EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le statut juridique du Président de la République a été profondément bouleversé par la révision qui a modifié en 2007 le titre IX de la Constitution. La loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 a en effet réécrit les articles 67 et 68 pour clarifier le régime de responsabilité des actes accomplis par le chef de l'État. Mais si l'article 67, qui traite notamment de son irresponsabilité et de son inviolabilité provisoires pour les actes étrangers à la fonction présidentielle, est d'applicabilité directe, l'article 68, qui crée la Haute Cour et la procédure exceptionnelle de destitution, nécessite pour son application une loi organique. Celle-ci n'est toujours pas adoptée par le Parlement plus de sept ans après la révision, ce qui crée un déséquilibre entre la protection du chef de l'État, entrée en vigueur dès 2007, et sa responsabilité, toujours en suspens puisque la révision a abrogé l'ancien régime inspiré des constitutions républicaines antérieures.

I. LA PORTÉE DE LA RÉVISION DE 2007

Le statut pénal du Président de la République, tel que la Constitution de 1958 en avait disposé dans ses articles 67 et 68, reprenait largement la conception et la procédure des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution du 27 octobre 1946 : un chef d'État parlementaire irresponsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions à l'exception du cas de « haute trahison ». Dans cette hypothèse, c'est un organe émanant du Parlement qui devait le juger et qui était également compétent pour juger les ministres pour le même chef d'accusation.

Cet organe, sous la Troisième République, était le Sénat, après que la Chambre des députés ait mis en accusation le Président de la République. Sous la Quatrième République, du fait de l'affaiblissement du bicamérisme, c'était la seule Assemblée nationale qui désignait parmi ses membres, au début de chaque législature, une Haute Cour, compétente pour juger le chef de l'État. La Constitution de 1958, qui a institué un bicamérisme équilibré, a maintenu dans son Titre IX l'institution de la Haute Cour de justice pour juger le président, mais cette Haute Cour était constituée paritairement de députés et de sénateurs, désignés par leurs chambres respectives (chacune désignant douze titulaires et six suppléants).

Ce système n'a jamais été mis en oeuvre, sous aucune République, pour juger le chef de l'État : deux présidents ont bien démissionné sous la Troisième République (Mac Mahon en 1879 et Millerrand en 1924) mais à la suite d'un conflit politique avec le Parlement (le président n'acceptant pas de collaborer avec la majorité issue des élections législatives). Outre la difficulté à définir la notion de « haute trahison » (difficulté apparue dès le procès de Louis XVI devant la Convention en janvier 1793), la nature de la Haute Cour de justice a fait problème : organe politique chargé d'une fonction juridictionnelle (de nature pénale, ce qui posait aussi la question des peines infligeables), la Haute Cour de justice constituait une institution hybride qui pouvait difficilement survivre à la disparition de sa compétence pour le jugement des membres du gouvernement (à la suite de la création de la Cour de Justice de la République en 1993), mais aussi à l'adhésion de la France à la convention européenne des droits de l'homme (en 1974) et donc au contrôle potentiel du caractère « équitable » d'une telle procédure.

Mais c'est la controverse entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur l'existence d'un éventuel privilège de juridiction du chef de l'Etat qui a porté à la Haute Cour de justice le coup fatal. Dans un obiter dictum sur une décision du 22  janvier 1999 1 ( * ) relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil a considéré que le Président de la République bénéficiait d'un privilège de juridiction, y compris pour les actes étrangers à sa fonction, la Haute Cour de justice étant seule compétente pour le juger. La Cour de cassation, au contraire, saisie de l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris (qui visait Jacques Chirac, maire de Paris au moment des faits incriminés) 2 ( * ) , a jugé que le chef de l'État ne pouvait être jugé par la Haute Cour de justice que pour les cas de haute trahison, qu'il ne bénéficiait d'aucun privilège de juridiction, mais plutôt d'une inviolabilité temporaire liée à la nature de sa fonction entraînant la suspension des poursuites (et de leur prescription) le visant jusqu'à la fin de son mandat : à ce moment, redevenu simple citoyen, il relèverait des juridictions de droit commun pour être éventuellement jugé pour les actes étrangers à l'exercice de la fonction présidentielle. Si l'interprétation de l'article 68 de la Constitution par le Conseil constitutionnel était discutable (rien, à la lecture du texte, ne permettait d'étendre la compétence de la Haute Cour de justice à d'autres accusations que la haute trahison), la création d'une inviolabilité temporaire du fait de sa fonction par la Cour de cassation était purement prétorienne. Il fallait donc que le constituant tranche.

