CHAPITRE II
FILIATION

Article 8
Harmonisation des droits des enfants légitimes et naturels

Cet article supprime des références aux enfants légitimes ou naturels à travers le code civil.

Il comprend trois paragraphes.

L'Assemblée nationale a adopté sans modification les paragraphes I et III auxquels le Sénat n'avait d'ailleurs adopté que des amendements formels de coordination.

Le paragraphe II du présent article procède à diverses coordinations dans les articles du code civil relatifs à la filiation.

Son substitue, dans l'article 340-6 relatif à l'action en recherche de paternité, une référence à l'article 374 actuel, relatif à la dévolution de l'exercice de l'autorité parentale en cas d'enfants naturels, par une référence à l'article 372 qui regroupe désormais l'ensemble des dispositions relatives à la dévolution de l'autorité parentale.

Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, le du présent paragraphe substituait à l'expression « enfant légitime » celle d'« enfant par le sang » dans l' article 358 relatif aux droits des enfants adoptés plénièrement et aux deuxième et troisième alinéas de l'article 365 relatifs aux enfants ayant fait l'objet d'une adoption simple.

En première lecture , votre commission avait relevé que la notion « d'enfant par le sang » n'avait pas de signification juridique en elle-même dans la mesure où c'était l'établissement de la filiation qui conférait des droits. Le Sénat avait en conséquence remplacé cette expression par des formulations plus appropriées, à savoir :

- dans l'article 358 , par une référence aux enfants dont la filiation est établie en application du titre VII du code civil ( 2° de l'article 8 ) ;

- dans le deuxième alinéa de l'article 365 relatif à l'exercice de l'autorité parentale, par une référence aux règles prévues au chapitre Ier du titre IX ( 3° de l'article 8 ) ;

- dans le troisième alinéa de l'article 365 relatif à l'administration légale et à la tutelle, par le mot « mineur » ( 4° de l'article 8 ) .

En deuxième lecture , l'Assemblée nationale a gardé les formulations retenues par le Sénat tout en apportant une précision formelle aux 2° et 3 ° de l'article : elle a complété les visas effectués par le Sénat pour préciser que le titre VII visé à l'article 358 du code civil et le titre IX visé à l'article 365 du même code appartenaient au « présent livre », à savoir le livre Ier du code civil.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 8 sans modification .

Article 9 bis A
(art. 318-1 et 339 du code civil)
Limitation des contestations de filiation légitime et naturelle

Cet article, adopté par le Sénat en première lecture, sur proposition de M. Michel Dreyfus-Schmidt, limite les possibilités de contestation de la filiation légitime ou naturelle d'un enfant jouissant d'une possession d'état conforme à son titre de naissance.

Actuellement, les modalités de contestation d'une filiation diffèrent selon qu'il s'agit d'une filiation naturelle ou d'une filiation légitime .

S'agissant de l'enfant légitime , l'article 316 du code civil autorise le mari à former une action en désaveu de paternité dans les six mois de la naissance de l'enfant ou de la connaissance de celle-ci. La mère, elle, ne peut contester la paternité de son mari qu'en se remariant avec le véritable père et en intentant son action dans les six mois du remariage et avant les sept ans de l'enfant ( articles 318 et 318-1 du code civil ).

En l'absence de possession d'état d'enfant légitime, l'interprétation a contrario du deuxième alinéa de l'article 322 du code civil 1 ( * ) donnée par les juridictions permet cependant à tout intéressé de contester une filiation légitime pendant le délai de prescription de droit commun de 30 ans prévu à l'article 311-7 du code civil, l'enfant pouvant le faire pendant une période de 48 ans, du fait de l'interruption de la prescription pendant sa minorité.

On rappellera que la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation entre un enfant et la famille à laquelle il est supposé appartenir ( art. 311-1 du code civil ).

S'agissant des enfants naturels , la contestation est possible par toutes personnes y ayant intérêt en application de l'article 339 du code civil .

