Rapport n° 730 (2009-2010) de M. Marcel-Pierre CLÉACH , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 29 septembre 2010


N° 730

SÉNAT

SECONDE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , autorisant la ratification de la convention entre la République française et le Royaume des Pays-Bas , relative à l' assistance mutuelle et à la coopération entre leurs administrations douanières , en vue d'appliquer correctement la législation douanière, de prévenir, de rechercher, de constater et de réprimer les infractions douanières dans la région des Caraïbes , et notamment sur l'île de Saint-Martin ,

Par M. Marcel-Pierre CLÉACH,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2708 , 2786 et T.A. 529

Sénat :

716 et 731 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale a adopté le 16 septembre dernier le projet de loi autorisant la convention signée le 11 janvier 2002 entre la France et les Pays-Bas, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre leurs administrations douanières, en vue d'appliquer correctement la législation douanière, de prévenir, de rechercher et de réprimer les infractions douanières dans la région des Caraïbes, et notamment sur l'île de Saint-Martin.

L'île de Saint-Martin relève pour partie de la souveraineté française et pour partie de la souveraineté néerlandaise. Plus largement, la France et les Pays-Bas sont voisins dans la région des Caraïbes à travers leurs territoires respectifs. L'intérêt d'une coopération en matière douanière est évident, particulièrement en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants qui caractérisent cette région.

La différence de statut communautaire entre les territoires sous souveraineté française et les territoires sous souveraineté néerlandaise de la région des Caraïbes avait rendu nécessaire la conclusion d'une convention bilatérale de coopération douanière. Signée en 2002, cette convention n'a pu être ratifiée par la France car elle incluait une disposition incompatible avec nos obligations constitutionnelles. Cette difficulté à été levée en novembre 2008 par un échange de notes joint à la convention.

Déjà fortement retardée, la ratification de cette convention devient désormais urgente, étant donné l'entrée en vigueur prochaine d'un nouveau statut constitutionnel de la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin.

Votre rapporteur exposera les raisons juridiques ayant rendu nécessaire la conclusion de cette convention, avant d'en présenter le dispositif.

I. LA PROBLÉMATIQUE DE LA COOPÉRATION DOUANIÈRE FRANCO-NÉERLANDAISE DANS LA RÉGION DES CARAÏBES

C'est essentiellement en vue de lutter contre le trafic de stupéfiants dans la zone Caraïbe que les Etats de la région ont mis en place diverses formes de coopération internationale. Une coopération spécifique avec les Pays-Bas s'est avérée nécessaire compte tenu de la souveraineté conjointe des deux Etats sur l'île de Saint-Martin. Dans cette coopération, la France s'appuie sur les moyens policiers et douaniers renforcés qu'elle a mis en place dans les Antilles.

A. LA MISE EN PLACE D'UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE FACE AU NARCO-TRAFIC DANS LA RÉGION DES CARAÏBES

La région des Caraïbes se trouve au coeur de voies d'acheminement privilégiées pour le trafic de stupéfiants. Elle constitue une zone de transit majeure pour la cocaïne, en provenance des aires de production sud-américaines (Colombie, Pérou, Bolivie) et à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. On distingue le transit primaire, qui ne fait que traverser par voie maritime l'arc antillais, et le transit secondaire, qui implique le déchargement à terre et le rembarquement des cargaisons. Dans une moindre mesure, la zone des Caraïbes a également vu se développer un trafic régional d'herbe de cannabis.

A titre d'exemple, les quantités de drogues saisies par la douane française aux Antilles ont dépassé 1,5 tonne en 2008 et 1,6 tonne en 2009.

Etant données la dimension internationale et la nature très structurée de ce trafic opéré par des organisations criminelles, la coopération policière et douanière entre les différents Etats de la région revêt une importance primordiale.

Par ailleurs, la région connaît d'autres formes de trafics ou d'activités illicites, comme la contrebande, l'écoulement de marchandises contrefaites, l'immigration irrégulière ou le blanchiment.

