EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Écarté successivement par les règles constitutionnelles des IIIème et IVème Républiques, le référendum a longtemps souffert, en France, du discrédit lié au recours au plébiscite sous les deux Empires.

Le constituant a renoué cependant, en 1958, avec cette procédure fondée sur un recours direct au peuple. Aux termes de l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Depuis lors, deux dispositions de la Constitution permettent de recourir au référendum. L'article 89 de la Constitution fixe la procédure applicable aux révisions constitutionnelles. Si le président la République a la faculté de soumettre les projets de révision au référendum, les propositions de loi constitutionnelle le sont obligatoirement. Parallèlement, l'article 11 de la Constitution permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au peuple des projets de loi entrant dans le champ fixé par son premier alinéa.

Depuis l'origine de la V ème République, dix référendums ont été organisés au niveau national dont huit sur le fondement de l'article 11 de la Constitution. Comme le rappelle le constitutionnaliste Guy Carcassonne, la « geste gaullienne » a été fréquemment associée au référendum. Trois scrutins de ce type ont été ainsi organisés au cours des années 1961 et 1962.

Cependant, dans la Constitution, l'initiative référendaire reste, à l'exception des révisions constitutionnelles, une prérogative du pouvoir exécutif. Lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le constituant, s'inspirant partiellement d'exemples étrangers et de réflexions antérieures, a élargi les possibilités de provoquer un référendum législatif à l'initiative conjointe d'un cinquième des parlementaires et d'un dixième des électeurs.

L'application des dispositions de l'article 11 dans leur rédaction issue de cette révision est cependant subordonnée à l'entrée en vigueur de la loi organique qui n'a toujours pas été adoptée par le Parlement.

Le Sénat est ainsi appelé à examiner, à la demande du groupe UMP, le projet de loi organique et le projet de loi, adoptés par l'Assemblée nationale le 10 janvier 2012 - deux ans après leur dépôt - , portant application de l'article 11 de la Constitution (n os 242 et 243, 2011-2012).

Tableau récapitulatif des référendums nationaux sous la V ème République

Date

Objet

% des exprimés

Oui

Non

1

28 septembre 1958

Constitution de la Vème République

82,6

17,4

2

8 janvier 1961

Autodétermination de l'Algérie

74,99

25,01

3

8 avril 1962

Accords d'Évian sur l'indépendance de l'Algérie

90,81

9,19

4

28 octobre 1962

Élection du Président de la République au suffrage universel direct

62,25

37,75

5

27 avril 1969

Réforme du Sénat et régionalisation

47,59

52,41

6

23 avril 1972

Élargissement de la Communauté économique européenne

68,32

31,68

7

6 novembre 1988

Statut de la Nouvelle Calédonie

79,99

20,00

8

20 septembre 1992

Ratification du traité de Maastricht sur l'Union européenne

51,04

48,95

9

24 septembre 2000

Quinquennat

73,21

26,79

10

29 mai 2005

Traité établissant une Constitution pour l'Europe

45,33

54,67

I. L'INTRODUCTION EN 2008 D'UN « REFERENDUM D'INITIATIVE PARTAGÉE » À L'ARTICLE 11 DE LA CONSTITUTION

La modification de l'article 11 de la Constitution, par la révision du 23 juillet 2008, est l'aboutissement d'une réflexion visant à associer plus étroitement le citoyen à l'élaboration de la loi. La volonté d'impliquer davantage le citoyen dans le processus législatif a, dans un premier temps, conduit à envisager une extension du champ d'application du référendum.

L'innovation a finalement porté sur la capacité à provoquer le référendum qui, dans la rédaction originelle de l'article 11 de la Constitution, est uniquement réservée au Président de la République sur proposition du Gouvernement ou des deux assemblées. À la suite de plusieurs propositions en ce sens, le constituant a ajouté à ce dispositif une nouvelle forme de procédure référendaire reposant sur une initiative parlementaire soutenue par une fraction de l'électorat.

A. LA GENÈSE DE LA RÉVISION DE L'ARTICLE 11 DE LA CONSTITUTION

Le comité consultatif pour la révision de la Constitution, institué en décembre 1992 par François Mitterrand, alors Président de la République, et présidé par le doyen Vedel, fut le premier à proposer l'instauration d'un « référendum d'initiative minoritaire » 1 ( * ) .

