LES COLLOQUES INSTITUTIONNELS DU SÉNAT

L'ÉCRITURE DE LA LOI

Colloque

organisé par la commission des lois du Sénat


et l'Association française de droit constitutionnel

-   12 JUIN 2014   -

SÉNAT

PRÉFACE - « L'ÉCRITURE DE LA LOI, DU DISCURSIF AU NORMATIF »

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La loi est une norme. Elle prescrit, oblige, permet, interdit. Elle s'impose à tous. Nul n'est censé l'ignorer.

Elle fut longtemps d'essence transcendantale. Les Tables de la Loi et les Commandements relevaient d'un droit divin.

Avec la démocratie, la loi est devenue une oeuvre collective. Écrite par les représentants de la Nation, elle dessine les contours de la vie commune en édictant droits et devoirs.

Pour collective que soit son écriture, elle se doit d'obéir à des invariants linguistiques clairement définis. Le présent est un impératif. La troisième personne est reine. Les temps du récit sont exclus, tout autant -mais pour d'autres raisons- que les déictiques qui renverraient à des situations concrètes ou à des circonstances que la loi se doit de méconnaître.

La loi est une. Elle est générale. Elle est d'essence universaliste. Elle préfère forcément les articles définis aux indéfinis, et l'essence aux accidents.

La loi renvoie, dans l'inconscient collectif, à une substance lisse, sans aspérités, forte de sa logique propre, se référant à elle-même, comme un système clos s'imposant avec la force de l'évidence.

... Et pourtant, pour en arriver là, ou pour arriver à un texte moins diaphane, moins transparent, moins logique qu'il y paraît ou qu'on le souhaiterait, les péripéties, les accidents, les aspérités, les contradictions et les controverses ne manquent pas -au contraire !

L'écriture de la loi, ce sont d'abord des avant-projets, des projets, des concertations -la conférence de consensus, régulée par un jury, mise en oeuvre par Christiane Taubira pour la réforme pénale, fut à cet égard une première-, mais aussi des tensions, des conflits, des crises qui conduisent le pouvoir exécutif à élaborer des projets de loi.

C'est un travail interne aux cabinets. C'est ensuite une théorie de réunions interministérielles -les « RIM »-, ce sont les délibérations en Conseil d'Etat ; c'est le conseil des ministres ; puis, dans chaque assemblée -l'Assemblée nationale et le Sénat- les auditions du rapporteur et de la commission, les débats en commission, les débats en séance publique, la première lecture, la seconde -la navette-, la commission mixte paritaire, les nouvelles lectures, avant que, le cas échéant, le Conseil constitutionnel ne vienne, à son tour, contribuer à l'écriture -voire à la réduction- de la loi.

Tout cela constitue tout un processus, un échafaudage, une accumulation de procédures authentiquement discursives.

À toutes les étapes, il y a débat, contradictions, dissensus ou consensus.

Au sein de la procédure parlementaire, les amendements revêtent une importance considérable.

C'est par eux que les différents choix s'expriment, que les contradictions se manifestent, s'aiguisent ou se résolvent.

Leurs auteurs sont divers, comme leurs inspirations, comme leur écriture.

Certains sont acceptés, d'autres non.

Le texte de départ, enrichi de multiples amendements, prend souvent une allure singulière. Il est plus complexe, parfois alambiqué.

Les inspirations et écritures différentes ont laissé leur marque.

C'est pourquoi la navette est essentielle. Elle seule permet de remettre constamment l'ouvrage sur le métier, de polir et repolir ce qui deviendra la loi commune.

C'est pourquoi, corrélativement, la procédure accélérée à laquelle tous les gouvernements ont recours -fût-ce à leur corps défendant- est néfaste.

Il faut du temps pour faire de bonnes lois.

Et même avec le temps, il arrive fréquemment que le processus discursif qui a donné naissance à la loi laisse en son sein des marques, des stigmates -parfois des contradictions et des différences d'approche.

C'est pourquoi il est précieux de faire l'archéologie du texte de la loi, en étudiant l'ensemble du processus qui, chronologiquement, lui a donné naissance et en complétant cette première approche par une autre étude, celle consistant à débusquer dans le texte de la loi -sa texture- toutes ces marques, griffures, failles tectoniques ou, au contraire, synthèses harmonieuses qui en font la substance même.

Le but de ce colloque était d'étudier tout cela en faisant appel à des juristes, des linguistes, des historiens, des élus, des praticiens.

Les trente communications qu'on lira dans les pages qui suivent s'attachent à étudier -ce que l'on fait trop peu et trop rarement- le processus par lequel, du discursif au normatif, s'effectue cette oeuvre collective, singulière et sans équivalent qu'est l'écriture de la loi.

Jean-Pierre Sueur

Président de la commission

des lois du Sénat

Je tiens à remercier très chaleureusement les membres du comité de pilotage dont le concours a été très précieux et sans lesquels ce colloque n'aurait pas pu être organisé :

- Bernard Cerquiglini , recteur de l'agence universitaire de la Francophonie

- Bertrand Follin , chef du service de la commission des lois du Sénat

- Jean-Louis Hérin , secrétaire général de la Présidence du Sénat

- Anne Levade , professeur à l'université Paris Est-Créteil.

J'exprime également ma gratitude aux intervenants qui ont tous accepté très volontiers de participer à ce colloque. Chacun pourra juger de la grande qualité de leurs contributions. Jean-Pierre Sueur

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