2. Un cadre législatif mal adapté

Le développement sans précédent qu'ont connu les musées ne s'est pas accompagné d'une refonte du cadre législatif et réglementaire qui leur est applicable.

Les textes qui les régissent apparaissent aujourd'hui à la fois très hétérogènes et, pour certains d'entre eux, obsolètes.

En l'absence de règles qui leur soient communes, les musées de l'Etat et de ses établissements publics sont soumis aux textes réglementaires, décrets ou arrêtés, qui les instituent. On relèvera que certains d'entre eux sont régis par les seules règles de l'autorité dont ils dépendent : c'est le cas notamment des musées qui constituent de simples services de la collectivité publique propriétaire tels les trois musées que gèrent la Bibliothèque nationale de France (musée des arts du spectacle, musée de l'Opéra et musée du Cabinet des médailles) ou encore des musées d'université ou des nombreux musées de tradition militaire.

Les statuts de ces musées diffèrent profondément en fonction du ministère de tutelle mais également de leur mode d'organisation, selon qu'ils sont ou non dotés de la personnalité morale.

Ainsi, au sein des seuls musées nationaux, dont la liste est fixée par décret en vertu de l'article 3 de l'ordonnance n° 45-1546 du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des beaux-arts, on recense vingt-deux institutions administrées directement par la direction des musées de France et cinq musées constitués sous forme d'établissements publics à caractère administratif pour des raisons liées à l'histoire de chaque institution, comme les musées Jean-Jacques Henner ou Gustave Moreau, ou à la volonté de leur autorité de tutelle de conférer un statut autonome aux plus prestigieux d'entre eux.

S'agissant des musées des collectivités locales et des musées privés, s'applique, outre un décret de 1948 1 ( * ) qui ne concerne que les seuls musées de sciences naturelles, l'ordonnance du 13 juillet 1945. Ce texte à vocation provisoire codifiait l'organisation administrative très simple des musées français qui s'était mise en place dès le XIXe siècle en confiant à la direction des musées de France, alors sous l'autorité du ministre de l'éducation nationale, l'administration des musées nationaux appartenant à l'Etat mais également un contrôle sur les musées qui ne lui appartenaient pas.

Cependant, l'ordonnance de 1945, qui a repris pour l'essentiel les principes définis dans des textes de 1941, ne s'applique qu'aux musées des beaux-arts, dont son article 2 donne toutefois une définition assez large : « toute collection permanente et ouverte au public d'oeuvres présentant un intérêt artistique, historique ou archéologique », qu'ils appartiennent « soit à des collectivités publiques autres que l'Etat, soit à toute autre personne morale ».

Ces musées sont répartis en deux catégories, d'une part, les musées classés -au nombre de 33- qui sont pour la plupart les héritiers des musées de province créés sous le Consulat et, d'autre part, les musées contrôlés -soit plus de 1 100 institutions. La distinction essentielle entre ces deux catégories réside dans la nature du contrôle qu'exerce l'Etat à leur endroit, plus étroit pour la première que pour la seconde.

En effet, à l'origine, l'ordonnance prévoyait que les conservateurs des musées classés étaient des fonctionnaires de l'Etat et que ces institutions étaient inspectées au moins une fois par an par les services d'inspection de l'Etat, alors que, bien que prévoyant dans son article 13 que les règles relatives à la qualification des personnels scientifiques des musées classés et contrôlés étaient définies par décret, elle n'imposait pas à ces derniers de telles contraintes, se bornant à désigner les services compétents pour procéder à leur inspection.

Au delà de ces différences, l'ordonnance de 1945 définit les modalités du contrôle exercé par l'Etat sur ces institutions, qu'elles soient classées ou contrôlées.

L'article 7 instaure un régime de déclaration pour tout projet de création d'un musée, la sanction de la méconnaissance de cette obligation étant la possibilité pour l'autorité de tutelle, alors le ministre de l'éducation nationale -aujourd'hui celui chargé de la culture- de prescrire la fermeture du musée. Le ministre approuve, en vertu de l'article 8, le règlement et la fixation des droits d'entrée tandis que l'article 9 impose à ces musées, préalablement à toute acquisition, de recueillir son avis.

Or, force est de constater que, du moins pour les musées appartenant à des collectivités territoriales, les lois de décentralisation ont rendu caduques beaucoup de ces dispositions.

Si la distinction entre musées classés et musées contrôlés a encore un sens aujourd'hui, notamment parce que la loi du 22 juillet 1983 a maintenu la possibilité de mise à disposition des collectivités territoriales de conservateurs du patrimoine de l'Etat pour exercer leurs fonctions dans les musées classés, les articles prévoyant les modalités du contrôle exercé par l'Etat sont pour la plupart abrogés de fait et, en tout état de cause, demeurent inappliqués.

Cependant, bien qu'elles aient reconnu aux collectivités territoriales compétence pour financer et organiser leurs musées, les lois de décentralisation n'ont pas pour autant été l'occasion de clarifier les modalités de la tutelle exercée par l'Etat sur ces institutions.

En effet, l'article L. 1423-1 du code général des collectivités territoriales soumet les musées des collectivités territoriales « au contrôle technique de l'Etat » mais le décret en fixant les modalités n'a jamais été pris par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis lors.

Interrogé sur ce point par votre rapporteur, les services du ministère de la culture ont estimé que cet article ne constituait pas une base légale suffisante pour édicter un décret susceptible de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Au delà des musées gérés par des collectivités territoriales, on rappellera que l'ordonnance de 1945 s'applique à près de 150 musées privés, constitués pour la plupart d'entre eux sous la forme associative, qui se caractérisent également par une grande hétérogénéité de statuts.

Si on ne peut guère que constater le caractère obsolète et lacunaire de l'ordonnance de 1945, il faut bien admettre que ce texte a permis d'accompagner le développement qu'ont connu les musées au cours de ces dernières années.

Si elle n'a guère donné à la direction des musées de France les moyens de jouer le rôle d'impulsion qui lui a été assigné par les textes à l'égard des musées de l'Etat ne relevant pas de sa tutelle, l'organisation administrative conçue en 1945 a incontestablement favorisé la mise en place de rapports fructueux entre les musées territoriaux et les services de l'Etat et n'a en aucun cas freiné les progrès de la décentralisation culturelle en ce domaine.

Par ailleurs, bien que son champ d'application soit formellement limité aux seuls musées des Beaux-Arts, l'ordonnance n'a pas constitué un obstacle à la diversification des collections muséographiques ; on en voudra pour preuve l'inscription sur la liste des musées contrôlés de nombreux musées à vocation technique ou sociologique.

Au terme de ses travaux, votre rapporteur s'est interrogé sur l'opportunité de refondre entièrement un texte qui constituait un cadre à la fois souple et efficace en permettant de ne pas imposer des règles uniformes à l'ensemble des institutions muséographiques qui se caractérisent, on le rappellera au risque de lasser, par leur très grande diversité.

Il est apparu à votre rapporteur que les lacunes du droit des musées et la difficulté de concevoir une politique en ce domaine à l'échelon national résidaient plus dans l'extrême diversité des règles applicables aux musées relevant de l'Etat que dans le caractère obsolète de l'ordonnance de 1945 elle-même et dans la nécessité de réactualiser les conditions d'exercice de la tutelle de l'Etat sur les musées territoriaux et les musées privés.

* 1 Décret n° 48-734 du 27 avril 1948 relatif à l'organisation du service national de muséologie des sciences naturelles.

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