C'est en vue d'améliorer l'efficacité des services douaniers et de promouvoir leur coopération qu'a été créée la Conférence douanière Inter-Caraïbe , de manière informelle tout d'abord en 1978, puis sous une forme institutionnalisée en 1989, avec l'adoption du protocole d'accord relatif à l'assistance mutuelle et à la coopération en vue de la prévention et de la répression des infractions douanières dans la zone Caraïbe.

La Conférence douanière Inter-Caraïbe regroupe aujourd'hui 38 Etats membres, parmi lesquels les pays riverains de la zone Caraïbe ainsi que les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Espagne et la France. Siégeant à Castries (Sainte-Lucie) et dotée d'un secrétariat permanent, elle a pour objectif principal de développer la coopération et d'accroître l'échange d'informations entre les administrations douanières de la zone en vue de lutter plus efficacement contre les fraudes douanières, notamment en matière de stupéfiants. Ses missions couvrent ainsi l'assistance aux Etats membres en vue de moderniser leur administration douanière et d'en renforcer l'efficacité. Elle encourage également la coopération et le partenariat avec les autres administrations ou organisations engagées dans la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants.

La Conférence douanière Inter-Caraïbe a instauré un Bureau conjoint de renseignement (BCR) à San Juan (Porto Rico), ainsi qu'un système régional de « clearance » (SRC) permettant d'accéder à une base de données alimentée en temps réel par les différents services des douanes lors de l'accomplissement des formalités douanières. Ce système permet de suivre les mouvements de bateaux de plaisance. Il a été enrichi d'une seconde base de données dans laquelle les administrations membres signalent les saisies de produits prohibés et les autres faits marquants.

Le plan stratégique 2007-2012 adopté par la Conférence douanière Inter-Caraïbe retient sept objectifs : renforcer la coopération en matière de lutte contre la fraude et d'échange d'information ; renforcer et améliorer les contrôles et la sécurité aux frontières ; promouvoir le renforcement des capacités (gestion des ressources humaines et programmes ad hoc) ; moderniser les procédures et législations douanières ; mettre en oeuvre des mesures pour combattre la corruption et renforcer l'intégrité ; promouvoir l'image de marque de la Conférence et le partenariat avec les instances gouvernementales et internationales ; appuyer les efforts de la région en faveur de la facilitation du commerce.

On doit également signaler la signature à San José (Costa Rica), le 10 avril 2003, par neuf Etats de la région (Etats-Unis, Jamaïque, Pays-Bas, Guatemala, Nicaragua, Costa Rica, République dominicaine et France), de l' accord concernant la coopération en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes. L' accord de San José couvre tous les aspects de la coopération en matière de lutte contre les trafics, de l'échange de renseignements aux opérations d'arraisonnement de navires suspects.

Ces accords multilatéraux se doublent d' accords bilatéraux . Ainsi, la France a conclu des accords de coopération policière et douanière avec le Venezuela et la Colombie

Au plan opérationnel, les Etats-Unis jouent un rôle important au travers de la Joint InterAgency Task Force-SouthJIATF-S située à Key West en Floride. Cette structure opérationnelle, à laquelle participent également la France, les Pays-Bas, l'Espagne, le Venezuela et la Colombie, est chargée des opérations de surveillance et de répression du trafic de stupéfiants par voie aérienne et maritime dans cette région.

B. LA RECHERCHE D'UN CADRE JURIDIQUE POUR LA COOPÉRATION FRANCO-NÉERLANDAISE SUR L'ÎLE DE SAINT-MARTIN

La France comme les Pays-Bas sont directement intéressés à la coopération douanière dans la région des Caraïbes : la France à travers les départements d'outre-mer de la Martinique et de la Guadeloupe et les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ; les Pays-Bas à travers les diverses îles des Antilles néerlandaises.

Cette coopération est encore plus nécessaire sur l' île de Saint-Martin , pour partie sous souveraineté française et pour partie sous souveraineté néerlandaise.

