II. LES RÉFORMES : LE DOSSIER REFERMÉ

A. LA CONFIRMATION DE NOMBREUSES INÉGALITÉS

1. Des inégalités dans l'âge de la retraite

Les règles régissant les pensions de base génèrent des inégalités. Dans son précédent rapport 7 ( * ) , votre rapporteur avait analysé les comparaisons établies par la commission Charpin 8 ( * ) entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public. Il soulignait les différences importantes existant entre les régimes :

- les régimes spéciaux permettent des départs anticipés .

Dans le secteur privé, les départs se concentrent autour de deux pics. A l'âge de 60 ans un salarié peut liquider ses droits à taux plein s'il a cotisé un nombre de trimestres suffisant. A 65 ans, il est admis à liquider sa retraite sans condition de durée d'assurance.

Dans le secteur public, les départs se répartissent sur deux pics également, mais de 55 et 60 ans pour la fonction publique et la CNRACL. Les régimes d'entreprises publiques connaissent des âges moyens de départ en retraite, de 53,5 ans à la RATP, 54,1 ans à la SNCF et 55,6 ans à EDF-GDF ;

- les régimes d'entreprises publiques offrent d'importantes bonifications d'annuité.

Ce principe permet que la durée d'assurance prise en compte dans le calcul de la pension soit inférieure à la durée effective de cotisation. Ces bonifications de durée atteignent en moyenne, pour les personnels masculins, 3,3 ans à la SNCF et 5,4 ans à la RATP.

Comme le montre le graphique ci-dessous, les possibilités de départ anticipé offertes aux salariés du secteur public accroissent l'effectif des " jeunes " retraités de chaque caisse. Alors que le régime général ne verse pas de prestation avant 60 ans, les quinquagénaires pensionnés représentent des effectifs considérables des régimes spéciaux :

Répartition des prestations de droit direct par classes d'âge (1996)

(Source rapport Charpin précité)

- par ailleurs, le rendement de la retraite des salariés du secteur privé se réduit du fait de la réforme de 1993. Celle-ci les incite à reporter leur départ en retraite à la date d'obtention du taux plein correspondant à terme à quarante annuités de cotisations.

Les conclusions de la commission Charpin arrivent à des taux de remplacement nets comparables entre les régimes du privé et ceux du public. Le rapport souligne cependant que ces écarts sont appelés à se creuser au détriment des taux du privé, du fait de la réforme de 1993.

Dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000, la Cour des comptes a souhaité analyser de façon détaillée les avantages familiaux et conjugaux dans les systèmes de retraite. Au-delà de l'opacité et de la complexité des financements, la Cour insiste sur les nombreuses inégalités que ces avantages génèrent.

2. Les inégalités générées par les avantages " annexes "

La Cour des comptes estime, dans son rapport, à plus de 215 milliards de francs la somme annuelle distribuée au titre des avantages familiaux et conjugaux.

Les avantages familiaux, qui se montent à 80 milliards de francs, existent dans tous les régimes. Cependant les règles qui les régissent sont si disparates qu'ils sont la source d'inégalités considérables à la fois entre retraités des différents régimes, et entre les hommes et les femmes.

Les mères de familles du secteur public ayant élevé trois enfants, disposent de la possibilité de liquider leur retraite après quinze années de service.

Le montant de cette retraite est fonction des cotisations versées. Si la majorité des mères de famille poursuivent leur activité professionnelle au-delà de cette limite basse, leur âge moyen de départ en retraite est néanmoins de 49 ans pour les mères de trois enfants. Les femmes travaillant dans le secteur privé ne jouissent pas de cette faculté.

Des majorations de durée d'assurance sont accordées aux femmes ayant élevé des enfants par un mécanisme de cotisations " fictives ".

Dans le régime général, cette bonification est de deux ans par enfant. En revanche, comme les régimes complémentaires des salariés du privé (ARRCO et AGIRC) ne reprennent pas cet avantage, cette bonification ne porte que sur une partie de la pension. A l'exception du régime de la SNCF, dans lequel cet avantage n'est pas prévu, les régimes spéciaux accordent une bonification d'un an par enfant, mais elle porte sur la totalité de la pension (trois ans pour les deux premiers, plus un an par enfant suivant à EDF).

Les bonifications de pension pour avoir élevé des enfants constituent un avantage financier non négligeable.

