Rapport n° 164 (2000-2001) de M. Nicolas ABOUT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 décembre 2000

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N° 164

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à l' adoption internationale,

Par M. Nicolas ABOUT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret, vice-présidents ; Patrice Gélard,
Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, s ecrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond Lauret, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11 ème législ.) : 2217 , 2265 et T.A. 475

Sénat : 287 (1999-2000)

Famille .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 20 décembre 2000, sous la présidence de M. Pierre Fauchon, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Nicolas About, à l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 28 mars 2000, relative à l'adoption internationale.

Constatant que le principal objet de la proposition de loi était de poser une règle législative de conflit de lois en matière d'adoption internationale , elle a souligné le caractère très délicat de la question dans un domaine où interfèrent des relations inter-étatiques, des questions juridiques complexes et des relations humaines chargées d'affectivité.

Elle a observé que l'absence d'unité de la jurisprudence, aggravée par une circulaire du garde des sceaux en date du 16 février 1999, ne permettait pas d'avoir actuellement de certitude sur certaines questions essentielles, telles la possibilité ou non d'adopter un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution ou les conditions dans lesquelles une adoption prononcée à l'étranger peut produire en France les effets de l'adoption plénière.

Elle a donc considéré que l'intervention du législateur était pleinement justifiée pour apporter aux enfants et à leurs familles la sécurité juridique à laquelle ils aspiraient.

Souscrivant aux principes posés par l'Assemblée nationale, elle a considéré qu'il était très difficile de ne pas se rallier à l'interdiction prévue par elle d'adopter des enfants de statut personnel prohibitif, tels les enfants soumis au droit coranique. Elle n'a en effet pas jugé souhaitable d'imposer unilatéralement l'application du droit français à des États ayant des conceptions différentes des nôtres , à partir du moment où celles-ci n'étaient pas contraires à l'ordre public. Elle a espéré que la situation pourrait trouver une solution par voie de conventions bilatérales avec les États concernés.

Elle a cependant estimé que cette interdiction ne devrait pas s'appliquer aux enfants nés en France et y résidant en considération des liens très forts unissant ces enfants à la France. Elle a également souhaité qu'elle ne s'applique pas aux procédures d'adoption en cours .

S'agissant des conditions de l'adoption prononcée en France , elle a souhaité avant tout privilégier l'intérêt des enfants en évitant le prononcé d'adoptions " boiteuses " non susceptibles d'être reconnues dans le pays d'origine des parents adoptifs. Elle a considéré que l'application de la loi nationale des adoptants , telle qu'elle était pratiquée actuellement par les juridictions, était à cet égard plus protectrice des droits de l'enfant adopté par des personnes étrangères que ne le serait l'application de la loi française prévue par l'Assemblée nationale. Elle a souligné que le corollaire de ce principe était l'interdiction d'adopter pour des personnes dont le statut personnel interdisait l'adoption .

Enfin, elle a souhaité faire ressortir que le consentement donné à l'adoption plénière devrait être donné en fonction du caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant afin d'éviter tout malentendu avec les familles biologiques.

La commission a également souhaité apporter quelques précisions sur la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de l'adoption auquel la proposition de loi donne un fondement législatif.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 28 mars 2000, relative à l'adoption internationale.

Ce texte a été adopté à l'unanimité, avec l'abstention du groupe communiste, sur la proposition et le rapport de M. Jean-François Matteï.

Le principal objet de la proposition de loi est de poser une règle de conflit de lois.

L'adoption internationale met en présence, par définition, des adoptants et des adoptés de nationalités différentes, régis chacun par leurs propres lois, parfois contradictoires. Il convient de déterminer la loi applicable aux conditions comme aux effets de l'adoption prononcée en France 1 ( * ) . Il faut aussi définir l'effet en France d'une décision prononcée à l'étranger.

La question est très délicate. L'adoption internationale est au confluent de relations inter-étatiques et de relations privées et le droit, dans sa rigueur, doit embrasser de manière réductrice des rapports humains chargés d'affectivité.

En l'absence de dispositions législatives, les règles de conflit de lois sont actuellement définies par la jurisprudence.

Mais devant les hésitations actuelles des juridictions, il est difficile d'avoir des certitudes sur le droit applicable, hors du cadre établi par certaines conventions internationales, telle la convention de La Haye du 29 mars 1993.

Les juridictions n'apportent en effet pas actuellement une réponse unifiée à certaines questions essentielles, concernant notamment la possibilité ou non d'adopter un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution ou les conditions dans lesquelles une adoption prononcée à l'étranger peut produire en France les effets de l'adoption plénière que notre droit distingue de l'adoption simple.

L'intervention du législateur doit permettre de donner aux enfants et à leur famille la sécurité juridique à laquelle ils aspirent et faire en sorte, pour reprendre une expression de M. Jean-François Mattëi, que ces " enfants d'ailleurs " ne deviennent pas des enfants de nulle part.

Cette intervention est d'autant plus nécessaire que l'adoption internationale est devenue un phénomène de grande ampleur et que les trois quarts des adoptions sont encore réalisées en dehors de la convention de La Haye.

I. L'ADOPTION INTERNATIONALE EST DEVENUE UN PHÉNOMÈNE DE GRANDE AMPLEUR

Marginale il y a 30 ans, l'adoption internationale a été stimulée par la diminution du nombre d'enfants adoptables en France et facilitée par le développement des échanges internationaux. Elle représente maintenant près de trois quarts des adoptions de mineurs dans notre pays.

Depuis 5 ans, plus de 3 000 enfants nés à l'étranger sont adoptés chaque année par des Français, alors qu'il y en avait moins de 1000 en 1980. Selon la mission pour l'adoption internationale, qui centralise les informations au ministère des affaires étrangères, 3592  visas d'entrée liés à des procédures d'adoption ont été délivrés en 1999, la décision du gouvernement français de suspendre provisoirement les procédures d'adoption entre la France et le Vietnam à compter du mois d'avril 1999 n'ayant eu qu'une faible répercussion sur le nombre total de visas délivrés. A titre de comparaison, 1056 pupilles de l'État français avaient été placés en 1999 en vue d'une adoption.

Source : Ministère des Affaires étrangères - Mission pour l'adoption internationale

On assiste à une diversification des pays d'origine des enfants. De moins de 10 en 1979, leur nombre dépasse les 60 depuis 1993. Les premiers pays d'origine ont été, en 1999, le Vietnam -malgré la suspension des adoptions au 30 avril-, la Colombie et la Roumanie. 26 pays ont donné lieu à l'établissement d'au moins 20 visas.

Les adoptions réalisées dans le cadre de la convention de La Haye ont représenté un quart des adoptions réalisées en 1999, soit plus de 900, les deux tiers des enfants adoptés dans ce cadre provenant de Colombie et de Roumanie. Parmi les principaux pays d'origine des enfants, 7 seulement sont parties à la convention de La Haye.

Visas accordés en 1999
Principaux pays d'origine

Vietnam

731

Cambodge

129

Pologne*

54

Colombie*

303

Russie

116

Ukraine

51

Roumanie*

302

Corée

89

Burkina-Faso*

34

Madagascar

218

Thaïlande

86

Chili*

30

Bulgarie

188

Djibouti

72

Côte d'ivoire

27

Guatemala

186

Lettonie

72

Cap-vert

25

Haïti

151

Mali

70

Mexique*

23

Brésil*

143

Inde

58

Congo

20

Ethiopie

142

Chine

57

.........

.........