À la suite de ces deux décisions et au lendemain de sa réélection en mai 2002, le président Chirac a confié à un comité d'experts présidé par le professeur Pierre Avril l'élaboration de propositions de réécriture du Titre IX de la Constitution. Le rapport fut rendu en décembre 2002.

Optant pour la lecture des articles 67 et 68 faite par la Cour de cassation, le comité a proposé, d'une part, d'instaurer une inviolabilité du Président de la République pour la durée de son mandat pour les faits étrangers à celui-ci, quitte à ce qu'il relève des juridictions ordinaires au terme de celui-ci, et de maintenir l'irresponsabilité pour les actes qu'il accomplit dans le cadre de sa fonction (article 67 de la Constitution). Par ailleurs, le comité a suggéré de remplacer la notion de « haute trahison » par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Il appartiendra au Parlement, réuni en « Haute Cour » (c'est-à-dire dans la composition du Congrès), de destituer le chef de l'État s'il considère, à la majorité des deux-tiers de ses membres, que les faits constitutifs d'un tel « manquement à ses devoirs » sont avérés.

Les propositions du comité Avril, remises au Président de la République en décembre 2002, ont été, pour l'essentiel, reprises par le projet de loi constitutionnelle déposé le 3 juillet 2003 à l'Assemblée nationale, examiné trois ans plus tard par celle-ci puis par le Sénat et adopté par le Congrès le 19 février 2007.

Le nouveau Titre IX de la Constitution dispose désormais :

« Article 67 . - Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux-tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article ».

L'article 67 rappelle l'irresponsabilité du Président de la République pour les actes qu'il accomplit en cette qualité sous réserve des dispositions de l'article 53-2, qui a intégré l'adhésion de la France au Traité instituant la Cour pénale internationale et prévoit la possibilité de poursuivre les responsables des crimes les plus graves (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, etc.), même s'ils bénéficient d'un statut constitutionnel (comme celui de chef de l'État) et de celles de l'article 68, qui crée la procédure de destitution.

L'article 68 est relatif à la procédure de destitution en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice du mandat ». Cette situation fait référence à un acte du Président de la République particulièrement grave, qui n'est pas nécessairement lié à l'exercice de la fonction présidentielle, mais qui rend impossible le maintien du chef de l'État dans ses fonctions. Le risque d'utilisation de cette procédure pour créer une responsabilité politique du président est sérieusement limité par les conditions de son utilisation : la mise en cause doit être votée par les deux-tiers des membres de chaque assemblée puis par les deux-tiers des membres du Parlement, ce qui signifie qu'elle ne peut être manipulée par l'opposition ou même la majorité mais nécessite un quasi-consensus entre les forces politiques.

Cette procédure de destitution n'est pas juridictionnelle : en qualifiant la réunion des Chambres de « Haute Cour » et non de « Haute Cour de justice » comme auparavant, en limitant sa compétence à la destitution, qui est un acte politique, et en écartant toute qualification pénale de l'acte comme toute sanction autre que la cessation de fonction, le constituant a voulu éviter toute lecture judiciaire de cette procédure 3 ( * ) . La Haute Cour, assemblée politique constituée des deux Chambres, examine le comportement du Président de la République et décide de le destituer si elle considère que les faits et actes reprochés sont suffisamment graves pour rendre la poursuite de son mandat impossible. Si le président est destitué, il redevient un citoyen comme les autres, devant répondre devant les juridictions ordinaires de ses actes, si ceux-ci sont susceptibles d'une incrimination pénale.

Si la destitution est un acte politique, elle ne s'apparente pas à une motion de censure qui viserait le chef de l'État : tout comme la procédure de l'article 18 de la Constitution (prise de parole du Président de la République devant le Congrès) ne peut se conclure par un vote, la procédure de l'article 68 ne peut être banalisée du fait de la majorité qualifiée difficile à réunir pour qu'elle aboutisse. Dans les deux cas, la fonction présidentielle a été protégée de toute mise sous tutelle parlementaire et la loi organique doit traduire cet objectif.


* 1 Décision n°98-408 du 22 janvier 1999 considérant 16.

* 2 Cour de Cassation, Chambre criminelle, n°01-84922 du 10 octobre 2001.

* 3 Dans son arrêt n° 34932/04 du 6 janvier 2011 (arrêt de Grande Assemblée), Paksas contre Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme, à propos de la destitution du président de la République lituanienne, a considéré que sa destitution au terme d'une procédure d'impeachment ne constitue pas un acte de nature juridictionnelle et ne relève donc pas de la compétence de la Cour.

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