Article 16
(art. 2328-1 nouveau du code civil)
Constitution, gestion et réalisation des sûretés réelles pour le compte de plusieurs créanciers

Votre commission vous propose, à l'article 16 de ses conclusions, de prévoir une disposition particulière relative à la question de la gestion des sûretés réelles. A cette fin elle vous propose de créer un article 2328-1 au sein du sous-titre premier du titre II du livre IV du code civil, issu de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés. Cette création n'emporterait cependant nullement ratification implicite ou impliquée de cette ordonnance, votre commission estimant qu'une ratification expresse des dispositions de ce texte est indispensable et ne saurait intervenir implicitement dans le cadre de l'examen de la présente proposition de loi.

La nécessité d'une telle disposition, qui complèterait utilement le recours à la fiducie dans le cadre d'opérations de financement complexe faisant intervenir plusieurs créanciers titulaires de sûretés réelles , est apparue du fait d'observations présentées à votre rapporteur par plusieurs praticiens du droit, et en particulier du droit financier.

En effet, dans les financements syndiqués , le débiteur a une pluralité de créanciers détenant chacun une quote-part de la créance de remboursement. Les usages bancaires internationaux consistent à confier à une entité spécifique -« l'agent des sûretés »- le soin de prendre, de gérer le cas échéant et de réaliser les sûretés au profit de l'ensemble des créanciers. Or, actuellement, le droit français ne paraît pas offrir de mécanisme juridique véritablement satisfaisant pour régir cette institution.

La théorie du mandat permet certes d'effectuer une telle opération. Dans ce cadre, l'agent des sûretés est mandaté par chaque créancier pour prendre, gérer et réaliser les sûretés. Toutefois, cette solution soulève plusieurs difficultés.

D'une part, les sûretés sont créées au bénéfice direct des mandants -seuls titulaires de la créance- et non au profit de l'agent lui-même. Or, l'opposabilité aux tiers des droits des mandants au titre de la sûreté présente des difficultés, notamment dans les cas où des mesures de publicité sont requises pour l'opposabilité des droits des bénéficiaires. En pratique, les garanties doivent en effet être prises systématiquement au nom de chaque mandant individuellement pour le montant de son risque, tandis que les contrats doivent être signés par chacun d'eux, ce qui présente une certaine lourdeur.

D'autre part, en cas de cession de participation dans le crédit syndiqué, le transport des sûretés accessoires découle de l'accomplissement des formalités requises pour la cession des créances à forme civile. L'opposabilité du transfert des sûretés accessoires nécessite le plus souvent l'accomplissement de formalités supplémentaires pour s'assurer que ces créanciers bénéficieront des sûretés initialement consenties par le débiteur.

Les praticiens du droit ont entendu résoudre ces difficultés en instituant, le cas échéant, une solidarité active entre les créanciers. Par ce biais, chacun des créanciers étant investi de la totalité de la créance, celui d'entre eux qui aura été désigné pourra prendre, gérer et réaliser les sûretés en son propre nom, puis transmettra le produit de cette réalisation aux autres créanciers.

Cependant, dans un tel cadre, l'emprunteur peut rembourser la totalité du prêt entre les mains du prêteur de son choix, et se libérer ainsi à l'égard des autres, ce qui est problématique dans l'hypothèse où l'agent qui a reçu les fonds est insolvable. En outre, il existe un risque que les juridictions considèrent que la chose jugée à l'égard d'un des créanciers solidaires s'impose à tous les autres. Chacun des prêteurs prend donc le risque que les mesures intentées par l'un d'entre eux s'imposent à tous.

Le recours à la solidarité active ne peut donc fonctionner que dans des crédits où le nombre de prêteurs est limité et où la solvabilité de la banque chargée des sûretés n'est pas contestable. Il n'est donc pas adapté à des opérations internationales de plus grande envergure.

La pratique recourt également parfois à la technique de la « parallel debt », usitée en Allemagne et aux Pays-Bas, qui permet de demander au constituant de la sûreté, déjà débiteur d'une dette auprès de l'ensemble des créanciers, de se reconnaître débiteur envers l'agent des sûretés d'une seconde dette ayant les mêmes caractéristiques que la première. L'agent des sûretés devient ainsi titulaire, à l'encontre du constituant de la sûreté, d'une obligation distincte de l'obligation initiale et qui lui est propre. Il peut dès lors prendre à la garantie de cette « parallel debt » des sûretés en son nom et pour son compte, et non en qualité de simple mandataire des créanciers.

Cependant, l'absence de jurisprudence française sur ce mécanisme juridique rend son application difficile. De surcroît, cette technique apparaît, en pratique, fort coûteuse.

Aussi, faute d'instruments juridiques français réellement adéquats, les acteurs économiques sont-ils contraints de soumettre leurs contrats de financement à des droits étrangers reconnaissant le trust anglo-saxon.

Votre commission estime donc qu'il est important d'autoriser la constitution, la gestion ainsi que la réalisation, par une seule personne, des sûretés réelles garantissant les créances de plusieurs créanciers.

Elle vous propose, en conséquence, de prévoir que toute sûreté réelle -qu'elle soit mobilière ou immobilière- pourra être inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une seule personne que ces créanciers désigneraient à cette fin . La désignation de cet agent des sûretés devra intervenir dans l'acte constatant l'obligation garantie.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 16 ainsi rédigé par ses conclusions.

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