Question de M. BLANC Étienne (Rhône - Les Républicains) publiée le 31/10/2024
M. Étienne Blanc appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la nature juridique du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI).
Le 10 janvier 2008, il déposait, aux côtés de Jean-Luc Warsmann une proposition de loi dont l'objectif était d'améliorer l'exécution des décisions de justice pénale. Était ainsi créée, au chapitre Ier, une aide au recouvrement des dommages-intérêts accordés par la justice pénale. Cette initiative importante a abouti à la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 puis à la création, au sein du FGTI, au service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (SARVI). L'exposé des motifs de la proposition de loi a rappelé la nature juridique du FGTI, la qualifiant de « personne morale de droit privé ». Cette qualification se justifiait notamment par les liens très étroits que le FGTI entretenait avec le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), expressément qualifié par la loi de personne morale de droit privé.
Pourtant, dans un avis rendu le 22 mai 2019 contre l'avis du rapporteur public, le Conseil d'État a considéré que le FGTI était un organisme de droit public. La Cour de cassation semble, elle, considérer que le fonds est, au contraire, une personne morale de droit privé.
Au-delà de cette question de qualification juridique, il importe de déterminer, dans l'attente d'une éventuelle clarification législative, quelle juridiction est compétente en cas de litige opposant une victime au FGTI : le juge judiciaire ou le juge administratif ? Répondre à cette question suppose notamment de confirmer expressément que le SARVI participe bien au service public de la justice, au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire. Sur ce point, selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'exécution des décisions de justice fait partie intégrante du « procès » ; c'est pourquoi les juridictions de l'ordre judiciaire semblent avoir une conception extensive du service public de la justice : ainsi, il a été jugé qu'une association mettant en oeuvre un droit de visite médiatisé, décidé par un juge aux affaires familiales, « participe au service public de la justice », même si ladite association n'a pas d'activité juridictionnelle à proprement parler (TJ Saint-Malo, 7 déc. 2021, n° 21/00221).
Il est donc demandé au ministère de la justice de prendre position sur ces questions importantes, d'autant qu'il semble, d'après le rapport d'activité 2023 de la fédération France victimes, que le SARVI ne donne pas entière satisfaction aux victimes qui le saisissent. Il est donc important de préciser les voies de recours qui leur sont offertes auprès du FGTI, le cas échéant après échec d'une solution amiable.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/08/2025
Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) est placé sous la tutelle de l'État et gouverné par un conseil d'administration au sein duquel siègent des représentants du ministre chargé de l'Economie et des Finances, du ministre de la Justice, du ministre chargé de la Sécurité Sociale et du ministre de l'Intérieur. Il rend compte en détails de chacun des volets de sa mission (terrorisme, autres infractions, aide au recouvrement) dans son rapport d'activité, qui est public (https://www.fondsdegarantie.fr/livrets-et-publications/). En 2023, ce sont ainsi 67 874 victimes qui ont bénéficié du Service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (+4,5 % par rapport à 2022) et 42,8 millions d'euros ont été versés aux victimes sollicitant le SARVI (+11,7 % par rapport à 2023). Le délai moyen de règlement de la victime ayant recours au SARVI est de 55 jours. Le Fonds diligente par ailleurs régulièrement une enquête de satisfaction auprès de ses usagers, qui confirme la qualité du service rendu. Le Fonds comme ses autorités de tutelle y sont particulièrement attentifs. Il convient par ailleurs de rappeler que la saisine du SARVI est facultative et que la victime peut renoncer à ses services à tout moment de la procédure. Le FGTI / SARVI n'est pas la seule entité à participer à l'indemnisation des victimes d'infraction. Aux termes de l'article 706-164 du code de procédure pénale, « Toute personne qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1, peut obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués [AGRASC] que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation ou la non-restitution a été décidée par une décision définitive et dont l'agence est dépositaire en application des articles 706-160 ou 707-1. Dans les mêmes conditions, l'indemnisation ou la réparation peut être payée par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur qui sont devenus la propriété de l'État en application du dernier alinéa de l'article 41-4 et dont l'agence est dépositaire en application des articles 706-160 ou 707-1. ». Tout comme le recours au SARVI, le recours à l'AGRASC a aussi un caractère facultatif. De plus, il est subsidiaire au recours au FGTI. Or, le tribunal administratif de Paris a jugé « que le présent litige, né du refus de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués de payer aux requérants, sur le fondement de l'article 706-164 du code de procédure pénale, les dommages et intérêts qui leur ont été accordés par la juridiction pénale en leur qualité de partie civile, ne ressortit pas de la compétence du juge administratif. » (TA de Paris, 9 février 2012, n° n° 1109900 119858). Plus récemment, d'autres juridictions administratives ont également considéré que la plupart des litiges nés à l'occasion des missions de l'AGRASC, dont la mission d'indemnisation des victimes d'infractions, relevaient de la compétence du juge judiciaire. En effet, « S'il appartient en principe à la juridiction administrative de connaitre des décisions prises par les personnes publiques dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, il en va différemment lorsque ces décisions sont relatives au fonctionnement du service public de la justice judiciaire ou ne sont pas détachables d'une procédure judiciaire. Or, les décisions prises par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués pour la conservation, la gestion et l'aliénation des biens confisqués, comme pour la répartition des éventuels produits de l'exploitation ou de la vente de ces biens entre les personnes y ayant droit, ne sont pas détachables de la procédure pénale ayant donné lieu à la saisie et à la confiscation de ces biens et des procédures prévues pour l'indemnisation des victimes des infractions. » (CAA de Paris, 4 Octobre 2023, n° 23PA00227 ; TA de Pau, 21 Novembre 2024, n° 2403008). Il n'est cependant pas possible d'exclure, en l'absence de précédent en la matière, une éventuelle exception d'incompétence qu'opposerait la juridiction saisie.
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