III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : PROTÉGER LES TÉMOINS SANS PERMETTRE DES PRATIQUES ABUSIVES

Votre commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l'Assemblée nationale à travers le texte qu'elle nous a transmis.

Rappelons que le législateur de 1991 avait déjà envisagé les conséquences de l'ouverture des auditions à la presse et au public sur la responsabilité des témoins. Votre commission, à l'instigation de son rapporteur, notre regretté collègue Etienne Dailly, avait proposé, dans un premier temps, de les protéger de toute action 6 ( * ) . Cependant, cette proposition avait paru excessive et avait donc été retirée.

Au surplus, après plus de quinze années d'application des nouvelles règles régissant ces auditions, votre commission des lois considère que les risques encourus par les personnes entendues par les commissions d'enquête doivent être relativisés si l'on considère le nombre de poursuites engagées contre elles au regard des centaines de témoins convoqués par les commissions d'enquête de chacune des assemblées.

Un statut non dénué de toute garantie

Elle souhaite également souligner que les personnes convoquées ne sont pas démunies de toute protection : la loi du 20 juillet 1991 a prévu la faculté, pour les commissions, de décider le huis clos. Il est donc toujours loisible au témoin d'en demander le bénéfice. Force est de constater qu'au Sénat, ce qui nous est le plus familier, les commissions défèrent généralement à ces requêtes et respectent le secret. Citons, par exemple, la commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels des écoles et établissements d'enseignement de second degré, qui n'a publié le compte rendu des quatre auditions conduites sous la règle du secret ni dans le bulletin des commissions, ni en annexe de son rapport. C'est encore le cas de la commission sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites. Si la commission d'enquête sur la sécurité en Corse a révélé dans son rapport l'identité de certains témoignages, c'est parce qu'une telle connaissance était indispensable à la compréhension des choses ou que le contenu du témoignage constituait une entrave au déroulement d'une enquête judiciaire.

* Une protection normalement accrue

Plusieurs arguments, cependant, conduisent votre commission des lois à retenir le principe d'une immunité spécifique aux commissions d'enquête :

- le premier concerne les premiers bénéficiaires de la proposition soumise au Sénat qui leur permettrait d'obéir au même régime quelles que soient les conditions dans lesquelles ils auraient témoigné : réunion publique ou huis clos. Rappelons, en effet, qu'en l'état actuel de la jurisprudence, le secret ne permet pas de constituer le délit de diffamation puisque la publicité, élément essentiel de l'infraction, est extérieure au témoin. Ainsi, les mêmes propos peuvent ou non constituer l'infraction selon leur cadre d'expression alors même que leur auteur n'a pas la maîtrise des conditions d'organisation de son témoignage, qui relèvent de la seule responsabilité de la commission. Ce pouvoir souverain de la commission doit, d'ailleurs, être préservé afin d'éviter d'éventuelles entraves à ses investigations ;

- la garantie ainsi offerte aux témoins est de nature à sauvegarder la sincérité des témoignages qui doivent pouvoir être déposés en toute liberté dans l'intérêt de l'enquête, et donc propre à renforcer les pouvoirs d'investigation des commissions parlementaires ;

- enfin, les tiers, pour leur part, ne sont pas non plus dépouillés de toute protection puisque d'une part, l'immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l'objet de l'enquête , et que d'autre part, elle n'affaiblit pas les infractions de faux témoignage ou de subornation de témoins , qui continueraient à être pénalement sanctionnés.

En revanche, votre commission des lois s'est attachée à limiter strictement le dispositif proposé.

* Un encadrement strict de la garantie nouvelle

Au préalable, il vous est proposé, pour des motifs de lisibilité et de clarté de la loi , d'introduire la protection supplémentaire dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En effet, son article 41, comme nous l'avons exposé précédemment, comporte déjà d'une part, l'immunité parlementaire (alinéas 1 et 2) et d'autre part, l'immunité applicable devant les tribunaux (alinéa 3 à 5). Ainsi, l'ensemble des immunités serait rassemblé dans un même article.

En conséquence, votre commission prévoit, dans un article additionnel , d'inscrire dans la loi de 1881 le texte adopté par l'Assemblée nationale, assorti de deux modifications destinées à bien cerner les contours de l'immunité :

- d'une part, celle-ci ne pourrait s'exercer que dans le cadre restreint des réunions des commissions d'enquête 7 ( * ) ,

- d'autre part, le compte rendu des réunions, pour bénéficier de l'immunité, devrait non seulement être établi de bonne foi, mais encore être fidèle , ce qui implique qu'il ne procède pas à une dénaturation ou à une falsification des faits. Ainsi que l'expliquait l'avocat général honoraire Henri Guillot à propos des comptes rendus des procès, « sous le rapport de la fidélité, la partialité est la faute majeure » (cf. jurisclasseur pénal, annexe V ).

Tel est l'objet du premier amendement que votre commission des lois vous propose d'adopter pour créer un article additionnel avant l'article unique .

Par voie de conséquence, elle prévoit la mention d'un renvoi aux nouvelles dispositions dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 afin d'y établir l'ensemble du régime législatif des commissions d'enquête parlementaires.

Tel est l'objet du second amendement complétant le troisième alinéa du paragraphe II de l'article 6 de l'ordonnance de 1958.

*

* *

Votre commission croit devoir conclure son rapport en soulignant la responsabilité supplémentaire que cette nouvelle immunité imposera aux présidents des commissions d'enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions, propres à respecter les divers intérêts en présence.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des lois vous propose d'adopter la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale.

* 6 Rapport n° 352 (1990-1991).

* 7 Précisons que les mêmes dispositions s'appliqueraient dans le cadre des travaux conduits par une commission permanente ou spéciale bénéficiant des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Le Conseil constitutionnel considère, en effet, que l'ensemble des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 s'impose alors (cf décision n° 96-381 DC du 14 octobre 1996).

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