Total visas : 3.592 (dont 928 dans le cadre de la convention de La Haye)

* Pays parties à la Convention de La Haye

Source : Ministère des affaires étrangères, Mission pour l'adoption internationale

La répartition géographique de ces pays couvre la totalité des continents : en 1999, 20% des enfants provenaient d'Afrique, 25% d'Amérique, 23% d'Europe et 33% d'Asie. La part majoritaire du continent asiatique s'explique par le développement des adoptions au Vietnam à partir de 1987. Elle est cependant en constante décroissance depuis 1979 où elle représentait plus de 80 % des adoptions. La part du continent africain a considérablement augmenté, passant de 3,5% en 1979 à 20% en 1999. L'Europe a connu une hausse encore plus sensible passant de 1% en 1979 à 23% en 1999, avec une augmentation croissante des visas délivrés au profit des pays de l'Est. Inversement, le nombre d'adoptions réalisées dans les pays d'Amérique du sud décroît depuis 10 ans.

Ces chiffres placent la France au rang de deuxième pays d'accueil au monde, après les Etats-Unis. Ils ne la placent cependant qu'au neuvième rang si on les rapporte à la population . Le total des adoptions internationales effectuées dans le monde était évalué à environ 33 000 en 1998.

Pays d'accueil pour l'adoption internationale (1998)
(Taux d'adoption pour 100 000 habitants)

Pays

Adoptions
inter-pays

Taux
(pour 100 000 habitants)

Norvège

643

14,6

Luxembourg

60

14,2

Danemark

624

11,8

Suède

928

10,5

Nouvelle-Zélande

389

10,2

Suisse

686

9,4

Canada

2 222

7,3

- dont Québec

698

9,5

- reste du Canada

1 524

6,6

Islande

18

6,5

France

3 777

6,4

Belgique

600 1

5,9 1

USA

15 774 2

5,8

Pays Bas

825

5,3

Italie

2 233

3,9

Espagne

1 500 1

3,8 1

Israël

214 3

3,6

Finlande

181

3,5

Chypre

25

3,2

Grèce

236 4

2,2

Australie

244 5

1,3

Allemagne

922

1,1

Irlande

27

0,7

Royaume Uni

258

0,4

Total 1

33 000 1

1 Estimations ; 2 Année fiscale 1997/98 ; 3 Année 1999 ; 4 Année 1995 ; 5 Année fiscale 1998/99

Source : UNICEF

Plus du quart des enfants obtiennent un visa pour la France avant l'âge de six mois et plus des deux tiers avant l'âge de trois ans.

Les adoptions par démarche individuelle représentent près des deux tiers des adoptions. 1258 adoptions sur 3592 ont été réalisées en 1999 par l'intermédiaire d'organismes habilités pour servir d'intermédiaire. Dans le cadre de la convention de La Haye, l'intervention de ces organismes est d'ailleurs obligatoire.

II. UN CADRE INTERNATIONAL DE RÉGULATION SE MET PROGRESSIVEMENT EN PLACE

La communauté internationale a posé des principes et commence à mettre en oeuvre des procédures destinées à assurer le respect des droits de l'enfant en matière d'adoption et à limiter les trafics.

A. LA CONVENTION DES NATIONS UNIES DU 20 NOVEMBRE 1989 RELATIVE AUX DROITS DE L'ENFANT

La convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 énonce que tout enfant privé de son milieu familial a droit à la protection de l'État. Mais elle admet que chaque État peut adopter une protection conforme à sa législation nationale et qu'il doit être tenu compte " de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant " ainsi que de son " origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique ". A côté de l'adoption, elle reconnaît donc, comme moyen de protection, le placement dans une famille, la kafala 2 ( * ) de droit islamique, ou, en cas de nécessité, le placement dans une institution ( art. 20 ). Dans tous les cas, il revient aux États de s'assurer du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ( art. 21 ).

B. LA CONVENTION DE LA HAYE DU 29 MAI 1993

La convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale est applicable à la France depuis le 1 er octobre 1998.

Dans le but de combattre les trafics d'enfants, elle institue entre les États signataires un système de coopération dans les procédures d'adoption ainsi qu'une reconnaissance mutuelle des décisions prononcées dans chacun de ces États.

Fondée sur la réalisation de l'intérêt supérieur de l'enfant et la volonté de combattre l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants, elle énonce en préambule que le maintien de l'enfant dans son milieu familial d'origine doit être recherché et que l'adoption internationale ne doit être envisagée qu'à défaut de solution nationale de remplacement. Elle se réfère à cet égard aux principes posés par la convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant.

La collaboration des États passe obligatoirement par une autorité centrale , instituée dans chaque État, laquelle peut déléguer ses pouvoirs à des organismes agréés .

Il revient à l'État d'origine de l'enfant de décider qu'il est adoptable et à l'État d'accueil de garantir que les candidats à l'adoption ont la capacité nécessaire pour adopter. En France, les candidats à l'adoption doivent donc être agréés. Les notions " d'État d'accueil " et " d'État d'origine " ne sont pas conditionnées par la nationalité des parties mais par leur résidence . Le caractère international de l'adoption résulte du déplacement de l'enfant d'un État dans l'autre.

Les décisions et leur effets sont reconnues de plein droit dans l'ensemble des pays signataires, sauf contrariété manifeste avec l'ordre public envisagée au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. Un certificat de conformité est délivré par l'État dans lequel l'adoption est réalisée.

Une adoption qui implique, dans l'État où elle est prononcée, la rupture complète du lien de filiation préexistant sera reconnue avec cet effet dans tous les États contractants.

Une adoption, prononcée dans l'État d'origine, n'ayant pas pour effet de rompre le lien de filiation préexistant pourra être convertie dans l'État d'accueil en une adoption produisant cet effet, donc en France en une adoption plénière 3 ( * ) , à condition qu'un consentement éclairé ait été donné ( art. 27 ). Cette décision de conversion sera reconnue par l'ensemble des États signataires, y compris par l'État d'origine.

Au 14 décembre 2000, 51 États avaient signé ou adhéré à la convention qui était applicable dans 38 États, à savoir 23 États pouvant être considérés comme des pays d'origine et 15 États pouvant être définis comme des pays d'accueil. Un quart seulement des adoptions internationales ont été réalisées dans le cadre de la convention en 1999, cette part tendant à s'accroître en 2000.

C. LA CONVENTION AVEC LE VIETNAM DU 1ER FÉVRIER 2000

Des conventions bilatérales peuvent être conclues avec des pays n'ayant pas ratifié la convention de La Haye. Il en a été ainsi avec le Vietnam après la suspension, le 29 avril 1999, des adoptions avec ce pays à la suite de la découverte de trafics d'enfants. Signée le 1 er février 2000, cette convention est entrée en vigueur le 1 er novembre 2000.

Elle s'inspire de la convention de La Haye, sans toutefois donner la possibilité aux États de déléguer leurs pouvoirs à des organismes habilités.

A ce jour, il semble cependant que les procédures ne soient pas encore au point et que la convention ne soit pas encore entrée en application dans les faits. Le décret d'application vietnamien nécessaire à la mise en oeuvre de la convention n'a en effet été signé que le 11 décembre 2000 et est annoncé comme devant entrer en vigueur le 26 décembre.

D. LA RECOMMANDATION DU CONSEIL DE L'EUROPE DU 26 JANVIER 2000

La recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, n° 1443 (2000) du 26 janvier 2000, relative au respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale 4 ( * ) , énonce que l'adoption ne doit pas avoir pour objet de satisfaire un quelconque droit à l'enfant. Après s'être insurgée contre les dérives mercantiles de l'adoption internationale et avoir souligné les préjugés tenaces sur les bienfaits pour un enfant étranger d'être adopté et de vivre dans un pays riche, elle incite les États à ratifier la convention de La Haye et à renforcer leur coopération, notamment par l'intermédiaire d'Europol, dans la lutte contre le trafic d'enfants.

III. LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE EN MATIÈRE DE CONFLITS DE LOIS N'EST PAS UNIFIÉE

En dehors de l'application des conventions internationales, les conflits de loi en matière d'adoption internationale relèvent de la jurisprudence.

