Question de Mme PAOLI-GAGIN Vanina (Aube - Les Indépendants) publiée le 26/06/2025

Question posée en séance publique le 25/06/2025

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, on ne peut à la fois appeler à une plus grande souveraineté numérique et opter pour l'achat public non européen dès que l'occasion se présente.

Visibrain est le seul acteur français indépendant spécialisé dans la veille stratégique des réseaux sociaux, le fameux social listening américain. Depuis 2017, cette société d'ingénieurs française équipe plusieurs ministères et administrations de l'État. Son expertise permet d'assurer une veille en temps réel sur les réseaux tels que X, TikTok, Telegram et LinkedIn, mais aussi de suivre les tendances pour anticiper les crises et lutter contre la désinformation.

Voilà un outil clé dans l'analyse de l'opinion publique à partir de données par nature extrêmement sensibles. Il serait irresponsable, dans le contexte géopolitique actuel, d'abandonner aux puissances étrangères cette mine informationnelle si vitale pour nombre de nos services assurant renseignement, sûreté et sécurité.

Le service d'information du Gouvernement (SIG) a pourtant décidé d'écarter son prestataire national historique, qui a obtenu la meilleure note technique, au profit de Talkwalker. Rachetée par la société canadienne Hootsuite en 2024, sous capitaux américains, cette solution est hébergée sur des infrastructures soumises au Cloud Act.

Les prochaines élections qui auront lieu en France feront l'objet de tentatives d'ingérence via les réseaux sociaux, arme de déstabilisation massive de nos démocraties - on l'a bien vu aux États-Unis comme en Roumanie.

Madame la ministre, comment le SIG a-t-il pu faire preuve d'une telle naïveté ? L'offre concurrente retenue ne couvre même pas TikTok, alors que 70 % des utilisateurs français de ce réseau social ont moins de 24 ans ! Le seul critère qui était à l'avantage de cette offre est son prix, anormalement bas. Ce vil prix est-il, madame la ministre, celui de notre souveraineté ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. - Mme Antoinette Guhl et MM. Akli Mellouli et Rachid Temal applaudissent également.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !


Réponse du Ministère délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'intelligence artificielle et du numérique publiée le 26/06/2025

Réponse apportée en séance publique le 25/06/2025

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame le sénateur, je vous remercie de cette question, qui est fondamentale dans l'époque actuelle, s'agissant de souveraineté numérique.

Oui, le service d'information du Gouvernement, lorsqu'il a remis en jeu un certain nombre de lots dont les attributaires l'aident notamment dans la tâche que vous avez mentionnée, a pris une décision qui conduit à la situation actuelle. Cette décision est la suivante : sur quatre lots, trois ont été attribués à des sociétés françaises, à savoir Bloom, Trajaan et DeepOpinion et le quatrième a donné lieu au remplacement d'une société française par une société canadienne, Talkwalker.

Je pourrais vous dire - et je vous le dis, bien sûr - que ce marché est conforme. Oui, le lauréat, Talkwalker, a fait une offre tarifaire bien plus intéressante que celles des sociétés françaises en lice pour ce même lot.

Je pourrais vous dire qu'il s'agit non pas de données sensibles, mais de données publiques, et que les serveurs sont hébergés ici en Europe.

Cela étant, vous connaissez ma conviction : ce type de décision est inadmissible. On ne peut pas continuellement parler de souveraineté numérique et se cacher derrière les règles des marchés publics pour prendre de telles décisions. On ne peut pas continuellement s'enorgueillir d'un écosystème d'innovation à la pointe de la technologie et se tourner, à la moindre occasion, vers les solutions non européennes. (M. François Patriat et Mme Vanina Paoli-Gagin applaudissent.)

M. Vincent Louault. Bravo !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Oui, ce sujet est difficile ; il est encadré par le code de la commande publique, par tout un tas de règles que nous connaissons, et que vous-même, madame la sénatrice, connaissez mieux que personne - vous les dénoncez régulièrement.

Mme Catherine Morin-Desailly. Oui !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Ce que je peux vous garantir, c'est qu'en l'espèce, comme sur nombre d'autres sujets difficiles, je ne lâcherai rien. Il faut que nous regardions ce que nous sommes capables de faire en Europe : c'est précisément ce à quoi nous nous attelons avec la révision des directives sur la passation des marchés publics ; et nous irons jusqu'au bout. (Exclamations sur les travées du groupe SER. - M. Franck Montaugé lève les bras au ciel.)

M. Rachid Temal. C'est-à-dire ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. On ne construit pas de souveraineté numérique quand on n'est pas capable de se doter d'une vraie politique industrielle, ce qui veut dire, en l'occurrence, nous tourner vers nos entreprises et vers nos acteurs de l'innovation et du numérique. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et RDSE. - Protestations sur des travées du groupe UC.)

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