1. Le « référendum d'initiative minoritaire » proposé par le comité Vedel et sa traduction dans le projet de loi constitutionnelle de 1993

La proposition du comité Vedel consistait à ouvrir, en complément du référendum organisé sur proposition du Gouvernement ou sur celle conjointe des deux assemblées, une nouvelle voie d'initiative associant les citoyens.

Trois principes régissaient cette nouvelle modalité :

- la combinaison de l'initiative des élus et des citoyens eux-mêmes : l'initiative devrait être présentée par un cinquième des membres du Parlement et soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ;

- une priorité accordée à la voie parlementaire : le Parlement disposerait de quatre mois pour adopter la proposition de loi, à défaut de quoi elle serait soumise au référendum ;

- un contrôle assuré par le Conseil constitutionnel avant l'ouverture à la signature des citoyens de l'initiative . Ce contrôle s'opèrerait aussi bien sous l'angle de la conformité à la Constitution qu'en termes de compatibilité avec les engagements internationaux de la France 2 ( * ) .

Le comité Vedel proposait alors une nouvelle rédaction de l'article 11 de la Constitution qui faisait une large place au Conseil constitutionnel. Outre sa mission de contrôle de recevabilité, de constitutionnalité et de conventionalité de l'initiative, celui-ci se voyait en effet attribué un mandat pour organiser la collecte des pétitions des électeurs, mais aussi et surtout, la compétence de convocation du référendum 3 ( * ) .

La dénomination de « référendum d'initiative minoritaire » s'expliquait par le fait qu'il « serait mis en oeuvre en combinant le voeu d'une minorité parlementaire et celle d'une minorité de pétitionnaires dont le cumul [pourrait] conduire à l'arbitrage de la nation elle-même . » 4 ( * ) Obligatoirement associés en amont de la procédure, dès son origine, les citoyens y seraient aussi partie prenante dès lors que la proposition de loi n'aurait pas été adoptée par le Parlement dans les délais requis.

Le projet de loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et relatif à l'organisation des pouvoirs publics, présenté à la suite des travaux du comité Vedel, s'inspira librement de la proposition du comité. Plutôt qu'un « référendum d'initiative minoritaire », le projet de loi constitutionnelle préféra l'instauration d'un véritable « référendum d'initiative populaire ».

Ainsi, l'article 6 du projet de loi constitutionnelle ne retenait pas le préalable parlementaire tant au stade de l'initiative qu'à celui de son examen. Il introduisait en revanche des limitations à cette initiative en prohibant la modification ou l'abrogation par la voie référendaire de lois promulguées depuis moins de cinq ans ou défendait toute nouvelle consultation des électeurs sur un texte rejeté depuis moins de cinq ans 5 ( * ) .

Ce projet de loi constitutionnelle ne fut cependant jamais inscrit à l'ordre du jour d'une des deux assemblées.

2. Les travaux du comité Balladur et la nouvelle rédaction de l'article 11 de la Constitution

En 2007, M. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, confia à un comité, présidé par M. Édouard Balladur, la mission d'« étudier les moyens d'instiller plus de démocratie directe dans [le] fonctionnement institutionnel, sous la forme, le cas échéant, d'un droit d'initiative populaire » 6 ( * ) . Ce comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République se reporta aux travaux du comité Vedel. Sa proposition n° 67 de créer un « référendum d'initiative populaire », rebaptisé deux ans plus tard « référendum d'initiative partagée », s'inspira de celle du comité Vedel en y apportant trois modifications majeures :

- la phase parlementaire se résumait à un simple examen et n'exigeait plus l'adoption de la proposition de loi ;

- le délai accordé au Parlement pour ce faire était allongé à un an ;

- la compétence de convocation des électeurs revenait au Président de la République 7 ( * ) .

Le comité Balladur reprenait donc à son compte les trois principes posés par le comité Vedel, en particulier l'idée d'un partage de l'initiative entre parlementaires et citoyens ainsi que d'une priorité d'examen parlementaire avant toute convocation du référendum. Le comité estima en effet « qu'il y aurait quelque contradiction dans son propos s'il recommandait à la fois d'émanciper le Parlement et d'étendre de manière excessive le champ de la démocratie directe » 8 ( * ) .