La première question à trancher est de savoir de manière générale s'il faut appliquer à l'adoption internationale la loi de l'adoptant ou celle de l'adopté. Les difficultés portent ensuite, d'une part, sur la possibilité d'assimiler une adoption prononcée à l'étranger à une adoption plénière, même dans le cas où ce type d'adoption n'existe pas dans le pays d'origine de l'adopté, et, d'autre part, sur la possibilité de prononcer en France une adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution . Il en est ainsi des enfants soumis à un statut personnel de droit coranique.

Le droit français reconnaît en effet deux formes d'adoption , l'adoption plénière et l'adoption simple , qui présentent certains caractères communs mais diffèrent par leurs conditions et par leurs effets.

Dans les deux cas, l'adoption est réservée à des époux mariés depuis deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans ( art. 343 du code civil ) ou à des personnes seules âgées de plus de vingt-huit ans ( art. 343-1 ) ayant, sauf exception admise par le juge, reçu un agrément pour adopter, y compris pour l'adoption internationale ( art. 353-1 ). Sauf exception, la différence d'âge doit être de quinze ans entre l'adopté et les adoptants ( art. 344 ). L'adoption exige le consentement des père et mère ou du conseil de famille ( art. 347 à 349 ). Elle est prononcée par le tribunal de grande instance ( art. 353 ).

L'adoption plénière ( articles 343 à 359 du code civil ) ne s'adresse qu'à des enfants de moins de quinze ans accueillis au foyer des adoptants depuis au moins six mois ( art. 345 ). Sauf dans le cas où elle concerne l'enfant du conjoint, elle implique une rupture totale du lien de filiation préexistant , la nouvelle filiation se substituant à la filiation d'origine ( art. 356 ) et elle est irrévocable ( art. 359 ). L'adopté jouit dans sa famille adoptive des mêmes droits et obligations qu'un enfant légitime ( art. 356 ). Il prend le nom de l'adoptant ( art. 357 ). La nationalité française lui est attribuée de droit dans les mêmes conditions qu'à un enfant légitime ou naturel ( art. 20 ).

L'adoption simple ne pose pas de conditions d'âge de l'adopté ( art. 360 du code civil ). Les liens de filiation préexistants ne sont pas rompus , l'adopté conservant ses droits, notamment héréditaires, dans sa famille d'origine ( art. 364 ). Elle n'implique pas l'acquisition automatique de la nationalité française. L'enfant adopté peut cependant acquérir cette nationalité par déclaration jusqu'à sa majorité ( art. 21-12 ). Il ne porte pas de plein droit le nom de l'adoptant ( art. 363 ).

Plusieurs pays ne connaissent qu'une forme d'adoption se rapprochant de l'adoption simple en ce qu'elle n'opère pas une rupture totale et irrévocable des liens de filiation préexistants.

Les États de droit coranique, à l'exception de la Turquie, de l'Indonésie et de la Tunisie, appliquent, quant à eux, l'interdiction de l'adoption pouvant être déduite d'une interprétation d'un verset de la sourate XXXIII " les coalisés " : " Dieu ne loge pas deux coeurs au dedans de l'Homme, (...), non plus qu'il ne fait vos fils de ceux que vous adoptez ". La question se pose principalement pour la France à l'égard des enfants algériens et marocains. Dans certains États multi-confessionnels, comme le Liban ou l'Égypte, ne sont concernés que les enfants de statut personnel coranique.

Le droit coranique reconnaît cependant la kafala ou recueil légal qui ne crée pas de filiation mais se définit par l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur " au même titre que le ferait un père pour son fils ". En droit français, la kafala peut être assimilée à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle légale. Le tanzil prévoit quant à lui une gratification testamentaire permettant de placer une personne au rang d'héritier du premier degré, toujours sans constituer de lien de filiation.

A. L'ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION

Plusieurs règles peuvent être déduites de la jurisprudence de la Cour de cassation.

1. Les conditions et les effets de l'adoption sont soumis à la loi nationale de l'adoptant

Depuis l'arrêt Torlet du 7 novembre1984, les conditions et les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale de l'adoptant. La loi de l'adopté doit simplement déterminer les conditions du consentement à l'adoption et les formes dans lesquelles il doit être recueilli.

2. L'adoption plénière est possible même si la loi nationale de l'adopté ignore cette forme d'adoption

La Cour de cassation a ensuite détaché le consentement à l'adoption de la loi nationale de l'adopté régissant l'adoption, transformant ce consentement en une simple règle matérielle.

L'arrêt Pistre du 31 janvier 1990 précise que le contenu du consentement, à savoir s'il a été donné en vue d'une adoption simple ou d'une adoption plénière, doit être apprécié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l'adopté prohibant l'adoption plénière.

Un consentement donné en vue d'une rupture complète et irrévocable des liens avec la famille d'origine permet donc de prononcer une adoption plénière , même si la loi de l'adopté ne connaît pas cette forme d'adoption.

Cette jurisprudence est constante, elle vient d'être réaffirmée par la 1 ère chambre civile le 24 octobre 2000.

3. L'adoption semble possible même si la loi nationale de l'adopté prohibe cette institution

Adoptant un raisonnement comparable au précédent à l'égard de législations qui prohibent l'adoption , l'arrêt Fanthou du 10 mai 1995 autorise deux époux français à procéder à l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle n'autorise pas cette institution à la condition, qu'indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant légal du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance de cause des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays d'origine.

Dans l'arrêt Lorre du 1 er juillet 1997, la Cour de cassation a cependant considéré que l'autorité publique étrangère, représentant légal du mineur, n'avait pas le pouvoir de consentir à l'adoption au mépris de l'interdiction de l'adoption faite par sa propre législation.

A la suite de cet arrêt, on a pu se demander si les principes posés dans l'arrêt Fanthou étaient remis en cause. Certains commentateurs ont pensé que la Cour de cassation s'orientait vers une distinction entre les personnes privées qui pourraient donner un consentement au mépris de la loi personnelle de l'adopté et les personnes publiques qui ne le pourraient pas.

La Cour de cassation ne s'est pas depuis lors prononcée sur des cas d'adoption plénière d'enfants de statut personnel prohibitif.

Mais dans l'arrêt Lenoir du 16 décembre 1997, elle a validé une adoption simple au vu d'un consentement donné par un tribunal marocain " indépendamment des dispositions prohibitives de la loi personnelle de l'enfant ". Elle a semblé ainsi revenir à sa position adoptée dans l'arrêt Fanthou.

Il est cependant difficile d'affirmer ce que serait aujourd'hui sa position à l'égard du prononcé d'une adoption plénière d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution.

4. Les personnes dont le statut personnel prohibe l'adoption ne peuvent pas adopter

En revanche, appliquant la loi nationale des adoptants aux conditions de l'adoption, la Cour de cassation refuse systématiquement le prononcé de l'adoption au bénéfice de personnes dont le statut personnel interdit cette institution. Elle a plusieurs fois considéré que cette prohibition à l'adoption n'était pas contraire à l'ordre public international (voir dernièrement, 1 ère chambre civile, 19 octobre 1999).

B. UN PREMIER ESSAI DE DÉFINITION LÉGISLATIVE DU CONFLIT DE LOIS N'A PAS ABOUTI EN 1996

La proposition de loi de M. Jean-François Matteï à l'origine de la loi du 5 juillet 1996 sur l'adoption contenait dans son article 15 une règle de conflit de loi. Cet article, une fois amendé sur proposition de Mme Véronique Neiertz, énonçait une règle de conflit permettant l'adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution. Sur le rapport de M. Luc Dejoie, le Sénat avait refusé, en première comme en deuxième lecture, de suivre l'Assemblée nationale sur ce terrain.

Le Sénat n'avait en effet pas souhaité introduire dans le code civil des dispositions imposant unilatéralement l'application du droit français au moment où était envisagée la ratification de la convention de La Haye. Quelques mois après l'intervention de l'arrêt Fanthou par lequel la Cour de cassation avait admis la validité de l'adoption d'un enfant étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution, il avait préféré s'en remettre à la jurisprudence.

