Question de M. VALLINI André (Isère - SER) publiée le 16/03/2023

M. André Vallini interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique au sujet de la confiscation sans condamnation pénale de biens provenant d'activités illégales ou utilisés dans l'exercice de telles activités.

Le 8 décembre 2022, il lui posait une question sur les avoirs confisqués russes. Dans la réponse obtenue, il est clairement indiqué que la France n'a pas encore adopté la confiscation sans condamnation pénale (aussi dite administrative), contrairement aux recommandations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a notamment vanté les modèles irlandais et italien. Sans oublier que l'Union européenne encourage, elle aussi, la confiscation sans condamnation préalable, notamment dans sa Directive 2014/42.
Plusieurs pays voisins ont déjà mis en place cette saisie des avoirs sans jugement ou condamnation pénale : le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore la Bulgarie.

En outre, la convention contre la corruption de l'organisation des nations unies la mentionne à l'article 54, encourageant chaque État à « envisager de prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de biens acquis par le biais ou impliqué dans la commission d'une infraction établie conformément à la présente convention en l'absence de condamnation pénale lorsque l'auteur de l'infraction ne peut être poursuivi pour cause de décès, de fuite ou d'absence ou dans d'autres cas appropriés ».

Cette mesure répressive prise à l'encontre de l'avoir, et non de la personne, est une mesure importante pour prévenir et combattre la criminalité organisée. Un dispositif est nécessaire afin de pourvoir à l'administration de ces biens ou de biens saisis et permettre leur affectation à des fins socialement utiles, notamment l'aide aux personnes victimes d'infractions criminelles et la prévention, la détection ou la répression de la criminalité.

Ainsi, il souhaite donc savoir si et quand la France compte adopter le modèle recommandé par le Conseil de l'Europe afin de mettre en place la confiscation des avoirs criminels sans condamnation préalable.

- page 1811

Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 18/05/2023

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en droit interne, seule existe effectivement la confiscation pénale, qui suppose une déclaration de culpabilité préalable et constitue une peine complémentaire. Il n'existe donc pas de dispositifs répondant à la définition traditionnelle de confiscation en l'absence de condamnation pénale. Toutefois, le mécanisme de non-restitution du produit ou de l'instrument de l'infraction, prévu par l'article 41-4 du code de procédure pénale, produit en réalité des effets similaires, dans la limite de ses conditions d'application, à une confiscation en l'absence de condamnation pénale, et ce depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 transposant la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne. Cette non-restitution produit les effets matériels et juridiques d'une confiscation au sens de la Convention de Palerme (« dépossession permanente du bien »). Le propriétaire du bien en est privé et le bien est acquis à l'Etat. Il s'agit d'une forme de confiscation « in rem » puisqu'elle est fondée sur l'origine (produit) ou l'usage (instrument) illicite du bien sans aucune référence à l'auteur de l'infraction. Par ailleurs, lorsque le mis en cause ne peut être assujetti à une enquête ou poursuivi, un mécanisme plus large de non restitution est prévu dans le cas où les objets saisis sont qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement ou dont la détention est illicite, que ces biens soient ou non la propriété du condamné (articles 41-5 alinéa 4, 177 alinéa 4 et 212 alinéa 3 du code de procédure pénale et article 131-21 alinéa 7 du code pénal). Enfin, si la confiscation en l'absence de condamnation pénale n'a pas été à proprement parler introduite en droit interne, ce type de confiscation, lorsqu'elle est prononcée par une juridiction étrangère, peut être exécuté en France dans le cadre de l'entraide pénale internationale (Cass Crim, 13 novembre 2003, arrêt « Crisafulli ») sous la triple réserve que : - Les biens ont servi ou étaient destinés à commettre l'infraction, qu'ils paraissent être le produit direct ou indirect de l'infraction, ou que leur valeur correspond au dit produit ; - Les faits à l'origine de la demande – même en l'absence de condamnation – sont constitutifs d'une infraction dans la loi française ; - La décision étrangère ordonnant la confiscation a été prononcée dans des conditions garantissant la protection des libertés individuelles et les droits de la défense. La législation française en la matière est également amenée à évoluer dans la mesure où la Commission européenne a publié le 25 mai 2022 une proposition de directive relative au recouvrement des avoirs et à la confiscation, laquelle procède à une refonte totale de la précédente directive 2014/42 du 3 avril 2014 dite « gel et la confiscation » et à une révision de la décision 2007/845/JAI du Conseil du 6 décembre 2007 relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs. La directive en cours de négociation souhaite accroître encore davantage les possibilités de confiscation sans condamnation. En effet, l'article 15 du projet de directive déposé par la Commission européenne invite les Etats membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour confisquer les biens instruments ou produits d'un crime lorsque des procédures judiciaires ont été menées mais n'ont pu aboutir en raison d'un nombre limité de circonstances : la maladie, la fuite, le décès de la personne suspectée ou poursuivie, ainsi que l'immunité ou l'amnistie et/ou le fait que les délais prescrits par le droit national ont expiré. Le champ d'application en termes d'infractions est limité à celles passibles d'une peine d'emprisonnement encourue d'au moins 4 ans. L'article 15 du projet prévoit également que les Etats membres doivent veiller au respect des droits procéduraux de la personne en cause, notamment à son droit d'avoir accès au dossier et d'être entendu sur des questions de droit et de faits. De plus, l'article 16 du projet de directive de la Commission prévoit un mécanisme inspiré de ceux existant en droit allemand ou italien : les Etats membres doivent ainsi se doter, sous certaines conditions, d'un dispositif permettant la confiscation d'une fortune inexpliquée liée à des activités criminelles, indépendamment de l'existence ou non d'une décision de condamnation pour une infraction spécifique. La transposition de ce mécanisme en droit interne aura ainsi vocation à étendre le champ des confiscations susceptibles d'intervenir sans condamnation.

- page 3262

Page mise à jour le