Question de Mme CANAYER Agnès (Seine-Maritime - Les Républicains-A) publiée le 10/11/2022

Mme Agnès Canayer attire l'attention de M. le secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, concernant le dumping social dans le cadre du trafic transmanche.
En 2019, le Brexit soulevait des incertitudes sur la forme future des échanges entre le Royaume-Uni et le reste de l'Union européenne dont notamment son principal voisin : la France.
Le trafic transmanche est au cœur de la relation franco-britannique. La Manche est d'ailleurs considérée comme l'une des mers les plus fréquentées au monde, ce qui témoigne de la densité des flux dans la zone. Outre des marchandises, le trafic de voyageurs représente une activité importante pour nos économies et, plus particulièrement, pour les territoires littoraux.
Or, depuis plusieurs mois, le trafic transmanche de voyageurs traverse une crise inédite. En mars 2022, la compagnie P&O a licencié à distance et par surprise 800 de ses marins. Ces derniers ont été remplacés par des travailleurs non européens à très bas salaires et à fortes amplitudes horaires. Cette situation largement dénoncée par la classe politique britannique n'a pas pour autant été suivie d'actions concrètes et efficaces.
Faisant face à une concurrence déloyale, les armateurs français voient leur modèle économique fragilisé. Il est estimé jusqu'à 80 % de différence quant aux charges salariales entre armateurs français et britanniques. Cette distorsion manifeste du marché est d'autant plus amplifiée par la position importante des armateurs anglo-saxons, P&O et Irish Ferries, qui détiennent environ 30 % du marché. Autrement dit, ils possèdent un pouvoir d'influence certain, sur le marché et des conditions favorables pour le renforcer, au détriment d'acteurs rémunérant dignement les personnels embarqués.
Sans régulation efficace de la part des autorités, il est à craindre un réajustement à la baisse des offres françaises sur le modèle des armateurs britanniques, ce qui entraînera, de facto, un licenciement massif des marins français et une crise sociale majeure.
Le gouvernement français s'est engagé à réaliser des contrôles sur les conditions de travail de ces marins à bas coût.
Aussi, elle souhaiterait connaître les premiers résultats de ces contrôles, les moyens déployés par le Gouvernement pour les réaliser et les intentions de ce dernier quant à la résolution du dumping social au sein du trafic transmanche de voyageurs.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer publiée le 30/11/2022

Réponse apportée en séance publique le 29/11/2022

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 254, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.

Mme Agnès Canayer. En 2019, le Brexit soulevait des incertitudes quant à la forme que prendraient les futurs échanges entre le Royaume-Uni et son principal voisin, la France.

Le trafic transmanche, qui a cours sur l'une des mers les plus fréquentées au monde, est au cœur de la relation franco-britannique. Indépendamment du transport de marchandises, le trafic des voyageurs représente une activité essentielle pour nos territoires littoraux.

Or, depuis plusieurs mois, le trafic transmanche de voyageurs traverse une crise inédite. En mars dernier, la compagnie P&O Ferries a licencié, à distance et par surprise, 800 de ses marins, qui ont été remplacés par des travailleurs non européens à très bas salaires et soumis à de fortes amplitudes horaires.

Ainsi, les armateurs français, qui font face à une concurrence déloyale, voient leur modèle économique fragilisé. Le 15 novembre dernier, le Syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche, auquel le département de la Seine-Maritime participe, a signé avec l'armateur DFDS un nouveau contrat de délégation de service public portant sur la période 2023-2027. Si le conseil départemental s'est autant investi, c'est que le trafic transmanche est vital pour la Seine-Maritime.

Néanmoins, l'équilibre est aujourd'hui menacé. Il est estimé que la différence de charges salariales, qui s'élève à 80 %, entre armateurs français et armateurs britanniques crée une distorsion de concurrence, laquelle est amplifiée par la position dominante de P&O Ferries, qui contrôle plus de 30 % du marché. Le pouvoir d'influence certain de cette compagnie sur le marché est en train, grâce à ce dumping, de se renforcer, au détriment des acteurs français.

Sans une régulation efficace des autorités, on peut craindre un ajustement à la baisse des offres françaises sur le modèle des armateurs britanniques, et donc, de facto, une crise sociale majeure.

Le gouvernement français s'est engagé à réaliser des contrôles sur les conditions de travail des marins à bas coût que j'évoquais. Aussi, je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d'État, les premiers résultats de ces contrôles, les moyens déployés par le Gouvernement pour les réaliser et vos intentions pour mettre fin au dumping social au sein du trafic transmanche.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, je veux avant toute chose vous remercier de votre implication sur ce sujet important pour nos territoires, notamment pour votre beau département.

Depuis juillet dernier, l'enjeu de ce dumping social, qui a fait suite au licenciement brutal par P&O Ferries de 800 marins, est une priorité de mon ministère et de l'ensemble du Gouvernement.

Depuis cette date, vous l'avez indiqué, nous agissons, en lien avec les armateurs, mais également avec les Britanniques, pour avancer sur ce sujet et empêcher l'émergence, dans le trafic transmanche, d'un modèle social fondé sur le moins-disant.

Tout d'abord, nous avons organisé, pour la première fois, une réunion tripartite rassemblant le Gouvernement, les armateurs et les syndicats, afin de reconnaître ensemble l'urgence à agir.

Ensuite, j'ai diligenté en août dernier une mission d'inspection devant lister toutes les solutions possibles à ce problème, y compris une loi de police. Il s'agirait de légiférer, donc de soumettre un projet de loi au Parlement, pour interdire à tout navire ne respectant pas certaines conditions de débarquer dans un port français.

Un deuxième levier identifié consiste à publier une déclaration commune émanant des deux gouvernements – j'ai rencontré, hier encore, la ministre britannique chargée de ce sujet –, afin de préciser nos intentions politiques et de signifier aux armateurs concernés, c'est-à-dire aux compagnies qui pratiquent un modèle low cost, que le Royaume-Uni et la France n'accepteront pas de voir se développer ce dumping social dans le trafic transmanche.

Enfin, cela passe par une charte d'engagement des entreprises du secteur, que je signerai demain avec les régions concernées – la Normandie, les Hauts-de-France et la Bretagne –, afin de favoriser un modèle social correspondant à nos standards et à notre volonté politique, et pour renforcer la sécurité dans la Manche, un des secteurs maritimes les plus fréquentés au monde, car ces pratiques ont bel et bien un impact sur la sécurité.

Ainsi, vous le voyez, notre ambition politique est réelle : nous agissons, et nous continuerons de le faire parce qu'il y va de la sécurité maritime de notre territoire.

M. Bruno Sido. Très bien !

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