Cette disposition n'avait pas été reprise en commission mixte paritaire.

C. LA CIRCULAIRE TRÈS CONTROVERSÉE DU 16 FÉVRIER 1999

La circulaire du garde des sceaux en date du 16 février 1999 adressée aux parquets annonce pour objectif de susciter une unification de la jurisprudence en matière de conflits de lois. Ce faisant elle pose des règles nouvelles plus restrictives que celles généralement mises en oeuvre par les juridictions.

D'emblée, elle énonce que " l'adoption ne saurait être présumée dans tous les cas favorable à l'enfant étranger au seul motif qu'il a été recueilli en France, cette institution ne constituant pas le seul cadre juridique susceptible de lui offrir la stabilité dont il a besoin ".

La circulaire semble avoir pour principal objectif d'empêcher le prononcé par les tribunaux français de l'adoption d'un mineur dont le statut personnel prohibe cette institution. Elle essaie donc de contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation en donnant des instructions aux parquets. Elle ne s'impose cependant pas aux juges judiciaires, dont plusieurs ont depuis prononcé des adoptions d'enfants algériens ou marocains.

Pour limiter les trafics d'enfants, la circulaire énonce en outre que la validité du consentement donné à l'étranger impose le respect de l'article 348-5 du code civil selon lequel les enfants de moins de deux ans doivent obligatoirement être remis préalablement au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption . Cette disposition a été très contestée.

La circulaire reste en outre muette sur les conditions de la transformation en adoption plénière d'une adoption simple prononcée hors du cadre de la convention de La Haye. Elle ne semble pas s'y opposer, mais ce silence contraste avec son caractère très détaillé par ailleurs, d'autant plus qu'elle donne en annexe une liste des États connaissant une adoption pouvant être assimilée d'emblée à une adoption plénière française, sans préciser explicitement que, dans les autres cas, s'applique la règle de conversion définie par la jurisprudence. Le garde des sceaux a par la suite indiqué en réponse à plusieurs questions parlementaires, dont, le 25 octobre 1999, à une question posée en juillet 1999 par M. Jean-François Matteï, que la jurisprudence n'était pas remise en cause sur ce point.

Très contestée, cette circulaire a fait l'objet d'un recours actuellement pendant devant le Conseil d'État.

D. UN MANQUE D'UNITÉ DES DÉCISONS DES JURIDICTIONS DE PREMIER RESSORT ET DES COURS D'APPEL

D'une manière générale, il semblerait que cette circulaire ait modifié l'attitude des parquets et des juges du premier ressort en les incitant à une grande méfiance à l'égard de l'adoption. Certaines juridictions refusent systématiquement aux familles le prononcé d'adoptions plénières. D'autres juridictions ont écarté, comme les y incitait la circulaire, le prononcé de l'adoption d'enfants de moins de deux ans non remis préalablement à un organisme habilité.

S'agissant du prononcé de l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe cette institution, certaines juridictions s'y opposent systématiquement, alors que d'autres acceptent de prononcer des adoptions simples, même sans consentement exprès, au vu d'une simple kafala, au motif de l'équivalence de résultat entre les deux institutions. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 25 mars 1999, a même accepté de déduire la possibilité d'une adoption plénière d'une kafala assortie d'un changement de nom. La Cour d'Appel de Paris a en revanche récemment considéré (27 avril 2000) que les autorités algériennes n'avaient pas le pouvoir de consentir une adoption alors que leur loi personnelle prohibe cette institution.

La jurisprudence, qui manquait déjà d'unité avant la circulaire, s'est trouvée encore plus erratique après sa publication, plongeant les familles dans une incertitude et une détresse rendant nécessaire l'intervention du législateur.

IV. LA PROPOSITION DE LOI : UNE RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS S'ÉCARTANT SUR CERTAINS POINTS DES SOLUTIONS JURISPRUDENTIELLES

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale comprend cinq articles. Son principal apport est de poser une règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale ( art. 1 er A et art. 1 er ) mais elle contient également des dispositions relatives au Conseil supérieur de l'adoption ( art. 3 ) et à la composition de l'Autorité centrale pour l'adoption ( art. 4 ).

A. LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

L'article 1 er A crée un nouveau chapitre dans le code civil relatif aux conflits de lois en matière d'adoption, à l'image du chapitre et de la section existant respectivement en matière de divorce et de filiation.

L'article premier insère dans ce nouveau chapitre un article 370-3 déterminant l'effet en France des jugements étrangers en matière d'adoption internationale et désignant la loi applicable à l'adoption prononcée en France .

Il reprend en premier lieu plusieurs règles admises par la Cour de cassation et par la convention de La Haye.

S'agissant des effets en France des décisions prononcées à l'étranger , il prévoit que l'adoption régulièrement prononcée dans le pays d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française, pour l'adoption simple ou l'adoption plénière, lorsque l'adoptant est de nationalité française ou réside en France. Il reprend ainsi la jurisprudence traditionnelle selon laquelle les jugements étrangers relatifs à l'état et à la capacité des personnes sont d'effet direct en France, sous réserve de leur régularité internationale.

Il prévoit ensuite qu'une adoption ayant le caractère d'une adoption simple dans le pays d'origine, car ne rompant pas le lien préexistant de filiation, peut être convertie en adoption plénière sous réserve que les consentements requis aient été donnés expressément en connaissance de cause.

S'agissant du prononcé de l'adoption en France , la proposition développe la qualité du consentement qui doit être donné par le représentant légal du mineur en s'inspirant des dispositions de l'article 4 de la convention de La Haye : ce consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant, et éclairé sur les conséquences de l'adoption. A l'inverse de la règle prévue dans la convention de La Haye, ce consentement n'a pas à être donné par écrit. Il est précisé que cette règle ne s'applique qu'aux mineurs dont la loi personnelle reconnaît l'adoption.

Mais toujours sur le prononcé de l'adoption en France, ce texte apporte une innovation importante par rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation. Un amendement de M. Gérard Gouzes a rendu impossible l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe cette institution.

La proposition initiale de M. Matteï se contentait de prévoir, à titre subsidiaire, l'application de la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption en " l'absence de législation dans le pays d'origine ", ce qui laissait la porte ouverte à diverses interprétations.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit l'application de la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption " lorsque le pays d'origine n'y fait pas obstacle ".

Ce texte, très restrictif, interdit aussi bien le prononcé de l'adoption plénière que de l'adoption simple.

En outre, il applique la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption prononcée en France , différant en cela de la jurisprudence qui se réfère depuis 1984 à la loi nationale de l'adoptant. Cette évolution n'aurait pas de conséquence pour un adoptant français. En revanche, un adoptant de nationalité étrangère résidant en France, se verrait ainsi dorénavant appliquer la loi française alors que la jurisprudence actuelle conduirait à l'application de sa propre loi nationale.

B. AUTRES DISPOSITIONS

L ' article 2 opère dans le code civil une coordination qui n'avait pas été faite lors du vote de la loi du 5 juillet 1996.

L'article 3 donne un fondement législatif au Conseil supérieur de l'adoption régi jusqu'à présent par le décret n° 75-640 du 16 juillet 1975. Ce faisant, il modifie sa composition, de manière à assurer une meilleure représentation du milieu associatif et il adapte son fonctionnement et ses missions à l'adoption internationale.

L'article 4 modifie la composition de l'autorité centrale pour l'adoption instituée par la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 pour y associer, avec voix consultative, les représentants des associations de familles adoptives et des organismes autorisés pour l'adoption.

La proposition de loi présentée initialement par M. Jean-François Matteï contenait en outre des dispositions relatives aux conditions et à la procédure de déclaration judiciaire d'abandon des enfants ayant fait l'objet d'un placement, lesquelles n'ont pas été reprises par la commission des Lois de l'Assemblée nationale.

V. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UNE PROPOSITION BIENVENUE NÉCESSITANT QUELQUES MODIFICATIONS DE FORME ET DE FOND

A. UNE PROPOSITION BIENVENUE

L'absence d'unité de la jurisprudence, aggravée par la publication de la circulaire du 16 février 1999, justifie pleinement l'intervention du législateur pour éviter que ne continuent à se développer, dans un climat devenu passionnel, des situations juridiques inextricables.

Les règles proposées relatives à la reconnaissance des décisions étrangères, à la conversion d'une adoption simple en adoption plénière et au consentement qui doit être donné à l'adoption reprennent la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation. Elles rencontrent l'adhésion de votre commission.

Votre commission considère en outre qu'il est très difficile de ne pas prévoir l'interdiction d'adopter des enfants de statut personnel prohibitif . Même si la clarification apportée par la proposition de loi est douloureuse à plusieurs égards, il ne lui semble pas souhaitable d'imposer unilatéralement l'application du droit français à des États étrangers cultivant une conception contraire à la nôtre, à partir du moment où cette conception n'est pas contraire à notre ordre public.

Or, la Cour de cassation a reconnu que l'interdiction de l'adoption n'était pas contraire à l'ordre public français (voir dernièrement, 1ère chambre civile, 19 octobre 1999) . La solution à ce délicat problème devra être trouvée par négociation avec les États concernés. Certaines évolutions de leur part peuvent en effet être espérées.

Votre commission souhaite cependant apporter quelques modifications de forme et de fond au texte adopté par l'Assemblée nationale.

B. DES MODIFICATIONS SOUHAITABLES

Votre commission souhaite apporter quelques modifications à la règle de conflit de lois posée à l'article premier et préciser l'article 3 relatif au Conseil supérieur de l'adoption.

1. En rester à la loi nationale des adoptants s'agissant des conditions de l'adoption

Le dernier alinéa du texte proposé par l'article 1 er de la proposition prévoit que " la loi française s'applique aux conditions et aux effets de l'adoption si la loi du pays d'origine n'y fait pas obstacle ".

Outre les critiques formelles pouvant être adressées à cette disposition de compromis 5 ( * ) , on peut regretter qu'elle applique de manière unilatérale la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption sans prévoir aucune condition de rattachement. Il semble qu'elle accorde à la loi française un domaine exorbitant alors même que le texte se veut respectueux des lois étrangères.

La règle posée s'écarte ainsi de la jurisprudence traditionnelle selon laquelle les conditions et les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale de l'adoptant.

Or, s'agissant au moins des conditions de l'adoption , votre commission estime que cette règle traditionnelle appliquée à des personnes étrangères procédant à une adoption devant les juridictions françaises a le mérite de ne pas prononcer, dans l'intérêt de l'enfant, une adoption qui risquerait de ne pas être reconnue dans le pays d'origine des adoptants étrangers.

Votre commission considère qu'il y a encore plus de risque de créer une " adoption boiteuse " en ne respectant pas le statut des parents adoptifs qu'en ne tenant pas compte du statut de l'enfant, dans la mesure où l'adopté est logiquement conduit à vivre avec ses parents adoptifs selon les lois qui les régissent.

La collaboration instituée entre les États dans le cadre de la convention de La Haye est certes basée sur la résidence. Mais la convention ne détermine pas de règle de conflit de lois, se bornant à assigner aux États d'accueil la mission de garantir la capacité d'adopter des futurs parents adoptifs et aux États d'origine celle de s'assurer que l'enfant est adoptable. La convention comprend en outre un mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions dans l'ensemble des pays qui y sont parties.

Votre commission souhaite donc que les conditions de l'adoption continuent d'être régies par la loi nationale de l'adoptant.

Le corollaire de ce principe est l'interdiction d'adopter pour les personnes dont la loi nationale prohibe cette institution , sachant que des personnes intégrées dans la nation française peuvent échapper à l'application de leur loi nationale en France en demandant la nationalité française.

Votre commission juge utile de préciser en outre la loi applicable en cas d'adoption par deux époux. Cette loi serait celle qui régit leur union , sachant qu'il serait précisé que deux époux de loi nationale différente prohibant l'une et l'autre l'adoption ne pourraient cependant pas adopter.

S'agissant des effets de l'adoption , votre commission estime judicieux en revanche d'appliquer en France, comme l'a prévu l'Assemblée nationale, la loi française à l'ensemble des adoptions prononcées en France comme à l'étranger pour éviter la multiplication des statuts différents sur le territoire.

2. Prévoir des exceptions à la prohibition de l'adoption posée par la loi personnelle des adoptés

Considérant qu'il ne convient pas d'aller à l'encontre de la loi personnelle des adoptés, votre commission vous proposera d'affirmer ce principe de manière plus nette que ne le fait la proposition de loi.

En revanche, elle vous proposera quelques amodiations à ce principe :

- l'interdiction ne serait explicite que concernant les mineurs étrangers . Elle ne toucherait donc pas les majeurs et tomberait à l'égard de personnes acquérant la nationalité française, alors même qu'elles n'en perdraient pas pour autant leur nationalité d'origine ;

- elle ne s'appliquerait pas aux enfants nés en France et y résidant , compte tenu des liens particuliers que ces enfants, qui ont d'ailleurs vocation à devenir français de manière automatique, entretiennent avec la France ;

- elle ne s'appliquerait pas aux procédures engagées avant l'entrée en vigueur de la loi. Votre commission vous proposera à cet effet d'adopter une disposition transitoire dans un article additionnel après l'article premier .

3. Préciser le contenu du consentement et les caractéristiques de l'adoption plénière

Votre commission considère que le consentement à l'adoption plénière doit être donné en connaissance de cause du caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant pour éviter toute mauvaise interprétation de la part des parents biologiques. Une adoption prononcée à l'étranger ne pourrait en tout état de cause être assimilée d'emblée à une adoption plénière que si la loi locale prévoit une rupture complète et irrévocable du lien de filiation.

Il convient de préciser que ce n'est pas l'adoption elle-même qui doit être irrévocable dans le pays d'origine mais la rupture du lien de filiation. Le caractère irrévocable de l'adoption elle-même résultera en France de l'application de l'article 359 du code civil destiné à éviter qu'un enfant adopté plénièrement ne se retrouve sans filiation à la suite d'une révocation de l'adoption. Il ne concerne pas les parents biologiques ni l'État d'origine mais les seuls parents adoptifs.

4. Autres modifications

Sur la forme , il est apparu préférable de scinder l'article 370-3 du code civil en trois articles pour améliorer la lisibilité du code et de traiter d'abord des conditions du prononcé de l'adoption en France avant d'envisager les effets de l'adoption prononcée à l'étranger.

Votre commission vous proposera enfin de modifier l'article 3 relatif au Conseil supérieur de l'adoption pour inclure dans sa composition des associations regroupant des personnes adoptées, hors les pupilles de l'État, et attribuer certaines prérogatives, quant à son fonctionnement, au ministre chargé de la famille plutôt qu'au ministre des affaires sociales.

Votre commission vous proposera d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier A
(Chapitre III du titre VIII du livre Ier du code civil)
Création d'un chapitre dans le code civil

Cet article complète le titre VIII du livre premier du code civil relatif à l'adoption par un chapitre III intitulé : " du conflit des lois relatives à la filiation adoptive ". Ce chapitre contiendra un article 370-3 dont le contenu figure à l'article premier de la proposition.

La proposition initiale complétait le chapitre relatif à l'adoption plénière, rendu en grande partie applicable par l'article 361 à l'adoption simple, plutôt que de prévoir un chapitre spécifique.

