Question de Mme JOSENDE Lauriane (Pyrénées-Orientales - Les Républicains) publiée le 26/12/2024

Mme Lauriane Josende attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur la problématique des recours abusifs en matière de projets d'implantation d'activités économiques et leurs conséquences sur la sécurité juridique et financière des porteurs de projets.
Les projets d'implantation d'activités économiques font régulièrement l'objet de recours contentieux, fréquemment initiés par des associations. Si ces recours constituent un droit légitime au regard des principes fondamentaux de la justice administrative, ils engendrent cependant des retards significatifs, des coûts supplémentaires pour les porteurs de projets, et une insécurité juridique importante. Selon le Conseil d'État, la durée moyenne de traitement des contentieux environnementaux est de 18 mois par échelon de recours, contre 11 mois en moyenne pour d'autres types de contentieux.
Ces recours, bien que non suspensifs en droit, deviennent souvent suspensifs de fait, bloquant les financements nécessaires à la mise en oeuvre des projets tant qu'ils ne sont pas purgés. En outre, seule une faible part de ces recours aboutit à l'annulation des projets en cause. Cette situation est particulièrement préoccupante dans le contexte de la réindustrialisation et de l'accélération des projets de transition énergétique portés par le Gouvernement.
Des initiatives législatives récentes, telles que la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, ont permis de sanctionner les recours abusifs par l'attribution de dommages et intérêts aux porteurs de projets lésés. Toutefois, ces mesures semblent insuffisantes pour endiguer le phénomène des recours dilatoires. Certains appellent à des réformes plus structurelles, comme l'instauration d'une procédure d'admission préalable des recours dès la première instance, inspirée des pratiques existantes au niveau de la cassation, ou encore à une limitation des échelons de recours dans ce type de contentieux.
Elle souhaite ainsi savoir si le Gouvernement envisage d'adopter des mesures spécifiques visant à renforcer le contrôle de recevabilité des recours dès la première instance, notamment par la mise en place d'une procédure préalable d'admission. Elle demande également si une simplification des échelons de recours ou l'introduction d'un recours obligatoire à la médiation avant toute action en justice sont envisagées pour réduire les délais et les coûts engendrés par ces contentieux.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/08/2025

Le droit d'exercer un recours juridictionnel à l'encontre de toute décision administrative a été consacré comme principe général du droit par la décision d'assemblée du Conseil d'Etat du 17 février 1950, Ministre de l'Agriculture c./ Dame Lamotte. Ce droit a par la suite été élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel le rattachant à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014). Il est aujourd'hui également garanti en droit international par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit à son article 13 que le droit à un recours effectif doit être garanti devant les instances nationales (CEDH, 26 octobre 2000, Kudla c./ Pologne) et par la Cour de justice de l'Union européenne qui considère que l'existence d'un contrôle juridictionnel constitue la traduction « d'un principe général du droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (CJUE, 15 mai 1986, Marguerite Johnson, aff. 222-84). Ainsi, le droit à l'exercice d'un recours juridictionnel effectif constitue un principe solidement ancré dans notre droit. Il peut être mis en oeuvre par des associations, à l'encontre de projets, pour la défense des intérêts collectifs dont elles ont la charge. Mais il bénéficie également aux porteurs de projet, par exemple lorsqu'ils se voient opposer une décision de refus. Ce droit est mis en oeuvre, devant le juge administratif, dans les conditions prévues à l'article R. 421 1 du code de justice administrative. La procédure prévue devant le juge administratif permet déjà, en l'état du droit, de repérer, de rejeter rapidement, voire de sanctionner les recours abusifs ou dépourvus de fondement. Tout d'abord, les recours enregistrés devant les juridictions administratives font systématiquement l'objet d'une procédure de « tri » qui vise à identifier les requêtes irrecevables ou manifestement insusceptibles de prospérer. Une fois repérées, ces requêtes font l'objet d'une ordonnance de rejet immédiat en application de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, la procédure suivie devant les juridictions administratives permet de maîtriser l'inflation du débat contentieux. Outre la possibilité pour le juge d'ordonner la clôture de l'instruction en vertu de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, l'article R. 611-7-1 lui permet par ailleurs de fixer une date à laquelle ne seront plus recevables les nouveaux moyens. En contentieux de l'urbanisme (article R. 600-5 du code de l'urbanisme) et pour certains projets d'ampleur (article R. 600-7-2 du code de justice administrative), cette date ne peut en tout état de cause surpasser deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Enfin, l'article R. 741-12 du code de justice administrative permet d'infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant peut atteindre la somme de 10 000 euros. Le requérant peut par ailleurs faire l'objet de conclusions reconventionnelles en dommages et intérêts en contentieux de l'urbanisme (article L. 600-7 du code de l'urbanisme) et pour certaines autorisations environnementales (article L. 181-17 du code de l'environnement). Dans certains contentieux, des modalités particulières de jugement ont ainsi été aménagées pour que les recours soient jugés plus rapidement. S'agissant particulièrement des projets de transition énergétique, le décret du 29 octobre 2022 n° 2022-1379 a créé l'article R. 311-6 du code de justice administrative, qui instaure un régime contentieux dérogatoire pour les installations et ouvrages en lien avec la transition énergétique (projets de méthanisation, ouvrage d'énergie solaire photovoltaïque etc.). Elles fixent notamment un délai de jugement de dix mois pour les litiges concernant des décisions sur certains ouvrages et installations en lien avec la transition énergétique. Cependant, de tels aménagements à la procédure ordinaire doivent rester limités, la multiplication des délais fixes de jugement créant un phénomène d'éviction de plus en plus net pour les contentieux « ordinaires » dont le délai de jugement pâtit de ces délais contraints, et la suppression du double degré de juridiction entraînant une forte hausse du taux de recours en cassation, et du taux de renvoi à la juridiction de première instance. Dans cette dernière hypothèse, le délai global de jugement est souvent plus élevé que si le recours avait été jugé en premier et second ressort. Quoi qu'il en soit, les juridictions administratives sont chaque jour engagées pour contenir leurs délais de jugement et assurer à tous les justiciables que leur affaire sera jugée dans un délai raisonnable. Le ministère de la Justice est, quant à lui, pleinement mobilisé pour examiner toute proposition de réforme qui pourrait les y aider.

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