Question de M. PATRIAT François (Côte-d'Or - RDPI) publiée le 30/10/2025

Question posée en séance publique le 29/10/2025

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, entre la rigueur aveugle et la démagogie complaisante, il existe un chemin : celui de la responsabilité éclairée. C'est ce chemin que nous souhaitons prendre à vos côtés.

Avec le groupe RDPI, nous portons une conviction inébranlable : maintenir le cap budgétaire bien en deçà des 5 % de déficit est non pas une option, mais une nécessité absolue. Sans ce cap, c'est toute notre crédibilité qui serait affaiblie : des décennies pour la construire, un budget pour la détruire.

Or la parole de la France ne se marchande pas. Elle ne se négocie pas. Elle ne se brade pas. C'est la sécurité financière de tous les Français qui en dépend.

Mais, soyons clairs, la rigueur sans discernement est une impasse. La responsabilité budgétaire ne peut s'affranchir de l'équité territoriale.

À ce titre, nous n'abandonnerons pas les territoires les plus vulnérables, et au premier chef nos outre-mer. L'effort qui leur est demandé suscite de grandes craintes, notamment celle d'un risque d'effondrement social et économique de nos territoires ultramarins, qui sont déjà fragilisés. Les outre-mer ne sauraient être une variable d'ajustement budgétaire.

Fidèles aux combats que nous menons depuis huit ans, les membres du groupe RDPI continueront de défendre la valeur travail avec acharnement. Nous serons toujours les défenseurs de ceux qui produisent la richesse de notre Nation : ces classes moyennes qui constituent l'épine dorsale de notre République et qui, trop souvent, portent seules sur leurs épaules le poids de notre modèle social.

Or, monsieur le Premier ministre, nous voyons se profiler une tentation dangereuse à l'Assemblée nationale : toujours plus de taxation. Nous y sommes fondamentalement opposés, particulièrement lorsque l'outil professionnel est visé.

M. Jean-François Husson. Très bien !

M. François Patriat. Confondre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, c'est décourager l'investissement et affaiblir notre tissu économique.

M. Jean-François Husson. Vous avez raison !

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous prendre l'engagement qu'aucune taxation mélangeant patrimoine professionnel et personnel ne sera décidée par votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)


Réponse du Premier ministre publiée le 30/10/2025

Réponse apportée en séance publique le 29/10/2025

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, qu'il me soit d'abord permis, au nom du Gouvernement, de m'associer à votre hommage aux parlementaires qui nous ont quittés et - je le dis sous le contrôle d'Hervé Maurey et des sénateurs de l'Eure - d'avoir une pensée particulière pour le sénateur Joël Bourdin.

Pour ce qui concerne les territoires d'outre-mer tout d'abord - il y a dans cet hémicycle un certain nombre d'anciens ministres des outre-mer, notamment Mme Girardin et M. Lurel -, les dispositifs qui leur sont spécifiques sont souvent des dispositifs de rattrapage.

Au fond, monsieur le président Patriat, votre question porte sur les mesures d'effort relatives aux niches sociales, c'est-à-dire au dispositif dit Lodéom et aux niches fiscales. J'ai demandé aux ministres concernées, Amélie de Montchalin et Naïma Moutchou, de réunir très vite les parlementaires d'outre-mer, car nous voyons bien que les efforts demandés sur ces lignes budgétaires ne sont pas adaptés aux situations locales.

Mme Catherine Conconne. Bravo !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il s'agit déjà de dispositifs de rattrapage. Par conséquent, pour le dire en mauvais français, le risque de stop and go peut avoir un effet absolument délétère sur la vie économique locale.

Cela signifie donc qu'il faut évidemment - je regarde M. le ministre Lurel - trouver des mesures d'adaptation rapide en fonction des situations locales, parce que, selon les territoires d'outre-mer, la question du bâtiment n'est pas toujours la même que celle du tourisme, qui n'est pas non plus toujours la même que celle de l'agriculture. Nous le voyons bien, il s'agit d'un enjeu de dialogue local et d'adaptation.

Si je devais former un voeu, même si je ne sais pas ce qu'il est possible de faire compte tenu du manque de majorité à l'Assemblée nationale, ce serait de construire des majorités d'idées pour, à la suite des ministres qui se sont interrogés sur ce sujet, adapter ces niches tant fiscales que sociales désormais âgées de dix ou quinze ans aux réalités économiques de ces territoires.

Tel est le premier engagement que je prends devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : mettre très vite autour de la table les parlementaires d'outre-mer, régler l'urgence - c'est-à-dire aborder, durant l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la question des niches sociales et fiscales -, mais aussi profiter de ce moment pour essayer de projeter ces dispositifs en les adaptant.

Je ne peux omettre de citer les situations particulières de la Nouvelle-Calédonie, où des dispositifs spécifiques sont liés au statut de l'archipel, ou de Mayotte, où la situation d'après-cyclone nous oblige évidemment à accélérer un certain nombre d'investissements.

Voilà pour l'outre-mer, qui constitue à mon sens un point clé. Souvent, les parlementaires, les journalistes et les élites parisiennes, pour le dire de manière globale, ne regardent pas suffisamment de près ces questions, alors qu'il s'agit de l'un des gages de la justice et de l'équité territoriale. On ne peut pas aborder les sujets de la décentralisation et de l'adaptation de nos textes à l'ensemble de l'organisation territoriale du pays sans prêter immédiatement une très grande attention aux territoires d'outre-mer.