La solution adoptée par l'Assemblée nationale, sur proposition de M. Gérard Gouzes, se rapproche de celle qui a prévalu en 1972 s'agissant de la filiation adoptive ( section II du chapitre premier du titre VII du livre premier comprenant les articles 311-14 à 311-18 ) ainsi qu'en 1975 s'agissant du divorce ( chapitre V du titre VI du livre Ier comprenant l'article 310 ).

La moitié des dispositions de la proposition ne règle cependant pas des conflits de lois au sens habituel du terme mais concerne l'effet des décisions d'adoption prononcées à l'étranger.

Votre commission vous propose donc de compléter l'intitulé du chapitre par la mention " et de l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger ".

Cette formulation a l'avantage de recouvrir aussi bien les décisions de forme judiciaire que celles de forme administrative pouvant intervenir dans certains pays.

Votre commission vous propose d'adopter l'article premier A ainsi modifié .

Article premier
(Art. 370-3 du code civil)
Effets des décisions d'adoption prononcées à l'étranger et
loi applicable au prononcé de l'adoption en France

Cet article est relatif, d'une part, aux effets en France des décisions d'adoption prononcées à l'étranger et, d'autre part, à la loi applicable au prononcé de l'adoption en France d'un mineur étranger.

Il introduit, dans le nouveau chapitre du code civil créé par l'article 1 er A de la proposition de loi, un article 370-3 comprenant quatre alinéas.

L'application de la loi française aux effets en France de l'adoption prononcée à l'étranger

Le premier alinéa prévoit que l'adoption régulièrement prononcée dans le pays d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française pour l'adoption plénière ou l'adoption simple lorsque l'adoptant est de nationalité française ou réside habituellement en France.

Il s'agit de la reprise du principe jurisprudentiel de la reconnaissance de plein droit des décisions étrangères relatives à l'état et à la capacité des personnes, dégagé par la Cour de cassation depuis l'arrêt Bulkey en 1860.

Les décisions étrangères doivent avoir été régulièrement prononcées . En l'absence de toute précision sur la notion de régularité, s'appliqueront les critères fixés par la Cour de cassation dans l'arrêt Munzer du 7 janvier 1964, à savoir :

- compétence du tribunal ;

- régularité de la procédure ;

- application de la loi compétente selon les règles de conflit françaises, ou du moins d'une loi ayant permis d'atteindre un résultat similaire ;

- conformité à l'ordre public international ;

- absence de fraude à la loi.

Ce principe est également reconnu par les articles 23 et 26 de la convention de La Haye .

Il permet notamment la transcription directe sur les registres de l'état civil des décisions étrangères d'adoption après une vérification de leur régularité et de leur portée par le procureur de la République. L'inscription des enfants étrangers nés à l'étranger ayant fait l'objet d'une adoption par un Français pouvant être assimilée à une adoption plénière sera effectuée sur les registres du service central d'état civil de Nantes. L'adopté sera alors considéré comme ayant été français depuis sa naissance dans les mêmes conditions qu'un enfant légitime ou naturel ( art. 20 du code civil ).

En cas de doute par le parquet sur la régularité ou les effets de l'adoption, il reviendra au tribunal de grande instance de trancher.

S'agissant d'une adoption simple, la transcription sur les registres d'état civil exige que l'adopté ait acquis la nationalité française, ce qui peut être fait par déclaration au bout de deux ans en application de l'article 21-12 du code civil . La déclaration de nationalité exige cependant que la décision d'adoption ait fait l'objet préalablement, en application de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 , d'une décision d'exequatur sur laquelle le tribunal de grande instance statue à juge unique en application de l'article L. 311-11 du code de l'organisation judiciaire . Or, contrairement à la procédure d'adoption, la procédure d'exequatur exige la représentation par un avocat. Pour éviter les frais y afférent, les familles préféraient souvent recommencer une procédure d'adoption en France, pratique condamnée par la circulaire du 16 février 1999. Les familles pourront cependant demander en France la conversion de l'adoption simple en adoption plénière si les conditions posées par la proposition de loi sont réunies.

L'application de la loi française aux effets de l'adoption prononcée à l'étranger dès lors que l'adoptant est de nationalité française ou réside habituellement en France permet d'éviter la multiplication des statuts en France. Il semble même que l'on pourrait se passer du critère de rattachement par la résidence ou par la nationalité et appliquer la loi française dès lors que l'on veut faire produire des effets en France à une décision d'adoption .

La conversion d'une adoption simple en une adoption plénière

Le deuxième alinéa prévoit que lorsque l'adoption prononcée dans le pays d'origine de l'adopté n'a pas pour effet de rompre le lien préexistant de filiation, celle-ci peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause de ses effets.

Il s'agit de la reprise du principe dégagé par la Cour de cassation permettant le prononcé en France d'une adoption plénière, indépendamment de la loi nationale de l'adopté, à condition qu'un consentement éclairé ait été donné ( Pistre, 1990 ).

Ce principe figure d'ailleurs à l'article 27 de la convention de La Haye , avec une portée plus large puisque l'adoption ainsi convertie dans l'État d'accueil est reconnue dans l'ensemble des États parties à la convention, y compris dans l'État d'origine de l'enfant.

Le consentement doit être donné expressément. Deviendraient ainsi impossibles les pratiques de certaines juridictions déduisant le consentement de divers actes (kafala accompagnée d'un changement de nom par exemple).

Le texte adopté mentionne la rupture du lien de filiation, sans préciser que cette rupture doit être complète et irrévocable . Or, il semble que l'irrévocabilité du lien de filiation est un élément qui devrait entrer en ligne de compte dans le consentement donné, sachant que ce n'est pas l'adoption elle-même qui doit être irrévocable dans le pays d'origine mais la rupture du lien de filiation . Le caractère irrévocable de l'adoption résultera en France de l'application de l'article 359 du code civil destiné à éviter qu'un enfant adopté plénièrement ne se retrouve sans filiation à la suite d'une révocation de l'adoption. Il ne concerne que l'adoptant et non les parents biologiques ou l'État d'origine de l'enfant.

La qualité du consentement à l'adoption en cas de prononcé de l'adoption en France

Le troisième alinéa développe la qualité du consentement qui doit être donné par le représentant légal du mineur en cas de prononcé de l'adoption en France. Il s'inspire des dispositions de l'article 4 de la convention de La Haye : ce consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant, de manière à éviter la pratique des mères porteuses, et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier s'il s'agit d'une adoption plénière. A l'inverse de la règle prévue dans la convention de La Haye, ce consentement n'a pas à être donné par écrit. Il est précisé que cette règle ne s'applique qu'aux mineurs dont la loi personnelle reconnaît l'adoption.

La notion de loi personnelle a été préférée à celle, envisagée dans la proposition initiale, de pays de naissance. En effet le statut personnel restant attaché à la personne dépend en général de la nationalité ou, dans certains pays comme l'Égypte ou le Liban, de la religion, et non du lieu de naissance.

La personne habilitée à donner son consentement ainsi que la forme de celui-ci sera définie d'après les règles de la loi locale en matière de représentation. Est ainsi écartée l'application de l'article 348-5 du code civil exigeant la remise préalable des enfants de moins de deux ans au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption, règle que la circulaire du 16 février 1999 tendait à instituer comme une condition du consentement à l'étranger.

Là encore, il n'est pas précisé que le consentement donné à l'adoption plénière doit être donné en connaissance du caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant . Il semble pourtant important d'éviter tout malentendu sur la question.

L'interdiction du prononcé de l'adoption si le statut personnel de l'adopté prohibe cette institution

Le quatrième alinéa de l'article prévoit l'application de la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption " lorsque le pays d'origine n'y fait pas obstacle ".

Il rend donc impossible le prononcé de l'adoption si la loi nationale de l'adopté prohibe cette institution.

La proposition initiale de M. Jean-François Matteï se contentait de prévoir, à titre subsidiaire, l'application de la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption en " l'absence de législation dans le pays d'origine ", ce qui laissait la porte ouverte à diverses interprétations.