L'île de Saint-Martin

Saint-Martin est une île du nord-est des Antilles, située à 250 kilomètres au nord de l'archipel de la Guadeloupe et 240 kilomètres à l'est de Porto-Rico.

Le traité de Concordia, signé le 23 mars 1648 entre la France et les Pays-Bas, a entériné la partition de l'île. D'une superficie de 90 km², Saint-Martin est ainsi le plus petit territoire au monde à être partagé entre deux Etats.

La partie française (56 km²) recouvre le nord de l'île et compte 36 000 habitants. Saint-Martin constituait une commune du département de la Guadeloupe, avant de devenir une collectivité d'outre-mer de la République à la suite de la réforme institutionnelle de 2007.

La partie néerlandaise, Sint-Marteen (34 km²), est constituée du sud de l'île et compte 33 000 habitants. Elle faisait partie de l'Etat autonome des Antilles néerlandaises jusqu'à la dissolution de celui-ci, le 1 er juillet 2007. Sint-Marteen forme désormais un territoire autonome au sein du Royaume des Pays-Bas. L'aboutissement de ce changement de statut sera effectif à compter du 10 octobre 2010, à l'issue du transfert de l'ensemble des compétences au territoire, à l'exception des affaires étrangères et de la défense qui continueront de relever du Royaume. La partie néerlandaise possède le statut de zone franche.

L'économie de l'île repose en grande partie sur le tourisme. C'est dans la partie néerlandaise que se situent l'aéroport international Princess Juliana, ainsi que le port de Philipsburg, qui a fortement développé son activité de croisières depuis sa mise en service en 2000. L'aérodrome régional de l'Espérance et le port de Marigot sont situés dans la partie française.

La France et les Pays-Bas sont liés par un instrument européen de coopération douanière : la convention du 18 décembre 1997 relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières, dite « convention Naples II ». Cette convention, qui a pris la suite de la convention « Naples I » de 1967, prévoit des échanges de données, soit sur demande, soit de manière spontanée. Elle a mis en place un système d'information des douanes (SID) permettant la diffusion rapide des informations et des renseignements. La convention « Naples II » fixe également le cadre des coopérations impliquant des actions transfrontalières en vue de la prévention, de la recherche et de la répression de certaines infractions tant à la législation nationale des Etats membres qu'aux réglementations douanières communautaires. Elle détaille notamment les modalités des cinq formes de coopération transfrontalière: la poursuite au-delà des frontières, l'observation transfrontalière, la livraison surveillée, les enquêtes discrètes et les équipes communes d'enquête spéciale.

Toutefois, la convention « Naples II » ne peut régir la coopération franco-néerlandaise sur l'île de Saint-Martin et dans la région des Caraïbes, en raison de la différence de statut communautaire entre les territoires sous souveraineté française et les territoires sous souveraineté néerlandaise . Les premiers, en tant que « régions ultrapériphériques », appartiennent au territoire douanier de l'Union européenne, contrairement aux seconds, qui relèvent des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), dans lesquels le droit dérivé communautaire ne s'applique pas directement.

Les changements institutionnels récemment intervenus tant pour la partie française que pour la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, sont sans incidence sur cette différence de statut au regard du droit communautaire.

En effet, à la suite de l'accession de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin , jusqu'alors rattachées au département de la Guadeloupe, au rang de collectivités d'outre-mer depuis la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, le traité de Lisbonne les a expressément mentionnées (article 349) dans la liste des régions ultrapériphériques.

S'agissant des territoires néerlandais , ils connaissent eux-aussi une profonde évolution institutionnelle. En 1986, l'île d'Aruba a été détachée de la fédération des Antilles néerlandaises pour constituer un Etat autonome au sein du Royaume des Pays-Bas. Celui-ci était alors constitué de trois entités : les Pays-Bas eux-mêmes, Aruba et l'Etat autonome des Antilles néerlandaises, composé de cinq îles principales : Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache et Sint-Marteen. Aruba et les Antilles néerlandaises sont des partenaires à part entière du Royaume et jouissent d'une totale autonomie en matière de politique intérieure, les affaires étrangères et la défense continuant de relever du Royaume.

