2. Le manque d'effectivité des règles relatives à la transparence financière de la vie politique

La législation sur la transparence financière de la vie politique est, elle aussi, critiquée : la doctrine, ainsi que la Commission pour la transparence financière de la vie politique, garante du respect des lois de 1988, pointent en effet le manque d'effectivité des obligations qu'elle édicte.

On rappellera que les lois du 11 mars 1988 imposent aux députés et aux sénateurs, à certains élus locaux et à certains dirigeants d'organismes publics de souscrire, au début et à la fin de leur mandat ou de leurs fonctions, une déclaration de situation patrimoniale. Toute modification substantielle de la situation patrimoniale en cours de mandat ou d'exercice des fonctions doit aussi être signalée par les personnes concernées, « chaque fois qu'elles le jugent utile ».

Le manquement à ces obligations est sanctionné, pour les élus, par une inéligibilité d'un an (qui se traduit par la déchéance de leur mandat) et, pour les dirigeants d'organismes publics, par la nullité de leur nomination.

La Commission pour la transparence financière de la vie politique est, sur la base des informations contenues dans les déclarations, chargée de contrôler l'évolution du patrimoine entre le début et la fin du mandat ou des fonctions : si elle constate une variation anormale et pour laquelle l'intéressé n'est pas en mesure de fournir des explications satisfaisantes, elle doit ainsi transmettre le dossier au parquet.

La législation sur la transparence financière de la vie politique

Aux termes de l'article 3 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, la Commission pour la transparence financière de la vie politique est composée de trois membres de droit (le vice-président du Conseil d'État, qui en est le président ; le premier président de la Cour de cassation ; le premier président de la Cour des comptes) et de six membres titulaires et six membres suppléants élus par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes.

En outre, sont soumis à l'obligation de déposer une déclaration de patrimoine :

- les députés (article L.O. 135-1 du code) et les sénateurs (article L.O. 296) ;

- les titulaires d'un mandat de représentant français au Parlement européen, d'une fonction de président de conseil régional, d'un département 17 ( * ) , de Mayotte ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, de président de l'Assemblée de Corse, de président du conseil exécutif de Corse, de président d'une assemblée territoriale d'outre-mer, de président de conseil général, de président élu d'un exécutif d'un territoire d'outre-mer, de maire d'une commune de plus de 30 000 habitants ou de président élu d'un groupement de communes doté d'une fiscalité propre dont la population excède 30 000 habitants . Le texte est aussi applicable aux « conseillers régionaux, aux conseillers exécutifs de Corse, aux conseillers généraux des départements, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon aux adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants, lorsqu'ils sont titulaires respectivement d'une délégation de signature du président du conseil régional, du président du conseil exécutif, du président du conseil général ou du maire ». Ceux-ci doivent établir une déclaration dans les deux mois suivant le début du mandat ou de la fonction, et dans les deux mois suivant sa cessation ;

- les présidents, directeurs généraux et directeurs généraux adjoints de certains organismes publics (entreprises nationales et établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial ; organismes publics d'habitations à loyer modéré gérant plus de 2 000 logements ; sociétés d'économie mixte dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 750 000 euros).

La Commission pour la transparence financière de la vie politique a mis en lumière les lacunes de ces règles.

La Commission a d'abord souligné que le nombre de dirigeants d'organismes publics visés par la loi du 11 mars 1988 était trop important, ce qui dilue le contrôle qu'elle exerce en la matière et l'empêche de se concentrer sur les organismes présentant le plus d'enjeux financiers. Selon la CTFVP, « il s'avère en effet difficile, en raison de leur nombre et surtout de l'existence de multiples filiales, d'identifier l'ensemble des organismes dont les dirigeants sont assujettis à l'obligation de déclaration de patrimoine, puis d'obtenir que ces dirigeants y satisfassent » : depuis 1999, elle propose donc qu'un seuil, exprimé en montant de chiffre d'affaires (elle estime que ce seuil devrait être fixé à 15 millions d'euros), soit mis en place pour exclure certains dirigeants de filiales d'entreprises nationales et d'établissements publics à caractère industriel et commercial du champ de la loi de 1988.

En outre, dans son dernier rapport public 18 ( * ) , la Commission observait que le respect des délais de dépôt des déclarations de patrimoine était en nette dégradation : en 2008, 33 % des élus municipaux et 28 % des conseillers généraux nouvellement élus ont ainsi déposé leur déclaration hors des délais légaux (contre 23 % lors des élections cantonales de 2004 et 15 % pour les élections municipales de 2001) 19 ( * ) .

