Question de Mme DREXLER Sabine (Haut-Rhin - Les Républicains-A) publiée le 03/10/2024
Mme Sabine Drexler interroge M. le ministre de l'intérieur sur les conséquences en Alsace du projet de légalisation du cannabis en Allemagne.
Le plan du gouvernement allemand se compose de deux volets. Le premier prévoit la création d'associations à but non lucratif, qui pourront cultiver légalement du cannabis et en fournir à leurs membres, sous surveillance des pouvoirs publics. Parallèlement, si outre-Rhin la détention et la consommation de cannabis continueront de rester interdites aux mineurs, les adultes seront en revanche désormais autorisés à en posséder jusqu'à 25 grammes ainsi qu'à cultiver trois plants de cannabis femelle, les plus recherchés en raison de leur plus forte teneur en tétrahydrocannabinol (THC).
Les réformes annoncées auront d'importantes conséquences dans les territoires frontaliers de l'Allemagne, notamment en Alsace, territoire français où la législation nationale prohibe ces pratiques. Un afflux de frontaliers en Allemagne est alors à redouter, entraînant une augmentation du trafic de drogue et des troubles dans les villes frontalières alsaciennes à l'instar de Strasbourg ou encore Huningue.
Aussi, elle lui demande quelle stratégie il entend mettre en place afin de limiter dans les régions frontalières les externalités négatives de la légalisation du cannabis en Allemagne.
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Transmise au Ministère de l'intérieur
Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 22/05/2025
La nouvelle législation allemande légalisant le cannabis à usage récréatif (consommation, usage, détention et culture) est entrée progressivement en vigueur en avril 2024 puis le 1er juillet 2024 pour la culture associative. Comme en tout domaine, les règles pourraient être contournées, notamment par des réseaux criminels opportunistes, et la France est potentiellement exposée, du fait de sa proximité géographique, à de nouveaux risques en matière de trafics de stupéfiants. Les forces de sécurité intérieure de l'État y sont particulièrement attentives. Toutefois, de l'avis des services de police spécialisés, la nouvelle situation qui prévaut outre-Rhin ne devrait pas bouleverser la structuration du trafic de cannabis hexagonal. En France, l'herbe de cannabis est majoritairement importée depuis l'Espagne. Elle est acheminée par des réseaux solidement ancrés dans les trafics, maîtrisant les routes et les modes opératoires et dont une réorganisation motivée par la seule nouvelle situation allemande apparaît peu concevable. La légalisation outre-Rhin pourrait néanmoins faire apparaître de nouveaux réseaux d'approvisionnement. En effet, le non-respect de la limite des quantités produites dans les « Cannabis Social Clubs », avec une revente des excédents à des non-adhérents, est un risque identifié. En Catalogne par exemple, les réseaux criminels ont infiltré des « clubs cannabiques », pour les détourner de leur but initial et les transformer en véritables entreprises criminelles permettant d'alimenter les trafics. L'Espagne ne pénalise pas formellement la culture pour un usage personnel dans des lieux non visibles du public, ni la possession et l'utilisation dans le cadre privé. S'agissant de la culture individuelle, le risque qu'un usager-revendeur puisse vendre à des tiers non-résidents en Allemagne, notamment français, une production plus élevée qu'autorisée, est réel. Néanmoins, cette évolution serait certainement résiduelle au regard de la quantité des volumes en jeu. De surcroît, les consommateurs français sont à la recherche de cannabis plus fortement dosé que celui proposé en Allemagne. Des conséquences potentiellement plus marquées sont toutefois possibles dans les départements frontaliers. Le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle sont susceptibles de faire face à une réorganisation du narco-banditisme local. Si les trafiquants locaux importent le cannabis à partir du Maroc et de l'Espagne, ils se fournissent également, pour partie, aux Pays-Bas. Ainsi, une diversification des routes d'approvisionnement de proximité des « points de deal » de l'Est de la France est susceptible de voir le jour si des failles dans le cadre normatif allemand se révélaient exploitables. Enfin, un éventuel « narco-tourisme » de Français se rendant en Allemagne pour leur propre consommation se heurterait aux dispositions légales qui ne s'appliquent qu'aux résidents allemands. L'acquisition de cannabis par un ressortissant français demeure donc une infraction. Pour l'heure, les saisies de stupéfiants ou le nombre d'amendes forfaitaires délictuelles dans les départements frontaliers avec l'Allemagne ne laissent pas apparaître d'évolution significative par comparaison avec la période précédant la légalisation. Pour la gendarmerie nationale, en ce qui concerne sa zone de compétence, aucune indication ne laisse supposer l'émergence d'un « tourisme du cannabis », malgré le renforcement des contrôles quotidiens aux frontières par la police allemande. La région de gendarmerie Grand-Est n'a pas constaté d'impacts notables suite à l'introduction de la légalisation partielle du cannabis en Allemagne. La période étudiée est cependant encore trop courte pour conclure, ou non, à un impact du changement de législation allemande sur la France. Les changements sur la criminalité ne pourront se faire ressentir qu'à moyen et long termes, en raison des cadres juridiques diamétralement opposés des deux pays. La plus grande vigilance n'en demeure pas moins nécessaire. Les forces de police sont donc attentives à l'évolution de la situation. L'Office antistupéfiants (OFAST) de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) dispose d'une antenne à Strasbourg, chef de file dans la région de la lutte contre les stupéfiants. L'antenne de l'OFAST assure notamment le pilotage de la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) du Haut-Rhin. Elle dispose, en outre, d'un détachement à Mulhouse, mobilisé sur des missions opérationnelles. La CROSS étant axée sur le recueil et l'analyse du renseignement, elle est particulièrement mobilisée et contribue à l'ouverture de procédures judiciaires et douanières au profit des services engagés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants dans la région frontalière. Les militaires de la gendarmerie affectés dans les CROSS de la région GRAND-EST seront également en mesure d'effectuer une analyse du risque de la législation allemande, en lien avec les autorités allemandes frontalières et le Centre de Coopération Policière et Douanière de Kehl (CCPD). Une vigilance toute particulière est portée sur les quantités saisies, sur le nombre de « points de deal » dans les villes et départements frontaliers ainsi que sur l'évolution du nombre d'infractions délictuelles d'usage de stupéfiants.
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