Une nouvelle réforme institutionnelle mise en oeuvre à compter de 2007 doit aboutir, en octobre 2010, à la dissolution des Antilles néerlandaises en tant qu'Etat autonome. A l'issue de cette réforme, le Royaume des Pays-Bas se composera de quatre entités, ou « pays », autonomes : les Pays-Bas, Aruba, Curaçao et Sint-Marteen . Les îles de Bonaire, Saba et Saint-Eustache seront rattachées aux Pays-Bas en tant que territoires néerlandais des Caraïbes, sous un statut qui pourrait être comparé à celui de nos départements d'outre-mer.

Au terme du nouveau statut, Sint-Marteen continuera de constituer un « pays ou territoire d'outre-mer » au regard du droit communautaire.

Faute d'applicabilité de la convention « Naples II », la coopération entre services français et néerlandais sur l'île de Saint-Martin se limite à des interrogations ponctuelles sur des objectifs opérationnels, sous forme de demandes de transmission de fichiers ou de notoriété.

Pour lever cette difficulté, la France et les Pays-Bas ont signé à Philipsburg le 11 janvier 2002 la convention d'assistance mutuelle et de coopération dont la ratification, retardée pour des raisons d'ordre juridique, doit être autorisée par le présent projet de loi.

C. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS DE CONTRÔLE FRANÇAIS

Ainsi que l'a souligné devant votre rapporteur M. Louis-Constant Fleming, sénateur de Saint-Martin , le décalage entre les réalités de la partie française de l'île et le cadre juridique ainsi que l'organisation administrative qui lui étaient applicables, a soulevé et continue de soulever d'importantes difficultés.

Le détachement du département de la Guadeloupe et le statut de collectivité d'outre-mer, avec les transferts de compétences qui l'accompagnent et la possibilité d'apporter des adaptations aux lois et règlements, visent à mieux prendre en compte ces réalités locales.

Notre collègue Louis-Constant Fleming a également insisté pour que l'Etat remédie à une certaine sous-administration de la partie française de l'île, liée au fait que celle-ci ne constituait qu'une simple commune du département de la Guadeloupe. La création de la collectivité d'outre-mer doit logiquement s'accompagner d'un renforcement des moyens de l'Etat, particulièrement au moment où Sint-Marteen accroît son autonomie en se détachant des Antilles néerlandaises et en devenant une entité à part entière au sein du Royaume des Pays-Bas.

Ces préoccupations ont en partie été prises en compte en matière policière et douanière.

Ainsi, l' antenne Caraïbe de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), implantée en Martinique et chargée de coordonner l'ensemble des services opérationnels français, possède depuis l'été 2009 un détachement à Saint-Martin .

Une antenne de la direction des opérations douanières a également ouvert à Saint-Martin le 1 er avril 2010. Cette structure est spécialisée dans la recherche et le recueil de renseignement opérationnel. Elle peut mettre en oeuvre des moyens d'assistance technique spécialisés et recourir aux interceptions de sécurité, aux opérations de livraisons surveillées et d'infiltration. La brigade de surveillance locale des douanes est pour sa part toujours en service. Dotée de 9 agents, elle a en charge une mission de surveillance générale du port et de l'aéroport, une mission de ciblage aérien et une mission fiscale de recouvrement des taxes locales et de la TIPP.

Il paraît important à votre rapporteur de veiller à doter l'ensemble des services des moyens nécessaires à l'accomplissement des missions de l'Etat à Saint-Martin. La coopération avec la partie néerlandaise de l'île ne pourra que s'en trouver améliorée.

II. LA CONVENTION DE COOPÉRATION DOUANIÈRE DU 11 JANVIER 2002

En mars 2000, la France et les Pays-Bas ont décidé d'élaborer un cadre juridique pour leur coopération douanière sur l'île de Saint-Martin, sur le modèle de la convention européenne « Naples II » à laquelle les deux Etats sont parties, mais qui n'est pas applicable sur place pour les raisons précédemment exposées.

