Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - CRCE) publiée le 22/12/2022

Mme Laurence Cohen interroge Mme la Première ministre sur la situation du village Prospérité en Guyane et la protection des droits des peuples autochtones.
En 20 ans, la population en Guyane a doublé, entrainant un accroissement des besoins en énergie. Le projet de la centrale électrique de l'ouest guyanais (CEOG) à Saint-Laurent-du-Maroni cherche à y répondre. La centrale sera alimentée par un parc de panneaux photovoltaïques et un stockage d'énergie à l'hydrogène. Du fait d'un manque d'anticipation des autorités, le projet s'est construit dans l'urgence et sans consultation préalable des habitants et habitantes du village Prospérité situé à proximité. Or le peuple autochtone Kali'na qui y vit, sans s'opposer au projet lui-même, exige son déplacement dans un autre lieu.

En effet, des panneaux solaires seront placés à moins de 2 kilomètres de certaines habitations, sur une « zone de subsistance » qui contribue en partie à l'autonomie du village et où vivent 41 espèces protégées. Par ailleurs, la construction de la centrale impliquerait le déboisement de 78 hectares de forêt. Tout cela aurait donc pu être pris en considération dès les prémices du projet, d'autant plus que la région ne manque pas de terres appartenant à l'État déjà déboisées, en partie par l'orpaillage illégal mais pas seulement.

La consultation dont se vante la société Hydrogène de France n'a jamais constitué un véritable dialogue, les décisions étant en réalité déjà prises en amont. Le chef du village Prospérité a été placé en garde à vue le 24 octobre 2022 après un déploiement disproportionné de forces de l'ordre car il a empêché les engins de continuer les travaux. Ce manque de considération des traditions et des aspirations des populations Kali'na s'agissant des questions relatives à la terre, est inacceptable et a révolté l'opinion publique guyanaise. Le peuple Kali'na vivait dans cette partie de la forêt amazonienne bien avant l'installation des autorités françaises en Guyane.

Vu le contexte démographique de la Guyane, il y a peu de doute que ce genre de projet et les conflits qui s'y attachent vont se multiplier dans les années à venir. Pour limiter l'impact sur l'Amazonie et les populations locales, il parait pertinent que la France se dote d'outil juridique pour garantir les droits des autochtones et ratifie la convention n°169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l'organisation internationale du travail, comme l'a fait l'année dernière l'Allemagne et comme l'ont recommandé le Parlement européen le 3 juillet 2018 et la commission nationale consultative des droits de l'homme à plusieurs reprises.

La France s'est jusqu'à présent opposée à la ratification de cette convention. En 2013 et 2019, en réponse à des questions écrites, les gouvernements en place ont affirmé que cette convention était contraire à la constitution, or le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur cette question.

Elle lui demande si elle entend inscrire à l'agenda parlementaire la ratification de la convention n°169 de l'organisation internationale du travail, laisser la possibilité au Parlement de se prononcer sur le fond du texte, et saisir le Conseil constitutionnel pour qu'il donne lui-même son avis sur sa conformité.

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Transmise au Ministère de l'Europe et des affaires étrangères


Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 11/05/2023

La ratification de la Convention n° 169 de l'organisation internationale du travail (OIT) soulève des difficultés d'ordre constitutionnel. En premier lieu, l'application juridique de cette convention conduirait à reconnaître des droits spécifiques à un ensemble de citoyens français défini sur des bases essentiellement ethniques. Cette approche est contraire au deuxième alinéa de l'article premier de la Constitution française selon laquelle la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion". Cette convention reconnaît l'existence de "peuples indigènes et tribaux", notion qui entre en contradiction avec l'unicité du peuple français garantie par notre constitution. Par décision n° 91-290 du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel français a en effet jugé que l'expression "peuple corse, composante du peuple français" était inconstitutionnelle. Il ne peut y avoir en France qu'un seul peuple français en raison du principe d'égalité et d'unicité. Or, la notion de "peuples indigènes et tribaux" impliquerait d'admettre l'existence de plusieurs peuples au sein de la République française. La ratification de la convention impliquerait aussi que des droits collectifs soient conférés à un groupe sur un fondement communautaire et non territorial. Or, dans sa décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que "la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français". Cependant l'article 723 de la Constitution dispose que "la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Le droit français n'exclut donc pas la reconnaissance des pratiques, des usages et des savoirs locaux des populations outre-merdans ses politiques publiques. Une réglementation spécifique et des outils juridiques prenant en compte les réalités coutumières en Guyane s'est progressivement constituée, notamment au bénéfice des populations autochtones. À titre d'exemple, le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengé (GCCPAB) a pour objet d'assurer la représentation des populations amérindiennes et bushinengé et de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux. Il constitue un organe consultatif dont les possibilités de saisine ont été élargies par rapport au conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengé de Guyane, mis en place par la loi organique du 21 février 2007 relative à l'outre-mer. Ce dispositif permet, en outre, de tenir compte des besoins assez semblables des populations bushinengé qui, descendantes de populations ayant fui l'esclavage, ne pourraient se prévaloir d'une occupation ancestrale à l'instar des différentes tribus amérindiennes, mais qui entretiennent, elles aussi, un mode de vie en lien très étroit avec la nature notamment. En matière foncière, des dispositions particulières au domaine privé de l'État en Guyane sont également prévues par le code général de la propriété des personnes publiques pour permettre notamment l'attribution par le préfet de concessions à titre gratuit des terrains domaniaux situés dans une zone déterminée en vue de la culture ou de l'élevage ou pour pourvoir à l'habitat de leurs membres. Ces droits d'usage sont ainsi octroyés à titre temporaire à des communautés d'habitants constitués en associations ou en sociétés (article R. 5143-4). Le ministre délégué aux outre-mer a par ailleurs annoncé, le 17 janvier 2023, une simplification du processus d'attribution du foncier devant encore être rétrocédé par l'État aux communes dans le cadre des Accords de Guyane. Les cessions ne seront plus assujetties à des projets mais se feront sur simple décision du conseil municipal et la fiscalité sur ce foncier sera entièrement réservée aux communes. Enfin, sur le sujet particulier de la centrale électrique de l'ouest guyanais (CEOG), si le village amérindien Prospérité a reproché à l'entreprise des consultations locales insuffisantes, des tractations se sont engagées entre le village et CEOG, sous médiation de l'État. En commission d'attribution foncière en février 2021, un accord a été trouvé à l'unanimité pour accorder aux habitants de Prospérité une concession à l'Ouest du projet, et une zone de droit d'usage collectif (ZDUC) à l'Est, avec des passages pour la chasse au travers de l'emprise CEOG.

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