Lorsqu'il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance de filiation naturelle, la contestation est recevable, de la part de tout intéressé et du ministère public, pendant un délai de dix ans et, de la part de la mère, de celui qui se prétend le père véritable et de l'enfant, pendant le délai de prescription légale de trente ans . En l'absence de possession d'état, le délai de dix ans opposable aux personnes autres que la mère, le père véritable et l'enfant ne joue pas et toute personne intéressée peut donc contester une filiation pendant un délai de trente ans.

Le nombre de contestations engagées sur la base de cet article 339 s'est élevé à 1621 en 1999. Il s'agit essentiellement d'hommes qui, après avoir reconnu l'enfant de leur compagne en sachant qu'ils ne sont pas le père biologique, remettent en cause cette reconnaissance lors de la séparation du couple.

L'auteur de l'amendement avait souhaité renforcer la stabilité du lien de filiation des enfants tant en terme de délais que des titulaires de l'action . Il avait en effet jugé nécessaire de lutter contre ce phénomène de contestation de filiation très déstabilisant pour l'enfant du fait des conséquences y afférant : changement de nom, retrait de l'autorité parentale.

Cette préoccupation rejoint celle des groupes de travail présidés respectivement par Irène Théry et Françoise Dekeuwer-Défossez, qui ont préconisé une harmonisation et une réduction des délais de contestation des filiations légitimes et naturelles.

Le paragraphe I de l'article adopté par le Sénat introduisait dans le chapitre premier du titre VII du livre premier du code civil consacré aux dispositions communes à la filiation légitime et à la filiation naturelle un nouvel article 311-7-1 interdisant toute contestation d'une filiation légitime ou naturelle lorsqu'il existe une possession d'état conforme au titre ayant duré cinq ans au moins depuis l'établissement de la filiation . Ce délai était toutefois porté à dix ans à compter de sa majorité pour l'enfant dont la filiation aurait été établie pendant sa minorité.

Le paragraphe II procédait à l'abrogation des premiers et troisième alinéas de l'article 339 du code civil relatif aux actions en contestation de la reconnaissance d'un enfant naturel.

Il semble que l'objectif poursuivi par cette abrogation était, d'une part, de faire disparaître dans l'article 339 la référence aux délais actuels de contestation et, d'autre part, de limiter les titulaires de l'action en interdisant celle-ci aux tiers.

La suppression des premiers et troisième alinéas de l'article 339 a cependant conduit à la disparition dans l'article de toute mention relative aux auteurs possibles d'une contestation de filiation naturelle, hormis le ministère public, ce qui semble aller au delà de la volonté des auteurs de l'amendement. En outre, il a été précisé que l'article visait les actions en reconnaissance alors qu'il s'agit d'actions en contestation de reconnaissance.

Par ailleurs, la disposition générale du nouvel article 311-7-1 n'était pas compatible avec les dispositions actuelles du code civil relatives à la contestation d'une filiation légitime, dont la modification n'était pas proposée.

En deuxième lecture , l'Assemblée nationale a adhéré au principe de la limitation des actions en contestation de filiation.

Elle a cependant profondément modifié le dispositif proposé par le Sénat de manière, d'une part, à mieux l'articuler avec les dispositions existantes en matière de filiation légitime et, d'autre part, à préciser les titulaires de l'action en contestation de filiation naturelle.

Plutôt que d'introduire un nouvel article commun aux contestations de filiations légitimes et naturelles, l'Assemblée nationale a préféré, au paragraphe I , modifier l'article 318-1 du code civil relatif à la contestation de la filiation légitime et, d'autre part, au paragraphe II , donner une nouvelle rédaction du dernier alinéa de l'article 339 du code civil relatif à la contestation de reconnaissance d'un enfant naturel.

A l'article 318-1 du code civil , elle a ainsi ramené de sept à cinq ans l'âge de l'enfant au delà duquel la mère et son nouveau conjoint ne peuvent plus exercer l'action en contestation de paternité légitime d'un enfant né au cours d'un mariage précédent et ayant la possession d'état d'enfant légitime à l'égard de l'ex conjoint de la mère.