La négociation n'a pas soulevé de difficultés, dans la mesure où les deux Etats entendaient calquer la convention bilatérale sur les dispositions de la convention « Naples II ». La convention d'assistance mutuelle et de coopération douanière dans la région des Caraïbes, et notamment sur l'île de Saint-Martin, a été signée par les deux gouvernements quelques mois plus tard, le 11 janvier 2002.

Les Pays-Bas ont procédé à la ratification de la convention dès 2002 alors que pour la France, cette ratification soulevait un problème d'ordre constitutionnel, lié à la possibilité ouverte aux agents néerlandais effectuant une poursuite au-delà des frontières d'interpeller la personne en cause sur le territoire français. Un échange de notes intervenu en novembre 2008 précise que cette disposition n'entrera pas en vigueur tant que les autorités françaises n'auront pas adressé de notification en ce sens.

C'est donc assortie de cet échange de notes que cette convention est présentée au Parlement dans le projet de loi qui a été déposé le 7 juillet 2010.

A. UN DISPOSITIF INSPIRÉ DE LA CONVENTION « NAPLES II »

Bâtie sur le modèle de la convention « Naples II », la convention bilatérale franco-néerlandaise comporte 35 articles répartis en quatre titres.

Le titre I er , relatif aux dispositions générales , regroupe des stipulations habituelles dans les conventions d'assistance mutuelle et de coopération en matière douanière.

Le champ d'application géographique (article 2), couvre le territoire douanier des deux Etats parties dans la région des Caraïbes et notamment l'île de Saint-Martin. Ce territoire douanier est défini à l'article 1 er , qui ne mentionne pas spécifiquement Saint-Martin. En effet, à la date de la rédaction de la convention, Saint-Martin faisait partie du département de la Guadeloupe qui est pour sa part visé à l'article 1 er . Afin de lever toute ambigüité, la France accompagnera son instrument de ratification d'une déclaration interprétative précisant la définition du territoire douanier de la République française, en y incluant Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Les articles suivants détaillent le champ d'application et les formes de l'assistance mutuelle et de la coopération. Celles-ci visent à permettre l'application de la législation, le recouvrement des créances et la répression des infractions (article 3). L'article 4 pose le principe de la communication mutuelle, sur demande ou spontanément, de toutes les informations utiles à cette fin, ainsi que de la réalisation d'enquêtes par l'une des parties pour le compte de l'autre. Chaque partie est tenue de communiquer spontanément des informations concernant les nouvelles techniques de lutte contre les infractions, les nouvelles tendances délictueuses, les marchandises faisant l'objet de trafics, les moyens de transports utilisés par les délinquants et le nom des contrevenants potentiels (article 5).

Entrent également dans le champ de l'assistance mutuelle et de la coopération la surveillance spéciale exercée à la demande d'une des parties sur les personnes, biens, moyens de transport, locaux et valeurs contribuant à la réalisation d'infractions, cette surveillance spéciale pouvant donner lieu à des saisies de biens, ou encore l'assistance en matière de recouvrement de créances douanières (articles 6 à 11).

Les articles 12 à 17 précisent certaines modalités pratiques de la coopération.

Le titre II, relatif aux dispositions spéciales relatives à la coopération transfrontalière , en particulier sur l'île de Saint-Martin, et à la coopération maritime, constitue le coeur de la convention. Il permet en effet la mise en oeuvre d'une coopération opérationnelle concrète entre services français et néerlandais et leur ouvre, sous certaine condition, la possibilité d'agir au-delà des frontières, sur le territoire de l'autre partie. Il s'agit ici d'éviter que le passage de la frontière par les contrevenants ne prive l'action des services de toute efficacité.