La commission des lois de l'Assemblée nationale avait préféré prévoir l'application de la loi française " si la législation du pays d'origine autorise l'adoption ou ne la prévoit pas ".

La rédaction finalement adopté, sur proposition de M. Gérard Gouzes, est beaucoup plus restrictive. Elle va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation (Fanthou, 10 mai 1995 ; Lenoir, 16 décembre 1997).

Votre commission considère qu'il est très difficile de ne pas prévoir l'interdiction d'adopter des enfants de statut personnel prohibitif . Même si la clarification apportée par la proposition de loi est douloureuse à plusieurs égards, il ne lui semble pas souhaitable d'imposer unilatéralement l'application du droit français à des États étrangers cultivant une conception contraire à la nôtre, à partir du moment où cette conception n'est pas contraire à notre ordre public.

Or, la Cour de cassation a reconnu que l'interdiction de l'adoption n'était pas contraire à l'ordre public français (voir dernièrement, 1ère chambre civile, 19 octobre 1999). La solution à ce délicat problème devra être trouvée par négociation avec les États concernés. Certaines évolutions de leur part peuvent en effet être espérées.

Il n'en demeure pas moins que votre commission ne peut adhérer pleinement, pour des raisons de forme comme de fond, à la rédaction de cet alinéa.

Sur la forme , cette rédaction issue d'un compromis manque de clarté sur plusieurs points :

- il n'est pas précisé qu'il s'agit du prononcé de l'adoption en France ;

- il n'est pas indiqué si on vise le pays d'origine des adoptants ou des adoptés ;

- la notion de pays d'origine elle même n'est d'ailleurs pas explicitée et pourrait s'interpréter comme le pays de naissance ou comme celui de résidence ;

- on pourrait supposer que l'obstacle mentionné s'applique non pas à l'adoption elle-même mais à l'application de la loi française ;

- la notion d'obstacle n'est d'ailleurs pas des plus claires.

Votre commission vous proposera d'affirmer plus explicitement le principe de l'interdiction de l'adoption que ne le fait le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Sur le fond , elle estime en premier lieu que la prohibition posée par cet alinéa devrait connaître des exceptions :

- l'interdiction ne devrait être explicite que concernant les mineurs étrangers . Elle ne toucherait donc pas les majeurs et tomberait à l'égard de personnes acquérant la nationalité française, alors même que celles-ci n'en perdraient pas pour autant leur nationalité d'origine ;

- elle ne devrait pas s'appliquer aux enfants nés en France et y résidant , compte tenu des liens particuliers que ces enfants, qui ont d'ailleurs vocation à devenir français de manière automatique, entretiennent avec la France. Il serait ainsi par exemple inutile de demander la nationalité française d'enfants remis au service de l'aide sociale à l'enfance avant de prévoir leur placement pour adoption, ce qui pourrait permettre de gagner quelques mois précieux.

En second lieu, votre commission considère que la loi française ne doit pas être désignée de manière exclusive et unilatérale pour régir les conditions et les effets de l'adoption.

L'application de la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption prononcée en France.

Le même quatrième alinéa de l'article prévoit en effet de manière unilatérale l'application la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption sans préciser de condition de rattachement. Il semble qu'il accorde à la loi française un domaine exorbitant alors même que le texte se veut respectueux des lois étrangères.

Il diffère en cela de la jurisprudence qui se réfère depuis 1984 à la loi nationale de l'adoptant. Un adoptant de nationalité étrangère résidant en France, se verrait appliquer la loi française en vertu du texte adopté par l'Assemblée nationale, alors que la jurisprudence actuelle conduirait à l'application de sa propre loi nationale.

Or, s'agissant au moins des conditions de l'adoption , votre commission estime que cette règle traditionnelle, appliquée à des personnes étrangères procédant à une adoption devant les juridictions françaises, a le mérite de ne pas prononcer, dans l'intérêt de l'enfant, une adoption qui risquerait de ne pas être reconnue dans le pays d'origine des adoptants étrangers.

Votre commission considère qu'il y a encore plus de risque de créer une " adoption boiteuse " en ne respectant pas le statut des parents adoptifs qu'en ne tenant pas compte du statut de l'enfant, dans la mesure où l'adopté est logiquement conduit à vivre avec ses parents adoptifs selon les lois régissant ces derniers.

Elle souhaite donc que soit confirmée la jurisprudence actuelle faisant dépendre les conditions de l'adoption de la loi nationale de l'adoptant .

Le corollaire de ce principe est l'interdiction d'adopter pour les personnes dont la loi nationale prohibe cette institution , sachant que des personnes intégrées dans la nation française peuvent échapper à l'application de leur loi nationale en France en demandant la nationalité française.

Votre commission juge d'ailleurs utile de préciser la loi applicable en cas d'adoption par deux époux .

Cette loi serait celle qui régit leur union , ce qui reviendrait à appliquer devant les juridictions françaises, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation ( Rivière, 17 avril 1953 ), leur loi nationale, si elle leur est commune ou, dans le cas contraire, la loi de leur résidence habituelle ou, à défaut, la loi du juge saisi. Il convient de préciser en outre que deux époux de loi nationale différente prohibant l'une et l'autre l'adoption ne pourront cependant pas adopter.

S'agissant des effets de l'adoption , votre commission estime en revanche judicieux d'appliquer en France, comme l'a prévu l'Assemblée nationale, la loi française à l'ensemble des adoptions prononcées en France comme à l'étranger pour éviter la multiplication des statuts différents sur le territoire.

Sur la forme générale de l'article, votre commission estime qu'il serait préférable de répartir son contenu dans plusieurs articles du code civil pour en améliorer la lisibilité et de traiter d'abord des conditions du prononcé de l'adoption en France avant d'envisager les effets de l'adoption prononcée à l'étranger.

*

Compte tenu de l'ensemble des observations qui précèdent, votre commission vous propose d'adopter une nouvelle rédaction de l'article premier , insérant trois articles dans le code civil .

- l'article 370-3 traiterait du prononcé de l'adoption en France. Il comprendrait trois alinéas reprenant les dispositions des troisième et quatrième alinéas du texte adopté par l'Assemblée nationale.

La loi applicable serait la loi nationale de l'adoptant et non systématiquement la loi française. L'adoption par deux époux serait soumise à la loi qui régit les effets de leur union, sachant que deux époux dont la loi nationale prohibe l'adoption ne pourraient pas adopter.

L'interdiction de l'adoption d'un mineur étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution serait nettement affirmée. Mais serait prévue une exception pour les mineurs nés en France et y résidant ;Le consentement du représentant légal de l'enfant à une adoption plénière devrait être donné en connaissance du caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.

- l'article  370-4 traiterait des effets de l'adoption prononcée en France . Il se bornerait à préciser que la loi française est applicable aux effets de l'adoption ;

- l'article 370-5 traiterait des effets en France de l'adoption prononcée à l'étranger . Cet article fusionnerait en un seul alinéa les deux premiers alinéas du texte proposé par l'Assemblée nationale qui étaient partiellement redondants. Les effets de l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger seraient toujours, en France, ceux de la loi française. Une adoption impliquant une rupture complète et irréversible du lien de filiation préexistant aurait l'effet d'une adoption plénière. A défaut, elle pourrait être convertie en une adoption simple si les consentements requis ont été donnés expressément et en connaissance de cause.

Votre commission vous propose d'adopter l'article premier ainsi rédigé .

Article additionnel après l'article premier
Dispositions transitoires

Votre commission considère qu'il ne convient pas d'appliquer aux procédures engagées avant l'entrée en vigueur de la loi la prohibition de l'adoption pour les enfants dont le statut personnel interdit cette institution.