La proposition du comité ne fut pas retenue par le Gouvernement lors de l'élaboration du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République déposé en avril 2008. Cependant, au cours de la première lecture à l'Assemblée nationale, cinq amendements identiques permirent de l'introduire dans le texte 9 ( * ) . Par un sous-amendement, M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale, précisa que l'initiative « prendrait la forme » d'une proposition de loi et ne pourrait avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an. En outre, il renvoya à la loi organique la détermination de la procédure.

Le Sénat entérina le dispositif en y apportant trois compléments :

- la détermination par la loi organique des conditions de présentation de l'initiative, sur proposition de votre commission,

- l'interdiction de soumettre à nouveau à référendum une proposition ayant le même objet qu'une proposition rejetée depuis moins de deux ans 10 ( * ) ,

- la distinction entre les deux types de contrôle exercés par le Conseil constitutionnel : celui de la recevabilité de l'initiative figurant à l'article 11 et celui de sa conformité à la Constitution conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, à l'initiative de votre commission 11 ( * ) .


* 1 Cf. le rapport remis au Président de la République le 15 février 1993 par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, Journal Officiel du 16 février 1993

* 2 « la loi référendaire comme toute autre loi a une autorité inférieure à celle des engagements internationaux ; le Conseil constitutionnel devrait donc déclarer comme sans effet une proposition (et d'ailleurs un projet) de loi référendaire contraire à un engagement international et s'opposer à la poursuite de la procédure » (rapport précité, p. 2549). Il convient de noter que le comité Vedel, suivant les instructions du Président Mitterrand, proposait de soumettre au contrôle préalable du Conseil constitutionnel tout texte, projet ou proposition, avant référendum.

* 3 L'article 11 de la Constitution, dans la rédaction proposée par le comité Vedel, était complété par un II ainsi rédigé : « II. Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa du présent article peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

« La proposition des parlementaires est transmise au Conseil constitutionnel qui, après déclaration de sa conformité à la Constitution, organise la collecte des pétitions des électeurs et, après vérification de leur nombre et de leur validité, les transmet au Parlement. Si la proposition n'est pas adoptée par le Parlement dans les quatre mois, le Conseil constitutionnel décide de l'organisation d'un référendum. »

* 4 Op.cit.

* 5 Le II de l'article 11 dans la rédaction proposée par l'article 6 du projet de loi constitutionnelle disposait : « II. - Un référendum portant sur l'un des objets mentionnés au premier alinéa du I du présent article peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales dans chaque département et territoire.

« Aucune proposition de référendum ne peut être faite si elle a pour conséquence, soit de modifier ou d'abroger une loi promulguée depuis moins de cinq ans, soit de consulter les citoyens sur un texte qui a déjà été rejeté par référendum depuis moins de cinq ans.

« Le Conseil constitutionnel est saisi, dans des conditions prévues par la loi organique, du texte de la proposition de loi référendaire. Il en vérifie la conformité à la Constitution.

« Après déclaration de conformité, les pétitions des électeurs sont adressées au Conseil constitutionnel. Le Conseil vérifie leur nombre et leur validité. Il transmet la proposition de loi au Président de la République, qui la soumet à référendum. »

* 6 Cf. Lettre de mission du Président de la République à M. Édouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République.

* 7 « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa du présent article peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

« La proposition des parlementaires est transmise au Conseil constitutionnel qui, après déclaration de sa conformité à la Constitution, organise la collecte des pétitions des électeurs et, après vérification de leur nombre et de leur validité, les transmet au Parlement. Si la proposition n'a pas été examinée par les deux assemblées parlementaires dans le délai d'un an, le Président de la République soumet la proposition au référendum. »

* 8 Cf. rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République, p. 74.

* 9 Amendements identiques de MM. Vanneste, Sauvadet, Mamère, Sandrier et Montebourg.

* 10 Sous-amendement n° 502 de M. Charasse.

* 11 Rapport n° 387 (2007-2008) fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Jacques Hyest sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la V e République, p. 67.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page