Question de M. MELLOULI Akli (Val-de-Marne - GEST) publiée le 03/07/2025

M. Akli Mellouli souhaite rappeler l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur la dérive que constitue aujourd'hui la généralisation de l'usage des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Ce mécanisme tend désormais à devenir une réponse de convenance, systématique, à toute complexité migratoire ou situation perçue comme irrégulière.

Cette approche, que d'aucuns appellent désormais « penser en OQTF », menace notre équilibre républicain. Elle remplace la rigueur de l'analyse individuelle par le confort de la dissuasion générale. Le droit s'efface devant le symbole. La dignité et l'humanité s'effacent devant le soupçon.

Par exemple, le 2 juin 2025, une femme franco-algérienne de 58 ans, résidant en France depuis 1993, naturalisée en 1997, travaillant dans une crèche parisienne, a été interpellée à son retour d'Algérie à l'aéroport de Roissy. Sans égard pour sa situation, sans instruction approfondie, une OQTF lui a été notifiée, assortie d'une interdiction de retour d'un an. En cause : l'administration considérait, sur la base d'un faisceau d'indices contestable, qu'elle ne résidait pas principalement en France.

Cet acte, brut, disproportionné, révèle l'absurdité à laquelle conduit une vision purement sécuritaire de la migration. Ce n'est pas une exception : c'est un symptôme.

À chaque fait divers, à chaque soupçon, l'OQTF devient le point final d'une procédure expéditive. Cela crée une pression politique et administrative qui pousse à l'automatisme, pas à la justice.

Ainsi se construit un cercle vicieux : soupçon, expulsion, agitation, durcissement, injustice. Et ce que l'on présente comme une solution finit par créer de nouvelles fractures.

Face à ce constat, il lui demande ce qu'il compte faire pour encadrer strictement les motifs d'OQTF, afin qu'elles cessent d'être appliquées à des citoyens ou résidents parfaitement intégrés et s'il est prêt à engager une évaluation publique, régulière et transparente des OQTF exécutées, afin de mesurer leur efficacité réelle et leur compatibilité avec les valeurs de notre République.

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie publiée le 16/10/2025

Réponse apportée en séance publique le 15/10/2025

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, auteur de la question n° 666, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Akli Mellouli. Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue à M. le ministre de l'intérieur, à qui ma question est adressée. J'espère sincèrement que son arrivée marquera l'ouverture d'une nouvelle dynamique, plus humaine, plus rigoureuse aussi, mais fidèle à ce que notre République a de meilleur : la justice, la mesure et le respect de la dignité humaine.

Si je prends la parole aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est pour attirer votre attention sur une dérive profonde qui mine peu à peu notre cohésion républicaine : la généralisation de l'usage des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF.

Ce mécanisme, prévu par la loi pour répondre à des situations précises, tend aujourd'hui à devenir une réponse réflexe, presque automatique, face à toute complexité migratoire, à tout dossier jugé trop compliqué, à toute personne simplement perçue comme étrangère. On pense non plus en droit, mais en OQTF.

C'est là, monsieur le ministre, une pente dangereuse, car lorsque la réponse administrative se substitue à l'examen individuel, lorsque le soupçon remplace l'instruction, c'est l'idée même de la République qui s'érode. Le droit n'est plus qu'un symbole et la dignité un dommage collatéral.

Je prendrai un exemple concret, humain, qui en dit long : le 2 juin dernier, une femme franco-algérienne de 58 ans, vivant en France depuis plus de trente ans, naturalisée en 1997, travaillant dans une crèche parisienne, a été interpellée à Roissy, à son retour d'Algérie.

Sans égard pour sa situation, sans instruction approfondie, une OQTF lui a été notifiée, assortie d'une interdiction de retour d'un an. Pourquoi ? Parce que, se fondant sur un faisceau d'indices contestables, un agent a estimé qu'elle ne résidait pas principalement en France.

Une telle décision brutale, disproportionnée, révèle à quel point une logique sécuritaire mal maîtrisée peut conduire à l'absurde. Loin d'être une exception, il s'agit d'un symptôme, monsieur le ministre.

Lors de chaque fait divers, au moindre soupçon, l'OQTF met un point final à une procédure expéditive. Sous la pression politique, sous la pression médiatique, on préfère la rapidité à la justesse, l'apparence à la vérité. Ce faisant, on instaure un cercle vicieux fait de soupçons, d'expulsions, d'agitations, de durcissements et d'injustices.

Ce que l'on présente comme une solution crée en réalité de nouvelles fractures : fractures entre les citoyens et leur administration, fractures entre la République et ceux qui voudraient encore y croire.

Si je ne conteste pas la nécessité de prendre, dans certains cas, des mesures de police administrative, je conteste leur banalisation. Je conteste que la République puisse renoncer à sa promesse de justice.

Ma question est simple, monsieur le ministre : allez-vous encadrer plus strictement les motifs d'émission des OQTF, de sorte que ces dernières ne s'appliquent plus à des citoyens ou à des résidents parfaitement intégrés, dont le seul tort est d'entrer dans une catégorie administrative floue ?

Au-delà, êtes-vous prêt à engager une évaluation publique, régulière et transparente des OQTF exécutées, qui nous donne les moyens de mesurer lucidement leur efficacité réelle et leur compatibilité avec les valeurs qui fondent notre République ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. Je forme le voeu que, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, la République retrouve le sens de la mesure, de la justice et, surtout, le sens humain.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Mellouli, je ferai part au ministre de vos mots de bienvenue au sein de ce gouvernement.

Le séjour d'un étranger en France répond à un motif précis et s'inscrit dans un cadre défini. Les autorisations de circuler ou de séjourner sont données pour une durée précise, en application de la loi et de la réglementation européenne, les préfectures appréciant au cas par cas les situations individuelles.

En revanche, et cela va de soi, le Gouvernement, tout comme nos concitoyens, attend que lorsque les situations ne justifient pas un droit au séjour, les mesures prévues par notre cadre juridique soient appliquées. L'article 6.1 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, impose en effet aux États membres de l'Union européenne de prendre une décision de retour à l'encontre de tout étranger en situation irrégulière.

Ce point a été confirmé par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 22 juin 2021, qui a d'ailleurs sanctionné la pratique allemande par laquelle des tolérances de séjour dépourvues de véritable statut juridique étaient accordées, emportant des situations de « ni-ni », les ressortissants concernés n'étant ni régularisables ni expulsables.

Si le nombre d'OQTF augmente depuis plusieurs années en France, c'est d'abord en raison d'une pression migratoire plus importante sur notre territoire et d'une amélioration de la détection de celle-ci, laquelle se mesure par exemple via la hausse du nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière sur la voie publique - 147 154 en 2024, contre 123 800 en 2023.

La hausse du nombre d'OQTF prononcées est également la conséquence d'une application rigoureuse des possibilités de retrait-refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour pour des motifs d'ordre public, conformément aux dispositions de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Cette hausse montre que la police du séjour est exercée de façon diligente par les préfets.

Il est également probable qu'une partie de ces mesures soient prononcées à l'encontre des mêmes personnes, qui utilisent des alias afin d'empêcher leur identification et, in fine, leur éloignement.

En définitive, monsieur le sénateur, le nombre de mesures exécutées est bien plus déterminant que le nombre de mesures prononcées. Or celles-ci sont en hausse de 27 % en 2024 et de plus 14,7 % à la fin août 2025, tout cela dans un cadre précis.

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