Il semble qu'il existe actuellement des affaires en instance devant les tribunaux. Leur nombre doit être peu élevé dans la mesure où la France refuse depuis maintenant deux ans de délivrer des visas liés à l'adoption pour des enfants en provenance du Maroc. La situation à l'égard des enfants algériens peut être différente dans la mesure ou, par accord avec ce pays, une kafala permet de faire jouer le regroupement familial.

Des familles qui ont fait venir un enfant d'un pays prohibant l'adoption à une époque où elles pouvaient penser obtenir sans problème une adoption en France doivent pouvoir espérer trouver une solution que l'application de la loi aux instances en cours leur refuserait inexorablement.

Or, la loi étant d'application immédiate, elle s'appliquerait aux instances en cours ce qui est bienvenu pour l'ensemble de ses dispositions, à l'exception de l'interdiction d'adopter un enfant de statut personnel prohibitif.

Votre commission souhaite en conséquence prévoir que l'interdiction inscrite au deuxième alinéa de l'article 370-3 ne s'appliquera qu'aux procédures engagées après l'entrée en vigueur de la loi. Les juges garderaient donc toute latitude s'agissant des procédures engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Votre commission vous propose d'adopter un article additionnel ainsi rédigé .

Article 2
(art. 361 du code civil)
Coordination

Cet article procède à une coordination qui avait été oubliée au moment du vote de la loi du 5 juillet 1996 dans l'article 361 du code civil .

Il insère la mention de l'article 353-2 dans la liste des articles du code civil relatifs à l'adoption plénière que l'article 361 rend applicables à l'adoption simple.

La loi de 1996 a renuméroté l'article 353-1 relatif à la tierce opposition en article 353-2 et elle a introduit un nouvel article 353-1 relatif à la vérification de l'agrément des adoptants par le tribunal.

La liste figurant à l'article 361 , visant l'ancien article 353-1 , n'en avait pas pour autant été modifiée. Elle ne comprend donc pas l'article 353-2.

Le présent article permet de combler cette lacune.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 2 sans modification .

Article 3
Conseil supérieur de l'adoption

Cet article donne un fondement législatif au Conseil supérieur de l'adoption actuellement régi par le décret n° 75-640 du 16 juillet 1975.

Adopté sur proposition de Mme Véronique Neiertz, ancienne présidente du Conseil supérieur de l'adoption, il renforce le rôle de ce conseil et modifie sa composition et ses missions dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'adoption internationale .

Le conseil n'est plus placé auprès du garde des sceaux et du ministre chargé de la famille mais auprès du Premier ministre.

Il est obligatoirement consulté sur les mesures législatives et réglementaires prises dans le domaine de l'adoption, alors que le texte actuel se borne à lui attribuer un rôle de proposition et d'information sans prévoir de saisine systématique. En outre, les questions relatives à l'adoption internationale sont explicitement mentionnées comme faisant partie de ses compétences.

Actuellement, il n'est convoqué que sur demande du garde des sceaux ou du ministre chargé de la famille ou de la majorité de ses membres. Le texte prévoit une réunion obligatoire une fois par semestre et la possibilité de convocation, outre par le garde des sceaux, le ministre de la justice, le ministre des affaires sociales ou la majorité de ses membres, par son président ou par le ministre des affaires étrangères.

Le conseil comprendra comme à l'heure actuelle des parlementaires, des représentants de l'État, des représentants des conseils généraux, des magistrats, des représentants des organismes autorisés ou habilités pour l'adoption, des représentants des associations de familles adoptives et de pupilles de l'État, un représentant du service d'aide social aux émigrants, et des personnes qualifiées. La différence essentielle par rapport à l'heure actuelle consiste en deux points :

- l'élargissement à plusieurs représentants des associations de familles adoptives et de pupilles de l'État, alors que le texte actuel ne désigne comme membre que le " président de la fédération des associations de foyers adoptifs ". Cette modification permettra une meilleure représentation des associations par la prise en compte de différents regroupements d'associations de familles adoptives, notamment des regroupements d'associations spécialisées dans l'adoption internationale, telles les associations regroupants les familles en fonction du pays d'origine des enfants adoptés ;

- la présence d'un membre de la mission pour l'adoption internationale placée auprès du ministre des affaires étrangères. Cette mission assure le secrétariat de l'autorité centrale pour l'adoption qui fonctionne dans le cadre des accords de La Haye et elle centralise et diffuse l'information sur l'adoption internationale.

Les modalités d'application de cet article seront fixées par décret en Conseil d'État .

Il paraît logique de mieux prendre en compte l'adoption internationale dans la mesure où elle concerne les trois quarts des enfants adoptés en France.

Dans le passé, l'actuel conseil s'est peu réuni et n'a pas été systématiquement consulté sur les questions relatives à l'adoption, notamment l'adoption internationale. Il n'a pas été consulté lors de la ratification par la France de la convention de La Haye ni sur la mise en place de l'autorité centrale chargée de sa mise en application. Récemment, il s'est cependant réuni à plusieurs reprises, notamment pour examiner la présente proposition de loi.

Votre commission considère que les dispositions de cet article sont de nature à permettre au conseil de jouer le rôle qui lui revient.

Elle souhaiterait cependant que sa composition soit complétée par des représentants d'associations regroupant des personnes adoptées, en dehors de celles regroupant les pupilles de l'État déjà représentées, de manière à ce que ces personnes puissent faire profiter le conseil de leur expérience vécue.

Elle préférerait en outre qu'il soit précisé, comme à l'heure actuelle, que le conseil peut être convoqué par le ministre chargé de la famille plutôt que par le ministre chargé des affaires sociales.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 3 ainsi modifié .

Article 4
(Art. 56 de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996)
Composition de l'autorité centrale pour l'adoption

Cet article élargit la composition de l'autorité centrale pour l'adoption aux représentants des organismes agréés pour l'adoption et des associations de familles adoptives.

Il n'accorde à ces représentants qu'une voix consultative , dans la mesure où cette autorité prend des décisions relevant de la puissance publique.

D'après l'article 56 de la loi du 5 juillet 1996, que le présent article modifie, l'autorité centrale est en effet chargée d'orienter et de coordonner l'action des administrations et des autorités compétentes en matière d'adoption internationale.

Le décret n° 98-868 du 23 septembre 1998 énonce qu'elle concourt à la définition de la politique de coopération internationale dans le domaine de l'adoption d'enfants étrangers et qu'elle détient certaines compétences dans le cadre de la mise en oeuvre de la convention de La Haye, à savoir :

- information mutuelle et coopération avec les autres autorités centrales ( art. 7 de la convention ) ;

- lutte contre les profits matériels indus ( art. 8 ) ;

- échanges de rapports généraux d'évaluation entre autorités centrales ( art. 9,d ) ;

- recueil des constatations de violation de la convention et prise de mesures à cet égard ( art. 33 ).

L'autorité comprend actuellement, aux termes du décret du 23 septembre 1998, un président nommé par décret ainsi que deux représentants du ministre des affaires étrangères, deux représentants du ministre chargé de la famille et deux représentants des conseils généraux, désignés par l'assemblée des présidents de conseils généraux.

L'élargissement de sa composition devrait permettre de prévenir toute incompréhension des décisions de cette autorité par les organismes représentatifs concernés par l'adoption.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 4 sans modification .

*

* *

Votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée .

TABLEAU COMPARATIF

* 1 Les juridictions françaises peuvent avoir à connaître de l'adoption d'un enfant étranger par des Français ou par des étrangers résidant en France. Elles peuvent également avoir à prononcer l'adoption d'un enfant français par des étrangers résidant ou non en France.

* 2 Recueil légal ne créant pas de lien de filiation

* 3 Pour la distinction entre l'adoption plénière et l'adoption simple française, se reporter ci dessous (III)

* 4 Cette résolution a été adoptée sur un rapport rédigé par votre rapporteur au nom de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille (doc. 8592 du 2 décembre 1999)

* 5 Se reporter à l'analyse effectuée dans la discussion des articles

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