Question de Mme BOYER Valérie (Bouches-du-Rhône - Les Républicains) publiée le 24/04/2025
Mme Valérie Boyer appelle l'attention de M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins sur le mouvement « Skinny Tok ». Depuis plusieurs semaines, de nombreux adolescents s'adonnent au challenge « Skinny Tok » sur la plateforme TikTok, (de « skinny » = maigre, et « Tok » = TikTok »), un défi à risque qui fait l'apologie du contrôle de l'alimentation et de la maigreur.
Sur ces vidéos des jeunes femmes extrêmement minces, voire anorexiques, « livrent » leurs « astuces » pour maigrir notamment en s'arrêtant de s'alimenter, avec des commentaires comme : « Tu n'es pas moche, tu es juste gros ». Voici un exemple de conseil d'internaute : « Quand tu as envie de grignoter, souviens-toi de la phrase de Kate Moss : rien n'a aussi bon goût que la sensation d'être mince. »
Cette tendance peut créer chez les personnes concernées des troubles du comportement alimentaire et susciter ainsi, chez les jeunes, un risque médical et psychologique.
Vingt ans après l'émergence du mouvement « pro-ana », (contraction de « pro-anorexie ») l'anorexie comme mode de vie fait son retour via les réseaux sociaux. Car si le nom a changé, le discours reste le même : ce mouvement n'a en effet rien inventé et ne fait que reprendre et adapter aux jeunes femmes d'aujourd'hui les discours mortifères du mouvement « pro-ana » de leurs aînées.
Pour mémoire, le terme « pro-ana » apparaît à la toute fin des années 1990 sur des forums, dans des communautés en ligne de jeunes femmes souffrant d'anorexie mentale. D'abord utilisé par les internautes pour partager leurs souffrances et se soutenir dans leur combat pour la guérison, ce mouvement avait rapidement muté vers une véritable promotion de l'anorexie, non plus vue comme une maladie, mais comme un choix de vie et même une philosophie de vie.
Malheureusement, avec près de 20 % de décès sur 20 ans, l'anorexie mentale est la plus létale des pathologies psychiatriques. Un chiffre d'autant plus inquiétant que, si elle ne concernait historiquement que 0,5 % à 1 % de la population française (très majoritairement des femmes), la maladie semble avoir quadruplé depuis la période covid. Chez les femmes, très majoritaires parmi les anorexiques, les médecins observaient auparavant un premier pic vers les 15-16 ans et un autre autour des 19-20 ans. Cela correspond à l'entrée au lycée et au début de la vie d'adulte, soit des moments charnières où les adolescentes sont particulièrement vulnérables. Mais les professionnels de santé accueillent de plus en plus de jeunes filles âgées entre 10 et 14 ans, c'est-à-dire des collégiennes.
Pourtant, soucieux de combattre ce fléau, les pouvoirs publics avaient engagé dès 2007 un dialogue avec l'ensemble des professionnels sur ce sujet.
Un groupe de travail pluri-professionnel (médecins, agences de mannequins, représentants de la mode, annonceurs, médias, associations des agences conseil en communication, etc.) a été constitué sous la présidence des professeurs Marcel Rufo et Jean-Pierre Poulain. Les travaux ont débouché sur la rédaction d'une charte d'engagement volontaire sur l'image du corps. Par ailleurs, la France a été un des premiers pays à légiférer. En 2008, elle rappelle qu'elle avait déposé, alors qu'elle était députée, une proposition de loi visant à interdire l'incitation à la maigreur excessive, avant d'être adoptée en 2016. Elle prévoit notamment l'interdiction de la promotion de la maigreur excessive et impose la mention « photographie retouchée » sur les clichés publicitaires modifiés. Dans le même temps, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé oblige les agences de mannequins à fournir un certificat médical pour prouver que leurs modèles ne sont pas en sous-poids, selon l'indice de masse corporelle (IMC) fixé par décret.
C'est pourquoi, face à la résurgence de ce phénomène, elle souhaite connaitre les mesures envisagées par le Gouvernement.
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Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins publiée le 30/04/2025
Réponse apportée en séance publique le 29/04/2025
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 490, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins.
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, vingt ans après l'émergence du mouvement « pro-ana », l'anorexie comme mode de vie fait son retour via les réseaux sociaux, avec le hashtag #SkinnyTok.
Cette tendance met en scène, sur le réseau social TikTok, de jeunes influenceuses incitant les adolescents à perdre du poids jusqu'à atteindre une maigreur extrême mettant en péril leur vie. Si le nom a changé, le discours reste le même : ce mouvement n'a en effet rien inventé et ne fait que reprendre et adapter aux jeunes femmes d'aujourd'hui les discours mortifères du mouvement « pro-ana » de leurs aînées.