A l'article 339 du code civil , l'Assemblée nationale a, comme le souhaitait le Sénat, interdit toute possibilité de contestation de filiation naturelle quand il existe une possession d'état conforme au titre de reconnaissance depuis cinq ans .

Avant l'expiration de ce délai, elle a réservé la contestation, toujours en cas de possession d'état conforme au titre de naissance, à l'auteur de la reconnaissance, à l'autre parent, à ceux qui se prétendent les parents véritables ou à l'enfant, ce dernier pouvant néanmoins exercer l'action pendant les dix ans suivant sa majorité si la filiation a été établie pendant sa minorité.

Il en résulte que toute possibilité de contestation d'une filiation naturelle ne serait pas supprimée pour les tiers mais que ceux-ci ne pourraient exercer d'action, pendant un délai de trente ans, qu'en l'absence de possession d'état.

En première lecture, votre commission s'était opposée à l'adoption du présent article pour des raisons d'opportunité. Elle avait en effet estimé que la complexité des questions de filiation ne permettait pas d'examiner une disposition prise isolément sans revoir l'ensemble des questions de filiation à travers un projet de loi global, actuellement en préparation.

Le dispositif adopté par le Sénat n'était d'ailleurs pas compatible avec les dispositions actuelles régissant la filiation légitime.

Malgré les améliorations apportées au texte par l'Assemblée nationale, votre commission garde le même avis.

Sur le plan des principes, votre commission est certes favorable au renforcement de la stabilité des liens de filiation.

Elle estime en effet que la vérité biologique ne doit pas devenir un dogme et elle admet qu'elle ne doit pas primer une filiation fondée sur la volonté et vécue à travers la possession d'état .

Elle considère cependant que la question de l'équilibre à trouver entre une filiation raisonnée et une vérité biologique , désormais facile à établir, doit faire l'objet d'un débat d'ensemble de fond et mérite de ne pas être abordée incidemment à partir d'une disposition partielle. A l'heure où le droit à la connaissance des origines est institué comme un credo, il peut paraître paradoxal de limiter de manière aussi drastique à cinq ans les délais de contestation d'une filiation au risque de maintenir des filiations forcées.

Sur le fond même de la mesure proposée, il est certes extrêmement choquant de voir des filiations remises en cause au gré des relations entre une mère et son partenaire.

La mesure est présentée comme urgente dans l'intérêt de l'enfant. Celui-ci souffrira cependant autant d'être rejeté par la personne qu'il croyait être son père que du changement juridique de filiation. Interdire une contestation de paternité n'obligera pas un père qui ne le souhaite pas à prodiguer de l'affection à un enfant. Dans certains cas, une contestation de paternité pourrait en revanche être bénéfique si elle permettait à un enfant de trouver un vrai père souhaitant assumer ses fonctions. Est-il souhaitable d'empêcher systématiquement un vrai père à effectuer une contestation de reconnaissance, donc de reconnaître lui-même son enfant, après un délai de cinq ans, et de maintenir en revanche une paternité forcée ?

A titre accessoire, votre commission observe que le fait d'obliger, comme le fait le paragraphe I de l'article, une mère remariée avec le vrai père de l'enfant à effectuer une contestation de paternité légitime avant que l'enfant n'ait atteint l'âge de cinq ans, au lieu de sept ans à l'heure actuelle, n'est pas compatible avec le délai actuel de six ans permettant à un époux d'obtenir le divorce pour rupture de la vie commune , seule possibilité actuellement ouverte pour divorcer d'un conjoint non fautif qui ne le souhaiterait pas.

Par ailleurs, l'article 10 de la proposition de loi, adopté conforme par l'Assemblée nationale, prévoit l'application de la loi aux instances en cours de jugement n'ayant pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée. Or, la question de l'entrée en vigueur du présent article n'a pas été étudiée. Il n'est pas certain que les dispositions de l'article 10 lui soient adaptées.

Pour toutes ces raisons, votre commission n'est pas favorable au maintien du présent article.

Votre commission vous propose de supprimer l'article 9 bis A .

* 1 « ..nul ne peut contester l'état de celui qui a une possession d'état conforme à son titre de naissance. »

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