Monsieur le président Patriat, vous posez ensuite la question des quelques principes qui pourraient être mis sur la table pour tenter d'organiser l'examen du projet de loi de finances, non seulement à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat. J'aurai moi-même l'occasion de me rendre à l'Assemblée nationale dans les prochains jours pour m'investir dans les débats.

Premier principe, que j'ai répété à de nombreuses reprises, y compris par sensibilité politique personnelle : il ne faut pas, à mon sens, refuser de poser par principe la question de la justice fiscale.

Un débat est apparu sur la progressivité de l'impôt, notamment pour les 0,01 % des contribuables les plus riches de ce pays. De fait, quand on regarde les études macroéconomiques, il y a un léger tassement sur la fin de la courbe qui peut poser un certain nombre de questions. Il ne faut pas balayer ce débat d'un revers de main, car nous devons de toute façon à nos concitoyens, compatriotes, contribuables et électeurs des clarifications et des réponses, souvent techniques, sur ce sujet.

Deuxième principe, ainsi que la sénatrice Goulet l'a indiqué - je l'en remercie -, il est vrai qu'il y a quelque chose de particulier à vouloir créer de nouvelles lois fiscales sans s'assurer au préalable que les précédentes, adoptées par l'Assemblée nationale et le Sénat, sont bien appliquées. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité que le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, tant en recettes qu'en dépenses, soit inscrit à l'ordre du jour des deux Assemblées.

Son examen commencera d'ailleurs au mois de novembre au Sénat, pour donner également de la visibilité à ce sujet. Le chiffre a été rappelé par Mme la sénatrice Goulet tout à l'heure : nous parlons de quelque 20 milliards d'euros à récupérer, qui ne sont pas prélevés aujourd'hui.

Pour l'essentiel, cette fraude est d'ailleurs plus fiscale que sociale. Elle est due à un certain nombre de mensonges et de déclarations frauduleuses, ce qui nous renvoie à des questions touchant l'organisation du pays et notamment à la préhistoire numérique dans laquelle les services de l'État peuvent se trouver - même si je ne reprendrai pas la métaphore de la marmotte...

M. Loïc Hervé. C'est un animal protégé ! (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un certain nombre de travaux du Sénat - j'en discutais il y a quelques instants avec Mme la sénatrice Lavarde - ont aussi montré qu'il fallait tout simplement être capable de décloisonner, de croiser des fichiers et d'adapter la loi à toutes ces circonstances. Il s'agit là, évidemment, de l'une des exigences qu'il faudra remplir.

Le troisième principe, ...

M. Pascal Savoldelli. C'est une nouvelle déclaration de politique générale ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Le troisième principe - j'essaie d'être précis et complet, monsieur le sénateur, et il devrait vous plaire - est qu'il faut traiter la question de l'optimisation fiscale. En effet, si nous discutons de la taxation des 0,01 % les plus riches de ce pays, c'est qu'un certain nombre de mécanismes relèvent non pas de la fraude, mais tout simplement d'adaptations à la loi fiscale, sans forcément que la volonté du législateur soit mise en question.

Au fond, il y aurait deux types de contribuables : ceux qui ne peuvent pas s'adapter, qui ne savent pas optimiser, et ceux qui peuvent jouer avec la règle sans forcément frauder. Je le répète, cette question de justice doit être traitée : on ne peut faire comme si elle n'existait pas.

Je pose tout de suite la question des biens somptuaires. Un certain nombre de dispositifs ont été créés pour protéger la transmission de l'outil patrimonial professionnel. Toutefois, avec le temps, ici ou là, quelques dérives ont pu être constatées, suscitant des interrogations. Il faudra donc que l'Assemblée nationale et le Sénat s'emparent de ce sujet.

D'autres questions de principe se posent encore - monsieur le président du Sénat, veuillez m'excuser d'être aussi long...

M. le président. Veillez tout de même à maîtriser votre temps de parole, monsieur le Premier ministre. (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il y a tout de même un problème à aborder la question de la fiscalité sans jamais parler de croissance, d'attractivité et d'emploi. Progressivement, nous sommes en train de déconnecter le débat fiscal de la question économique générale et globale.

Tel est le premier voeu que je forme et que je porterai à l'Assemblée nationale : nous ne vivons pas sur une île et nous ne pouvons pas déconnecter notre régime fiscal de la question plus globale de l'attractivité et de la croissance, d'autant plus que certaines dispositions fiscales n'auraient de sens que si elles étaient portées à l'échelon européen ou international, en tout cas dans le périmètre de l'OCDE.

M. André Guiol. Eh oui !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. C'est évidemment l'un des points importants sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.

Enfin, comme aurait dit le président Pompidou : ne vendez pas la vache. Monsieur le président Patriat, vous parlez du patrimoine professionnel. Je vous réponds donc très directement : le débat sur le flux, sur les revenus, donc sur le lait, nous permet peut-être d'avancer sur la question de la progressivité de l'impôt et de la justice fiscale.

Il y a une réalité : toucher à la croissance, c'est tuer la vache, et tuer la vache, c'est abandonner toute perspective d'avoir du lait un jour. C'est l'un des fils qui, à mon sens, doit guider les débats de l'Assemblée nationale et du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. - M. Bernard Fialaire applaudit également.)

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