Question de M. OUZOULIAS Pierre (Hauts-de-Seine - CRCE) publiée le 08/12/2022

M. Pierre Ouzoulias interroge M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse au sujet de la publication des indices de position sociale (IPS) et du rôle joué par l'enseignement privé dans la ségrégation scolaire.

Condamné en juillet 2022 par le tribunal administratif de Paris, le ministère de l'éducation nationale a été contraint de rendre publics les indices de position sociale (IPS) des écoles élémentaires et des collèges français.

L'IPS est aujourd'hui calculé selon une méthodologie établie par les services statistiques de l'éducation nationale, en fonction des catégories socioprofessionnelles des deux parents, de leurs diplômes, des conditions de vie, du capital, des pratiques culturelles et de l'implication des parents dans la scolarité de leur enfant.

L'analyse de ces résultats est sans appel : les collèges privés concentrent en leur sein une part importante des élèves les plus favorisés, confirmant ainsi qu'une ségrégation scolaire est en train de se réaliser dans notre pays.

Ainsi, parmi les 10 % de collèges à l'IPS le plus faible, on ne compte que 23 établissements privés sous contrat, soit 3,3 % de ces 696 collèges. À l'inverse, parmi les 10 % de collèges à l'IPS le plus important, on dénombre 424 établissements privés sur ces 696 collèges, soit 60,9 % d'entre eux. Ce ratio s'élève à 81 % pour les 100 collèges aux plus hauts IPS et à 90 % pour les 10 premiers.

Cette tendance générale s'illustre parfaitement dans son département. Dans les Hauts-de-Seine, les 15 collèges à l'IPS le plus faible sont des établissements publics, tandis que les 15 collèges à l'IPS le plus élevé sont des établissements privés sous contrat.

Ce fait est d'autant plus grave que notre système éducatif est l'un de ceux, parmi les pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où la réussite scolaire d'un enfant dépend le plus de son origine sociale. En captant les élèves les plus favorisés, l'enseignement privé accentue le phénomène, tout en se situant en concurrence directe avec l'école de la République.

Il s'insurge contre ce mouvement de fond, alors même que 73 % du budget des établissements privés sous contrat est fourni par l'État et les collectivités territoriales. Aussi il lui demande ce qu'il entend faire pour inverser cette tendance désastreuse, laquelle nuit profondément à l'égalité des droits et au projet émancipateur de la République. Il souhaite connaître son opinion au sujet de l'obligation qui pourrait être faite aux établissements privés sous contrat de remplir des objectifs de mixité sociale.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre des armées et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, chargé de la jeunesse et du service national universel publiée le 14/12/2022

Réponse apportée en séance publique le 13/12/2022

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, auteur de la question n° 300, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d'État, le ministère de l'éducation nationale a tardé à publier les indices de position sociale (IPS) des écoles élémentaires et collèges français. Il a finalement été contraint de le faire par la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada).

Pourquoi nous avoir caché ces chiffres ? Sans doute car ils sont catastrophiques ! Ils montrent qu'il existe aujourd'hui une très forte ségrégation sociale dans nos établissements scolaires. Pour le dire de façon quelque peu abrupte, les riches vont dans des écoles de riches, les pauvres dans des écoles de pauvres… C'est la triste réalité.

Dans les Hauts-de-Seine, les quinze collèges à l'IPS le plus faible sont des établissements publics, tandis que les quinze collèges à l'IPS le plus élevé sont des établissements privés. Cette ségrégation scolaire renforce les phénomènes connus de ségrégation sociale et territoriale. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a d'ailleurs montré que le système éducatif français était l'un des systèmes occidentaux les plus injustes socialement.

Que peut-on faire, que pouvez-vous faire, madame la secrétaire d'État, pour changer les choses ?

Sachant que 73 % du budget des établissements privés sous contrat est fourni par l'État, ce dernier ne pourrait-il pas conditionner son aide à l'atteinte d'objectifs de mixité sociale ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre des armées et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Monsieur le sénateur Ouzoulias, l'école de la République est évidemment le premier lieu où nos jeunesses doivent se rencontrer, quelles que soient leurs origines, leurs situations sociales ou culturelles.

L'école doit offrir à tous les mêmes opportunités. Et pour que cette égalité des chances devienne réalité, il faut lutter contre le déterminisme, et donc contre le manque de mixité.

Parce que ce sujet lui tient à cœur, dès sa prise de fonction, le ministre de l'éducation nationale Pap Ndiaye a choisi de faire de la mixité sociale sa priorité d'action.

Dans la circulaire de rentrée 2022, il a posé une première brique en demandant aux recteurs de fixer des objectifs de progression de la mixité sociale dans les établissements. Plusieurs leviers ont été activés.

Tout d'abord, des offres pédagogiques attractives ont été proposées dans les établissements défavorisés. Ainsi, plus de 43 nouvelles sections internationales ont été créées à la rentrée scolaire 2022 dans des collèges figurant parmi les plus défavorisés de 21 académies. La même démarche s'applique pour des classes à horaires aménagés – danse, théâtre et sections sportives –, ou encore pour des classes bilingues.

Ensuite, l'action du ministère de l'éducation nationale s'est portée sur la mixité au sein des lycées et des collèges. Depuis la rentrée scolaire 2021, 94 lycées publics parmi les plus favorisés identifiés par les académies se sont vus attribuer des objectifs de progression de leur taux d'élèves boursiers. Depuis la rentrée 2022, cette action a été étendue à 230 collèges. Ces mesures doivent s'inscrire dans la durée et être amplifiées.

Enfin, le nerf de la guerre réside dans le travail sur la sectorisation et l'affectation, qui permet de corriger les effets de la ségrégation – pour reprendre un terme que vous avez employ頖 par l'habitat. Tel est notamment l'objectif des opérations portant sur la redéfinition de la carte scolaire – un sujet très débattu ! –, qu'il s'agisse de définir des secteurs multicollèges ou de revoir certaines sectorisations.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, il est aussi possible d'engager des discussions avec l'enseignement privé ; il ne faut pas avoir de tabou. L'action en faveur de la mixité sociale à l'école n'a de sens que si elle est globale, partenariale et ancrée dans la réalité de nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d'État, j'entends votre réponse, mais je constate une différence de traitement : au public, vous fixez des engagements ; avec le privé, vous engagez des négociations…

J'aurais aimé que vous me répondiez que vous alliez rectifier certaines choses, notamment pour que l'enseignement privé intègre la sectorisation – il permet aujourd'hui de la contourner. Les paroles ne suffisent plus, madame la secrétaire d'État, nous voulons des actes.

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