D'abord utilisé par les internautes pour partager leurs souffrances et se soutenir dans leur combat pour la guérison, ce mouvement avait rapidement muté vers une véritable promotion de l'anorexie. Sur les vidéos publiées sur TikTok, des jeunes femmes extrêmement minces, voire très maigres, livrent leurs « astuces » pour maigrir, notamment en arrêtant de s'alimenter, assorties de commentaires du type : « Tu n'es pas moche, tu es juste grosse. »
Rappelons-le, l'anorexie mentale est la plus létale des pathologies psychiatriques. D'ailleurs, si elle ne concernait historiquement que 0,5 % à 1 % de la population française, très majoritairement des femmes, la prévalence de la maladie semble avoir quadruplé depuis la période du covid-19. Chez les femmes, très majoritaires parmi les anorexiques, les médecins observaient auparavant un premier pic vers 15-16 ans et un autre autour de 19-20 ans. Mais les professionnels de santé accueillent de plus en plus de jeunes filles âgées de 10 à 14 ans, c'est-à-dire des collégiennes à peine sorties de l'enfance.
Vous le savez, dès 2008, alors députée, j'avais déposé une proposition de loi visant à combattre l'incitation à l'anorexie et publié un rapport sur les troubles du comportement alimentaire. Cette initiative avait notamment donné lieu à l'ouverture, dans le code de la santé publique, d'un livre consacré aux troubles du comportement alimentaire. J'avais également déposé une proposition de loi relative aux photographies d'images corporelles retouchées, texte qui, certes dévoyé, a néanmoins pu prospérer.
Cette tendance peut créer chez les personnes concernées des troubles du comportement alimentaire et exposer les jeunes à un risque médical et psychologique majeur ; les conséquences, le cas échéant, se font sentir toute la vie.
Monsieur le ministre, face à la résurgence de ce phénomène, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour protéger les jeunes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice Boyer, c'est un peu grâce à vous que j'ai découvert le phénomène « SkinnyTok » tel qu'il prospère sur les réseaux sociaux. C'est avec beaucoup d'effroi que j'en ai pris connaissance, comme ministre, comme professionnel de santé, mais aussi comme père d'une jeune fille de 15 ans. Je suis bien conscient des dégâts extrêmement importants que les réseaux sociaux provoquent chez nos jeunes.
Depuis la publication du rapport Enfants et écrans, en avril 2024, le Gouvernement agit pour protéger les enfants des effets délétères d'une surexposition aux écrans, laquelle affecte leur santé, leur socialisation, leur sommeil, leur estime de soi et, globalement, leur état de santé.
Pour ce qui concerne spécifiquement le phénomène « SkinnyTok », mon ministère a été sollicité par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Si la causalité directe avec les troubles des conduites alimentaires n'est pas scientifiquement établie, le lien entre usage excessif des réseaux sociaux et dégradation de la santé mentale des adolescents, et particulièrement des jeunes filles, est clairement avéré.
Il y a une dizaine de jours, vous le savez, j'ai lancé un grand plan de lutte contre l'obscurantisme en santé, qui vise notamment la désinformation médicale. Je considère que les informations diffusées dans le cadre du mouvement « SkinnyTok » relèvent de cette catégorie.
Nous allons créer un observatoire pour pouvoir dénoncer efficacement ladite désinformation à l'échelle nationale. Dans cette entreprise, la communauté scientifique pèsera de tout son poids : l'institut Curie, l'institut Pasteur, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et la Haute Autorité de santé (HAS) vont s'associer pour organiser des diffusions massives sur ces sujets.
Nous allons également solliciter les différentes plateformes numériques : la France sera le premier pays européen à mettre en oeuvre les obligations inscrites dans le Digital Services Act (DSA), le règlement européen sur les services numériques, qui sont pleinement applicables depuis 2024. Ainsi pourra-t-il désormais être fait mention, dans le respect de la liberté de la presse, des mauvaises pratiques des plateformes numériques et de leurs effets sur la santé de nos enfants.
J'ai lancé il y a une dizaine de jours, disais-je, un plan de lutte contre l'obscurantisme, et je souhaite bel et bien y inclure le phénomène sur lequel vous m'interrogez, qui est extrêmement effrayant du point de vue de la santé de nos enfants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Je vous remercie, monsieur le ministre : toutes ces mesures sont d'autant plus importantes que les jeunes s'informent aujourd'hui essentiellement sur TikTok, dont l'influence est très grande. Or la maladie dont je vous parle peut aller jusqu'à la mort.
Cela dit, il faut peut-être aller plus loin et associer l'ensemble des médias à la lutte contre ces critères de « beauté » qui nuisent énormément à la santé mentale des jeunes et des moins jeunes.
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