Pour le régime général, la bonification, non imposable, s'élève à 10 % des pensions des deux parents. Pour l'ARRCO, à un système très inégal succède, à partir de 1999, une bonification unique qui s'élèvera à terme à 5 %. A l'AGIRC, le système est progressif en fonction du nombre d'enfants.

Dans la fonction publique, l'avantage est de 10 % pour les trois premiers enfants et de 5 % supplémentaire par enfant au-delà de trois. Les régimes spéciaux sont alignés sur le régime général à l'exception des mines.

Les avantages familiaux dans différents régimes

Départ anticipé pour enfants

Majoration de durée d'assurance pour enfants

Bonifications de pension pour enfants

Régime général

non

Pour les femmes : deux ans par enfant

10 % non imposables sur les deux pensions

ARRCO

non

non

à terme, 5 %

AGIRC

non

non

progressif :

10 % pour 3 enfants,

15 % pour 4,

20 % pour 5,

25 % pour 6,

30 % pour 7,

versés à 80 % depuis 1994

Fonction publique

femmes ayant élevé 3 enfants et ayant 15 ans de service

un an par enfant

10 % pour les 3 premiers enfants

5 % par enfant supplémentaire

SNCF

idem

non

idem régime général

EDF

idem

trois ans pour les 2 premiers enfants

+ un an par enfant supplémentaire

idem régime général

RATP

idem

un an par enfant

idem régime général

Mines

idem

un an par enfant

idem régime général

Source : rapport Charpin précité

3. Le cas des pensions de réversion

Tous les régimes offrent des pensions de réversion aux veuves de leurs assurés mais la disparité des prestations est, en ce domaine, très étendue. Ceux-ci se divisent en deux groupes principaux.

Les premiers, qui assurent une pension de réversion sous la seule condition du veuvage, sont les régimes du secteur public ainsi que, partiellement, les régimes salariés complémentaires (ARRCO, AGIRC).

A l'inverse, le régime général réserve cette pension à ses assurés les plus modestes, en posant des critères de ressources et d'âge, dont l'étroitesse initiale a été progressivement élargie à compter de 1979.

Les pensions de réversion dans différents régimes

Condition d'âge

Condition de ressources

Taux de remplacement

Avantages annexes

Régime général

55 ans minimum

plafond annuel : 2.080 fois le SMIC horaire

54 %

non

Secteur public et régimes complémentaires salariés

non

non

50 % pour la fonction publique

60 % ARRCO - AGIRC

secteur public : supplément de pensions pour enfants à charge

Source : rapport Charpin précité.

Votre rapporteur souhaite, à la suite de la Cour des comptes, attirer votre attention sur la situation précaire des jeunes veuves de moins de 50 ans. Celles-ci représentent 16 % des effectifs. Si elles ne disposent pas de revenus suffisants, elles doivent aller chercher sur le marché du travail, dans une situation parfois très délicate, un emploi rémunéré en attendant d'atteindre la limite d'âge pour percevoir la réversion.

Ces inégalités sont appelées à se creuser notamment en raison de la hausse du taux d'activité féminin.

Du fait de l'augmentation des taux d'activité féminin, les femmes disposeront plus fréquemment de retraites en propre à taux plein. En conséquence, elles dépasseront plus souvent le montant plafond de ressources qui les prive de l'accès à la pension de réversion. Les veuves de salariés du secteur public, dont les prestations de réversion ne sont pas soumises à des conditions de ressources, disposeront, en plus de leur propre pension, d'une réversion sur la retraite du conjoint décédé.

Votre rapporteur n'entend pas se livrer à un quelconque réquisitoire contre tel ou tel régime de retraite. Il constate simplement que tant du côté des contributions que du côté des prestations, des inégalités existent entre les retraités . Ces inégalités peuvent reposer sur des critères objectifs. La pénibilité de certaines catégories d'emploi doit être reconnue : ce peut être parfois, par exemple, une retraite plus précoce pour ces actifs. A l'inverse, le versement de pensions moins élevées est acceptable lorsque la cessation d'activité s'accompagne de revenus patrimoniaux plus élevés. Des commerçants cédant leur fonds de commerce sont dans cette situation.

Le système français de retraite doit tenir compte de la diversité des métiers, puisque son financement repose sur l'activité. Mais cette diversité ne doit pas servir de prétexte au maintien d'inégalités non fondées, et bloquer la mise en oeuvre des réformes nécessaires.

* 7 Rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (n° 58 (1999-2000)) tome III (assurance vieillesse).

* 8 L'avenir de nos retraites, rapport au Premier ministre, avril 1999.

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