Question de Mme DARCOS Laure (Essonne - Les Républicains) publiée le 15/12/2022

Mme Laure Darcos interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les modalités pratiques d'indemnisation des entreprises en application de la théorie de l'imprévision. L'article R2194-5 du code de la commande publique dispose que « le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ». Cette rédaction, inscrite au même chapitre que les dispositions relatives aux autres hypothèses de modification du marché, implique que l'indemnisation au titre de l'imprévision fasse l'objet d'un avenant, celui-ci modifiant le marché. Or, la circulaire n° 6338/SG du 27 mars 2022, relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières, indique a contrario en son point 2 que « l'indemnisation d'imprévision ne peut pas, en principe, être formalisée dans un avenant au contrat puisqu'elle n'a pas pour vocation d'en modifier les stipulations mais seulement de compenser temporairement des charges extra-contractuelles. Elle sera dès lors formalisée par une convention liée au contrat, applicable pendant la situation d'imprévision et qui pourra comprendre une clause de rendez- vous à l'issue du contrat de manière à fixer le montant définitif de l'indemnité ». Le Gouvernement semble ainsi considérer que les indemnisations pour imprévision ne doivent pas faire l'objet d'un avenant. Aussi, elle souhaiterait qu'il lui soit précisé si l'indemnisation des cocontractants de l'administration au titre de l'imprévision doit faire l'objet d'un avenant au marché ou d'une convention ad hoc, les règles de passation de ces deux types de documents étant différentes, notamment pour les collectivités territoriales.

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Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique publiée le 07/09/2023

Le droit de la commande publique prévoit les cas, les conditions et les limites dans lesquels les contrats de la commande publique peuvent être modifiés. L'article R. 2194-5 du code de la commande publique, sur « la modification (…) rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir », constitue l'une de ces différentes possibilités. Ces modifications sont généralement formalisées dans un avenant au contrat, mais elles peuvent également prendre la forme d'une modification unilatérale de l'acheteur lorsque le contrat de la commande publique en cause peut être qualifié de contrat administratif en application des dispositions combinées des articles L. 6 et L. 2194-2 du code de la commande publique. L'indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision relève d'un régime différent qui vise à dédommager partiellement le titulaire du préjudice qui résulte de l'exécution du contrat malgré le bouleversement temporaire de son équilibre économique. Comme le précise le Conseil d'État dans son avis du 15 septembre 2022 relatif aux possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d'application de la théorie de l'imprévision, il s'agit d'un droit pour le titulaire, prévu au 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique, alors que la modification du contrat n'est qu'une faculté pour les parties (point 21 de l'avis). Par ailleurs, la « convention d'indemnisation [accordée sur le fondement de la théorie de l'imprévision] de même d'ailleurs qu'une décision unilatérale de l'autorité administrative fournissant une aide financière pour pourvoir aux dépenses extracontractuelles afférentes à la période d'imprévision (CE Ass. 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg, n° 89655), ne peut être regardée comme une modification d'un marché ou d'un contrat de concession au sens des dispositions […] des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du code de la commande publique » et, par suite, « n'est pas soumise aux conditions et limites posées par ces dispositions, mais uniquement à celles prévues par les dispositions du 3° de l'article L. 6 du même code qui codifie la jurisprudence administrative sur l'imprévision » (point 22 de l'avis). Enfin, le Conseil d'État a estimé que « l'indemnité d'imprévision visant, ainsi qu'il a été dit, à compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire, elle ne peut être regardée comme une conséquence financière de l'exécution du marché. Dès lors, qu'elle soit allouée par décision unilatérale de l'autorité administrative, négociée dans le cadre d'une convention d'indemnisation ou octroyée par le juge administratif, elle n'a pas à être inscrite dans le décompte général et définitif, à la différence des indemnités allouées à l'entrepreneur au titre des sujétions imprévues (CE, 31 juillet 2009, Société Campenon Bernard et autres, n° 300729) » (point 28 de l'avis). C'est pourquoi, dès lors que ce droit à indemnité relève d'un régime juridique distinct des règles de modification des contrats en cours et des règles d'établissement du décompte général du contrat, la circulaire n° 6374/SG de la Première ministre du 29 septembre 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n° 6338/ G du 30 mars 2022 précise que les parties peuvent aussi choisir, plutôt que de modifier le contrat, de conclure une convention d'indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision codifiée au 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique. Par conséquent, l'octroi d'une indemnité d'imprévision doit être formalisé non pas dans un avenant au contrat, mais dans une convention indemnitaire ad hoc qui peut être qualifiée de transaction si elle en remplit les conditions de sa caractérisation au sens et pour l'application des articles 2044 du Code civil et L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration. Enfin, comme le souligne le Conseil d'État dans son avis du 15 septembre précité, l'octroi de cette indemnité peut être cumulé avec une modification du marché, même lorsque celle-ci est faite sur le fondement de l'article R. 2194-5 (point 24 de l'avis).

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