L'article 18 pose le principe de cette coopération transfrontalière, centrée sur la lutte contre le trafic de précurseurs chimiques et de drogue, le commerce transfrontalier illégal et le blanchiment de l'argent. Certaines enquêtes sont soumises au contrôle des autorités judiciaires et les renseignements obtenus peuvent être utilisés comme éléments de preuve, dans le respect de la législation nationale.

L'article 19 ouvre la possibilité d'opérer une poursuite au-delà des frontières .

Dans le cas d'un flagrant délit, les agents de l'administration douanière de l'une des parties sont autorisés, en raison de l'urgence et sans avoir à demander une autorisation spéciale, à poursuivre le délinquant au-delà de la frontière pendant une durée maximale de quatre heures.

Le pouvoir d'interpellation demeure la prérogative des autorités de la partie sur le territoire de laquelle la poursuite s'achève, mais le paragraphe 3.b de l'article autorise les agents poursuivants à procéder eux-mêmes à une interpellation temporaire, le temps que les agents de la partie où la poursuite s'est déroulée puissent arriver sur les lieux et effectuer l'arrestation. Ce point soulève, pour la France, une difficulté d'ordre constitutionnel que votre rapporteur détaillera ci-après et qui a justifié l'échange de notes joint à la convention.

Les agents poursuivants doivent être identifiables par leur uniforme ou leur véhicule, peuvent utiliser des menottes et porter leur arme de service, dont l'usage n'est autorisé qu'en cas de légitime défense.

Lorsque la personne poursuivie n'est pas un national du territoire où elle a été arrêtée, elle doit être libérée au bout de six heures si une demande d'arrestation provisoire aux fins d'extradition n'a pas été transmise dans ces délais.

L'article 20 encadre l' observation transfrontalière d'un suspect : le franchissement de la frontière est autorisé pendant une durée de cinq heures, ainsi que le port de l'arme de service, mais ni l'entrée dans les domiciles privés, ni l'interpellation ne sont autorisées.

Par l'article 21, les deux parties s'engagent à autoriser sur leur territoire les livraisons surveillées dans le cadre d'enquêtes pénales, dans le respect de la législation nationale.

Les articles 22 et 23 prévoient la possibilité de créer des équipes communes spéciales d'enquête et de contrôle situées sur le territoire d'une des parties.

Il faut noter que le droit français (code des douanes) comporte d'ores et déjà des dispositions permettant ces coopérations transfrontalières, notamment dans le cadre de la convention « Naples II ». Seule la mise en oeuvre des équipes communes spéciales d'enquête (article 22) exige une transposition en droit interne. Celle-ci sera très prochainement effective avec la création dans le code des douanes d'un article 67 ter A, prévue par l'article 37 bis du projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI). Lors de sa discussion le 10 septembre dernier, le Sénat a adopté un amendement permettant d'étendre l'application de cette disposition aux demandes émanant de tout Etat avec lesquels la France a conclu une convention d'assistance mutuelle et de coopération douanière comportant des stipulations similaires à celles de la convention « Naples II ».

Le titre II de la convention, intitulé « dispositions communes », prévoit notamment l'institution d'un comité mixte (article 25) chargé de suivre la mise en oeuvre de la convention. Il comporte des stipulations relatives à l'utilisation, la confidentialité et la protection des informations (articles 27 à 30), une annexe spécifique étant consacrée aux principes fondamentaux à appliquer en matière de protection des données. L'article 30 précise que l'assistance et la coopération peuvent être refusées lorsqu'elles sont de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à tout autre intérêt essentiel de l'une des parties, ou si elles impliquent la violation d'un secret industriel, commercial ou professionnel. Tout refus doit cependant être motivé.

B. UN ÉCHANGE DE NOTES DESTINÉ À LEVER LES DIFFICULTÉS D'ORDRE CONSTITUTIONNEL

Comme votre rapporteur l'a précédemment signalé, le paragraphe 3.b de l'article 19 de la convention soulève des difficultés d'ordre constitutionnel, dès lors qu'il prévoit la possibilité pour des agents des douanes néerlandaises agissant dans le cadre d'une poursuite au-delà des frontières de procéder à une interpellation temporaire sur le territoire français , en l'attente de l'arrivée des autorités françaises compétentes.

