les autres mesures proposées dans les rapports parlementaires sont à l'étude et ont fait l'objet d'initiatives comme, par exemple, l'accompagnement des familles endeuillées par l'attribution d'un capital décès forfaitaire attribué aux familles des non-salariés agricoles en cas de décès en activité d'un assuré non-salarié agricole des suites d'une maladie ou d'un accident de la vie privée, dont les modalités d'accès et le montant ont été fixées par le décret du 29 avril 2022. Les multiples situations de crise que connaît l'agriculture, du fait des événements sanitaires (grippe aviaire), climatiques (sécheresse) ou géopolitiques (guerre en Ukraine) ont nécessité le déploiement de mesures d'accompagnement économiques importantes qui contribuent à la prévention du « mal-être ». Elles ont aussi un impact psychosociologique qui peut générer une augmentation du risque suicidaire. Un dispositif de veille est en cours de mise en place avec Santé publique France et les agences régionales de santé, et plus généralement des travaux ont été engagés, avec l'observatoire national du suicide pour mieux connaître les causes d'une sur-suicidité en agriculture qui est ancienne. Compte tenu de ce contexte difficile que connaît l'agriculture, la dynamique collective qu'a suscité la feuille de route est totalement soutenue par l'ensemble du Gouvernement qui s'est fermement engagé dans cette nouvelle politique publique interministérielle.

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