N° 151

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 novembre 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi de M. Jacques LEGENDRE relative à l' exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle ,

Par Mme Bariza KHIARI,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , président ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Mme Cécile Cukierman, M. Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Marcel Rainaud, François Rebsamen, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent.

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Sénat :

54 (2011-2012)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'accessibilité de tous à la culture est un enjeu à la fois culturel et démocratique. La France est à la pointe de ce combat et a construit, souvent de manière très innovante, des outils permettant à la fois la conservation et l'exposition des oeuvres de notre patrimoine : la Bibliothèque nationale de France pour les livres, l'Institut national de l'audiovisuel pour les programmes de télévision et de radio ou encore le Centre national du cinéma et de l'image animée avec les archives françaises du film.

S'agissant des livres, l'enjeu de leur numérisation est majeur : en effet, outre l'objectif de conservation, elle vise à faciliter l'accès de tous aux collections. La culture à portée de clic, voici la promesse faite par les promoteurs de bibliothèques numériques.

Gallica, projet français de bibliothèque virtuelle lancé en 1997, a ainsi pour ambition d'être la « bibliothèque virtuelle de l'honnête homme ». Elle compte aujourd'hui plus d'un million et demi de volumes en ligne, dont la plupart ont fait l'objet d'une reconnaissance optique de caractères, avec une recherche possible en texte intégral. Elle comprend aujourd'hui à la fois des oeuvres libres de droits et des documents sous droits.

Afin de renforcer l'attractivité de cet outil et d'offrir aux lecteurs du monde entier un large accès au patrimoine littéraire français, la présente proposition de loi de notre collègue M. Jacques Legendre propose de faciliter la numérisation et l'exploitation des « livres indisponibles » : ceux qui ne sont pas tombés dans le domaine public mais sont difficiles à trouver sous forme imprimée étant indisponibles dans le commerce, hors marché de l'occasion.

Parmi ceux-là, il y a des oeuvres orphelines, dont on ne connaît ni l'auteur, ni les ayants droit. Mais il y a surtout des livres dont les titulaires de droit d'exploitation sous forme imprimée sont connus, mais pour lesquels aucune disposition relative aux droits numériques n'existe dans le contrat d'édition. Leur exploitation et mise en ligne mériteraient l'adaptation de tous les contrats pris individuellement, ce qui est une oeuvre titanesque, voire impossible. C'est précisément sur ce point qu'a achoppé le projet de Google : on ne peut numériser ni mettre à disposition du public une oeuvre sur laquelle on ne détient pas les droits, et les négocier tous serait impossible.

La proposition de loi propose de sortir de l'impasse en confiant à une société de gestion collective le soin de gérer les droits numériques des livres indisponibles pour lesquels l'auteur ne manifesterait pas son désaccord. Leurs droits seraient préservés par la gestion collective et la présomption d'adhésion à la société permettra la numérisation et l'exploitation rapide de ces oeuvres méconnues mais pleine de promesses.

Votre rapporteure est favorable au dispositif de la proposition de loi, qui tend à définir les livres indisponibles et à préciser les modalités de leur exploitation. Il est complexe mais pertinent. Elle a proposé, dans un premier temps, à la commission de ne pas adopter de texte, notamment en raison des délais très restreints d'étude de la proposition de loi. Elle déposera pour la séance publique un certain nombre d'amendements, tendant à clarifier la procédure, à protéger les auteurs et leurs droits, à traiter la question des oeuvres orphelines et à faciliter l'accès des bibliothèques aux oeuvres.

I. LE MONDE DE L'ÉDITION À LA CROISÉE DES CHEMINS

A. REGARD SUR LE PREMIER SECTEUR CULTUREL FRANÇAIS

1. Une économie globalement à l'équilibre

Le secteur de l'édition s'est maintenu à un niveau élevé malgré l'impact de la crise, et reste en 2010 le premier bien culturel en termes de poids économique . Le marché total comprenant la vente en librairie, la vente en ligne et les livres numériques pèse ainsi 4,2 milliards d'euros, soit une baisse infime (- 0,5 %) qui suit la reprise constatée en 2009 (+ 3,9 %). Les librairies en ligne n'y participaient qu'à hauteur de 7 % en 2009, mais progressent à un rythme très soutenu (+ 24 %).

Au sein de ce marché, l'édition représente environ 2,83 milliards d'euros en 2010 dont l'essentiel (2,7 milliards) est tiré de la vente et le restant des cessions de droits.

La composition des ventes confirme le recentrage du marché sur des secteurs-clés, au détriment de publications plus ciblées comme les dictionnaires, les cartes, les ouvrages religieux ou scientifiques et techniques qui chutent fortement. La littérature reste la première catégorie et compte pour un quart du chiffre d'affaires global et des ventes. Viennent ensuite les beaux livres (17,8 % du chiffre d'affaires), puis à parts égales (13,6 % du chiffre d'affaires) l'enseignement scolaire et la littérature Jeunesse.

Le secteur de l'édition semble donc maintenir l'équilibre économique que la régulation et les aides de l'État lui ont permis de créer depuis la loi Lang sur le prix unique du livre de 1981. Il subit néanmoins de fortes reconfigurations internes, notamment concernant la répartition des revenus entre les différents acteurs de la chaîne du livre : auteurs, éditeurs, distributeurs et libraires. Ces mutations sont liées à deux grandes tendances qui sont tout à la fois un défi et une opportunité : la concentration de la concurrence d'une part et le marché numérique d'autre part.

2. Une concentration accrue des acteurs

Le marché éditorial s'apparente en effet à un oligopole, où quelques grands groupes s'accaparent l'essentiel du chiffre d'affaires, tandis que de nombreuses maisons à l'activité très ciblée se développent à la marge. Sur un chiffre d'affaires total de 2,83 milliards d'euros en 2009, le groupe Hachette Livre générait jusqu'à 2,27 milliards d'euros, suivi par Editis et France Loisirs. Suite à une vague d'acquisitions dans les années 1990, 90 % du chiffre d'affaires est actuellement concentré dans les mains de trente maisons d'édition, soit 1 % des entreprises enregistrées.

Dans le cadre des ventes en ligne, cette situation de quasi-monopole devrait être exacerbée du fait de l'importance des moyens de communication ; mais face à l'installation précoce d'Amazon, les grands groupes ayant lancé leurs propres plateformes d'achat en ligne n'ont pas encore réussi à s'imposer comme références. Le site « 1001 libraires » qui visait à fédérer la distribution de librairies indépendantes a rencontré un succès mitigé.

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