La question du droit d'interpellation d'un agent étranger sur le territoire français dans le cadre d'une poursuite transfrontalière a été très directement posée lors de l'approbation par la France de la convention d'application de l'accord de Schengen .

L'article 41 de la convention d'application de l'accord de Schengen laisse à chaque Etat la faculté d'accorder ou de ne pas accorder le droit d'interpellation aux agents d'un Etat tiers opérant la poursuite. La France a alors déposé une déclaration indiquant qu'elle n'accordait pas ce droit , les agents de police étrangers ne pouvant donc arrêter eux-mêmes la personne poursuivie. Elle a alors précisé qu'elle fondait ce choix sur le respect de la souveraineté nationale et des garanties judiciaires.

Dans sa décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991, le Conseil constitutionnel s'est référé à cette déclaration pour estimer qu'en raison des modalités d'exercice retenues par la France, notamment l'absence du droit d'interpellation, la procédure de poursuite transfrontalière ne procédait pas à un transfert de souveraineté.

Le paragraphe 3.b de la convention franco-néerlandaise du 11 janvier 2002 est directement inspiré du paragraphe 2 de l' article 20 de la convention « Naples II » du 18 décembre 1997 adoptée dans le cadre de l'Union européenne. Cet article 20 relatif aux poursuites au-delà des frontières comporte néanmoins un paragraphe 6 précisant que chaque Etat membre effectue une déclaration définissant les modalités d'exercice de la poursuite sur son territoire, ainsi qu'un paragraphe 8 permettant à chaque Etat membre, lors du dépôt de son instrument d'adoption, de déclarer qu'il n'est pas lié par tout ou partie de l'article 20. La France a alors expressément déclaré que les agents étrangers exerçant le droit de poursuite sur le territoire de la République française ne disposeraient pas d'un droit d'interpellation .

On peut légitimement s'étonner que la convention franco-néerlandaise ait pu prévoir la possibilité d'un droit d'interpellation des agents néerlandais en territoire français, alors qu'une position de principe excluant cette possibilité avait été prise par la France, pour des raisons d'ordre constitutionnel, dans le cadre de la convention d'application de l'accord de Schengen et de la convention « Naples II ».

Sollicité par le ministère des Affaires étrangères sur le point de savoir si « la possibilité pour des autorités publiques étrangères (policières ou douanières à titre principal) qui poursuivent sur le territoire français des personnes prises dans leur pays d'origine en flagrant délit de commission d'une infraction déterminée, de procéder à leur interpellation en vue de les présenter devant les autorités françaises compétentes aux fins d'établissement de leur identité ou de leur arrestation selon les règles du droit français » portait « atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », le Conseil d'Etat , dans l'avis n°370.452 rendu le 25 novembre 2004, a pris la position suivante :

« En application du principe de valeur constitutionnelle selon lequel la défense de l'ordre public et la protection des libertés relèvent des seules autorités nationales, un acte de police, dès lors qu'il implique l'usage de la contrainte et qu'il est susceptible de conduire à une privation de liberté, ressortit à l'exercice des conditions essentielles de la souveraineté nationale. Il ne peut donc, en principe, être exécuté que par une autorité publique française ou sous son contrôle.

« L'acte d'interpellation intervenant dans le cadre d'une poursuite transfrontalière pour un flagrant délit commis dans un Etat étranger est un acte de police qui implique l'usage de la contrainte et porte atteinte à la liberté individuelle. Il ne peut être accompli que par des services français ou sous leur contrôle.

« La reconnaissance par la France aux agents étrangers , conformément à l'option offerte par la convention d'application de l'accord de Schengen, d'un droit d'interpellation sur le territoire français , compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel et des motifs qui précèdent, ne saurait intervenir qu'après une révision de la Constitution permettant aux autorités françaises de consentir à un tel transfert de compétence .