De même, les demandes d'éclaircissement (c'est-à-dire les demandes d'informations complémentaires que la Commission adresse aux déclarants lorsqu'elle ne dispose pas d'éléments suffisants pour expliquer les variations de patrimoine) sont en hausse constante : utilisées dans 9 % des dossiers au début des années 2000, elles ont concerné 14 % des dossiers entre 2004 et 2007, puis 16 % des dossiers en 2008-2009. Or, cette tendance -outre qu'elle révèle que, dans de nombreux cas, la Commission ne dispose pas d'éléments suffisants pour exercer pleinement les missions que le législateur lui a confiées- a des conséquences néfastes sur les relations que la Commission entretient avec les déclarants, puisque « les demandes de la Commission sont parfois perçues par les assujettis comme une mise en cause de leur probité » 20 ( * ) .

Votre rapporteur rappelle, par ailleurs, que le système français de contrôle du patrimoine a été récemment critiqué par le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO), placé auprès du Conseil de l'Europe et qui, dans un rapport de 2009, notait que la CTFVP devait « se contenter exclusivement des informations fournies par les déclarants et ne [pouvait] pas exiger leur communication » et que « les déclarants [n'étaient] pas tenus de déclarer l'ensemble de leurs mandats et fonctions, ni leurs revenus (ce qui remet notamment en question l'appréciation de leur capacité réelle d'épargne par la Commission ». Le GRECO observait, en outre, que les sanctions applicables étaient peu efficaces, dans la mesure où « l'inéligibilité peut avoir peu d'effet dissuasif sur un élu sortant ne se présentant plus, qui préférera ne pas effectuer sa déclaration `post-mandat' » 21 ( * ) .

Pour résoudre ces défaillances, la CTFVP a demandé la mise en place de plusieurs réformes :

- en premier lieu, elle souhaite que le champ des informations mises à sa disposition soit élargi pour inclure les revenus des assujettis 22 ( * ) : elle estime ainsi que la connaissance des flux (les revenus) lui permettrait d'expliquer plus facilement les variations du stock (le patrimoine) et garantirait un contrôle plus effectif du patrimoine des déclarants ;

- pour vérifier la véracité des éléments qui lui sont transmis, elle juge nécessaire de pouvoir « recouper les informations dont elle dispose » : ainsi, elle propose que le législateur lui permette d'obtenir communication, le cas échéant en les demandant à l'administration fiscale, des déclarations fiscales faites par les assujettis au titre de l'impôt sur la fortune et de l'impôt sur le revenu ;

- la Commission estime que, « dans les situations douteuses », elle devrait en outre être habilitée à effectuer des investigations sur le patrimoine des proches de l'assujetti : il s'agirait donc d'éviter qu'un déclarant ne puisse dissimuler une augmentation indue de son patrimoine en la transférant à l'un des membres de sa famille ;

- elle souhaite enfin qu'une incrimination pénale spécifique soit mise en place pour sanctionner les déclarations de patrimoine mensongères. En effet, les saisines du parquet effectuées par la Commission sont souvent classées sans suite en raison d'une lacune du droit pénal français : les fausses déclarations de patrimoine ne sont pas susceptibles d'être qualifiées de faux en écriture ou de fausse attestation, si bien que ce manquement n'est in fine passible d'aucune sanction 23 ( * ) .


* 17 Cette mention du département est vraisemblablement une erreur matérielle, la fonction de président de conseil général étant visée plus loin.

* 18 Quatorzième rapport de la Commission, publié au Journal officiel du 1 er décembre 2009.

* 19 Cette situation est d'autant plus paradoxale et problématique que, comme le rappelle la CTFVP, « l'effort d'information des personnes assujetties n'a jamais été aussi important » (quatorzième rapport d'activité).

* 20 Treizième rapport public de la Commission, publié au Journal officiel du 20 décembre 2007.

* 21 Rapport d'évaluation de la France adopté par le GRECO en réunion plénière (16-19 février 2009).

* 22 Cette proposition a été formulée pour la première fois par la Commission en 1993, il y a près de vingt ans.

* 23 Cette proposition a été formulée pour la première fois lors du rapport public de la CTFVP de 2002.

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