Question de M. HUGONET Jean-Raymond (Essonne - Les Républicains) publiée le 06/10/2022

M. Jean-Raymond Hugonet attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales, sur les modalités de détournement du droit de préemption urbain. Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols (POS) rendu public ou d'un plan local d'urbanisme (PLU) approuvé peuvent par délibération instituer un droit de préemption urbain (DPU). Or, il semble que certains fassent usage d'une faille juridique révélée par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 3e ch. civile, 11 mai 2000, BDU 2/ 2000, p 115), cette dernière ayant jugé que le DPU s'applique à des mutations de propriété, mais non à des mutations de jouissance. Ainsi, apparaissent de plus en plus des baux emphytéotiques permettant à des particuliers de réaliser des projets privés de construction, qui échappent à l'exercice du droit de préemption au moyen de clauses de sortie subtiles de ces baux, avantageant les preneurs au détriment de l'intérêt public. Il en est ainsi de la commune de Chamarande (Essonne) où une personne, après avoir conclu un bail emphytéotique, a entamé des travaux d'aménagement de ce terrain, en le déboisant partiellement pour y installer des caravanes. Ces terrains sont toutefois compris dans une zone de préemption au titre des espaces naturels sensibles. Dans ce contexte, c'est le maire de la commune qui alerte au sujet des risques d'instrumentalisation des limites du droit de préemption urbain en matière de baux emphytéotiques au bénéfice de locataires souhaitant esquiver l'obligation de déposer une déclaration d'intention d'aliéner. L'impératif de protection de l'environnement, tel que garanti par la charte de l'environnement, pouvait paraître porteur d'aspirations ambitieuses propres à réformer les pratiques administratives et les conditions d'exercice du pouvoir, afin notamment de renforcer le potentiel environnemental des acteurs publics. Il apparaît donc important de protéger les droits du maire et de lutter contre la fraude. Il lui demande donc de bien vouloir prendre la mesure des fraudes actuellement constatées au droit de préemption et d'étudier les possibilités de faire échec plus effectivement au détournement de baux emphytéotiques à cette fin.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales publiée le 26/10/2022

Réponse apportée en séance publique le 25/10/2022

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, auteur de la question n° 177, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales.

M. Jean-Raymond Hugonet. Depuis de trop nombreuses années, le phénomène des constructions illégales est devenu un véritable fléau pour nos communes. L'absence d'un réel traitement administratif et juridique efficace renforce dangereusement le sentiment du deux poids, deux mesures auprès de nos concitoyens. Or, depuis quelque temps maintenant, une nouvelle étape vient d'être franchie.

Dans mon département, l'Essonne, plus de 60 % des communes sont confrontées à la prolifération de constructions illégales liées au détournement de droit de préemption urbain, par le biais de la signature d'un bail emphytéotique.

Les malfaisants font usage d'une faille juridique révélée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a jugé, dans une décision du 11 mai 2000, que le droit de préemption urbain s'applique à des mutations de propriété, mais non à des mutations de jouissance.

Cette faille permet de contourner le droit de préemption. Rien de plus simple : il suffit de signer un bail emphytéotique, qui peut être d'une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans et permet de devenir quasi-propriétaire à moindre prix.

Sitôt le terrain loué, des constructions, bafouant les règles d'urbanisme en vigueur, sortent de terre au nez et à la barbe du maire et des riverains.

Les maires ont alors pour seul recours le dépôt de plainte. Aujourd'hui, des centaines de procédures interminables et sans effet sont en cours d'instruction dans le département. Nous sommes là devant un détournement manifeste de la réglementation. Il est plus qu'urgent de faire cesser ce phénomène dévastateur. Quelles mesures comptez-vous prendre, madame la ministre ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, comme vous l'avez dit, le 11 mai 2000, la Cour de cassation a jugé que le bail à construction, ainsi que le bail emphytéotique ne sont pas soumis au droit de préemption urbain. Toutefois, si le contrat de bail prévoit que la propriété du bien loué doit être transférée au preneur en fin de contrat, la cession à titre onéreux des droits réels immobiliers, tels que le droit réel immobilier conféré par un bail emphytéotique ou à construction, est soumise au droit de préemption urbain.

Cette décision est transposable au droit de préemption en espaces naturels sensibles. En l'état actuel de la réglementation, la déclaration d'intention d'aliéner s'applique uniquement à des mutations à titre onéreux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance de terrains. Le juge rappelle cependant que si le bail emphytéotique prévoit un transfert du droit réel de propriété à la fin du bail, ce dernier sera, lui, soumis au droit de préemption dans les espaces naturels sensibles.

Par ailleurs, les règles en matière de construction et d'aménagement, de coupe et abattage d'arbres ou de stationnement de caravanes sont très restrictives en zones naturelles et agricoles. Le refus d'autorisation en matière du droit des sols en conformité avec les règles d'urbanisme, dont la compétence appartient au maire ou à l'établissement public de coopération intercommunale selon le cas, est également de nature à favoriser la protection de ces espaces sensibles et à les préserver.

Il appartiendra donc au notaire, chargé d'établir le bail, de déterminer si ce dernier est soumis au droit de préemption en espaces naturels sensibles, selon l'effectivité du transfert de la propriété à la date d'expiration du bail. Il est recommandé à l'ensemble de la profession, représentée par le Conseil supérieur du notariat, la plus grande vigilance sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, en raison de votre expérience de maire, vous êtes parfaitement consciente du sujet. Vous avez rappelé le droit en vigueur, que nous connaissons par cœur.

En revanche – et je le dis alors que mon collègue maire de Longpont-sur-Orge Alain Lamour est présent en tribune –, il existe un fossé avec la réalité de la situation sur le terrain, celle d'un maire qui doit faire face à un problème que le droit ne traite pas complètement. Il est urgent, madame la ministre, que nous nous emparions du sujet.

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