« Les observations qui précèdent s'appliquent à la convention relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières du 18 décembre 1997 (dite Naples II), dès lors que l'article 20 de cette convention, relatif au droit de poursuite transfrontalière, reprend en des termes similaires les dispositions de l'article 41 de la convention d'application de l'accord de Schengen et que la France, dans une déclaration, a choisi de ne pas accorder à l'agent poursuivant le droit d'interpellation. »

L'avis du Conseil d'Etat établit donc clairement que la convention franco-néerlandaise du 11 janvier 2002 ne peut être ratifiée en l'état, puisque le paragraphe 3.b de son article 19 n'est pas compatible avec la Constitution française.

Bien qu'ayant pour leur part déjà procédé à la ratification, les Pays-Bas ont accepté le principe d'un échange de notes visant à ne pas mettre en oeuvre les dispositions concernées de l'article 19.

Cet échange de notes a eu lieu les 4 et 18 novembre 2008.

Dans sa note du 4 novembre 2008, le ministère des affaires étrangères et européennes propose que la convention soit complétée par les dispositions suivantes :

« Les parties conviennent que la stipulation du paragraphe 3.b de l'article 19, et, par voie de conséquence, celle du paragraphe 5.f, ne prendront effet qu'à la date à laquelle la partie française aura adressé une notification en ce sens à la partie néerlandaise, qui en accusera réception ».

Dans sa réponse du 18 novembre 2008, l'Ambassade des Pays-Bas indique que cette proposition a recueilli l'approbation des autorités néerlandaises, l'échange de notes constituant un accord bilatéral d'application de la convention.

L'échange de notes des 4 et 18 novembre 2008 est joint à la convention du 11 janvier 2002 dans le présent projet de loi d'approbation.

CONCLUSION

On peut regretter le retard pris par la mise en oeuvre de l'accord de coopération douanière entre la France et les Pays-Bas sur l'île de Saint-Martin et dans la région des Caraïbes, du fait d'une difficulté juridique qui n'aurait pas dû survenir compte tenu de la position de principe prise par la France sur la convention d'application de l'accord de Schengen, confirmée ultérieurement lors de la signature de la convention « Naples II » sur la coopération douanière dans l'Union européenne.

Sur le fond, cette convention est rendue nécessaire par la différence de statut douanier, au regard du droit communautaire, des territoires français et néerlandais des Antilles. Elle doit permettre de rendre l'action des services douaniers des deux Etats plus efficace, notamment sur l'île de Saint-Martin.

Ainsi que votre rapporteur l'a déjà souligné, se faisant sur ce point l'écho de notre collègue Louis-Constant Fleming, sénateur de Saint-Martin, les outils juridiques nouveaux apportés par la convention impliquent un renforcement des moyens administratifs sur la partie française de l'île, désormais érigée en collectivité d'outre-mer.

Sous le bénéfice de ces observations, votre rapporteur vous demande d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 septembre 2010, sous la présidence de M. Josselin de Rohan, président, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi.

Un débat s'est engagé à la suite de l'exposé du rapporteur.

M. Josselin de Rohan, président - Les agents néerlandais auront un droit de poursuite sur la partie française de Saint-Martin, mais nos règles constitutionnelles s'opposent à ce qu'ils procèdent à une interpellation. Il faut donc souhaiter une coopération étroite avec les douanes françaises, afin que celles-ci puissent intervenir très rapidement et opérer l'interpellation des délinquants.

M. Daniel Reiner - J'avais cru comprendre qu'une convention de ce type avait déjà été signée par le passé, mais que les Pays-Bas ne l'avaient pas ratifiée.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur - Etant donnée l'étendue limitée de l'île de Saint-Martin, on peut espérer que les services douaniers français et néerlandais n'auront pas de difficulté à mettre en place des coopérations opérationnelles. S'agissant des Pays-Bas, ils ont ratifié la présente convention, signée en 2002. C'est la France, pour les raisons d'ordre constitutionnel que j'ai indiquées, qui n'avait pu jusqu'à présent en faire de même.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page