EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Malgré les interventions répétées du législateur, la France compte aujourd'hui 36 767 communes dont 86 % comptent moins de 2 000 habitants.

En 1971, ce recensement s'établissait à 37 708.

Ces communautés d'habitants, érigées en communes par la loi municipale du 14 décembre 1789 par la transformation des bourgs, paroisses, villages et villes, sont toujours très vivaces.

Pourtant dans l'intervalle, ces cellules de base de la démocratie ont été invitées à se regrouper par l'effet de deux dispositifs successifs : la fusion organisée par la loi du 16 juillet 1971 dite Marcellin en premier lieu ; puis la régime rénové en commune nouvelle de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010. Les améliorations alors retenues pour remédier aux rigidités précédemment constatées n'ont pas suffi à déclencher une dynamique des regroupements.

Aujourd'hui, sous l'effet conjugué d'un déficit de candidatures observé dans certaines communes lors des élections des 23 et 30 mars 2014, de la baisse des dotations financières et du projet en cours d'examen de l'élargissement des périmètres intercommunaux 1 ( * ) , une nouvelle initiative législative est lancée. Les députés Jacques Pélissard, président d'honneur de l'Association des Maires de France, et Bruno Le Roux, ont déposé la même proposition de loi « relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes », qui vise à assouplir les dispositions en vigueur afin de faciliter l'intégration des anciennes communes et, donc, à favoriser les fusions.

Le Sénat est appelé à se prononcer sur les ajustements proposés.

I. DE LA FUSION DE COMMUNES « MARCELLIN » À LA COMMUNE NOUVELLE DE 2010

Les pouvoirs publics ont, à diverses reprises, tenté de remédier à l'émiettement communal qui caractérise la France par le regroupement des communes afin de constituer des collectivités mieux armées pour exercer leurs compétences.

Prenant acte de l'échec de la loi du 16 juillet 1971, la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 a mis en place un nouveau dispositif de fusion de communes, voulu « plus simple, plus souple et plus incitatif » 2 ( * ) .

A. LA FUSION MARCELLIN : UN EXERCICE DE DÉMOCRATIE LOCALE AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS

La loi Marcellin du 16 juillet 1971 s'est inscrite dans un mouvement de regroupement communal engagé, à la même époque, dans plusieurs autres pays européens.

1. Des mécanismes attractifs

Le projet de fusion résultait de l'initiative de communes limitrophes, soumise obligatoirement aux électeurs, juges de l'opportunité de le réaliser.

La fusion est prononcée par arrêté préfectoral si le projet est adopté à la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant au quart au moins des électeurs inscrits dans l'ensemble des communes concernées sous une réserve : une commune ne peut être contrainte à fusionner si les deux tiers des suffrages exprimés représentant la moitié au moins des inscrits dans la commune se sont opposés à la fusion.

a) Le maintien des spécificités des communes fusionnées

La fusion peut être simple ou comporter la création d'une ou plusieurs communes associées :

- la fusion simple peut s'accompagner, dans une ou plusieurs des communes fusionnées, de la création d'annexes à la mairie où peuvent être établis les actes d'état-civil ;

- dans le cadre de la fusion-association , le conseil municipal d'une ou plusieurs des communes concernées par un projet de fusion, à l'exception du futur chef-lieu de la nouvelle commune, peut demander que son territoire soit maintenu en qualité de commune associée et que soit conservé son nom.

Dans ce cas, un maire délégué, dont les fonctions sont incompatibles avec celles de maire de la commune, est institué, une annexe de la mairie est créée ainsi qu'une section du centre d'action sociale. À titre transitoire, le maire de l'ancienne commune devient de droit maire délégué jusqu'au prochain renouvellement général des conseils municipaux.

Le maire délégué est officier d'état-civil et officier de police judiciaire. Il peut être investi de délégations.

Lorsque la fusion compte plus de 100 000 habitants, un conseil consultatif, présidé par le maire délégué, est élu en même temps que le conseil municipal. Les dispositions régissant les mairies d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille sont applicables aux communes associées.

Dans les fusions comptant moins de 100 000 habitants, peut être mise en place une commission consultative présidée par le maire délégué.

Le conseil comme la commission consultative sont composés jusqu'au premier renouvellement du conseil municipal de la commune nouvelle des conseillers municipaux en exercice au moment de la fusion dans la commune associée 3 ( * ) .

Une commune associée peut être supprimée par arrêté préfectoral sous réserve de l'accord des électeurs recueilli à la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des inscrits.

b) Des incitations financières

Deux incitations financières étaient prévues par la loi Marcellin :

- d'une part, pendant cinq ans à compter de la fusion, les communes fusionnées bénéficiaient d'une majoration de 50 % des subventions d'équipement attribuées par l'État pour toute opération déjà engagée ;

- d'autre part, celui-ci leur versait une compensation du manque à gagner lié à l'égalisation des charges fiscales.

Ces deux dispositions, pourtant incitatives, ne se sont pas accompagnées du succès attendu.

2. Un bilan modeste

Au vu des statistiques, le succès du dispositif Marcellin s'est avéré limité malgré les incitations financières : 38 800 communes en 1950, 36 783 en 2007, soit une diminution de 5 %). En revanche, les résultats obtenus dans d'autres pays européens, engagés à la même époque dans le même mouvement ont traduit l'efficacité des procédures correspondantes. Entre 1950 et 2007 4 ( * ) , l'effectif communal a été réduit :

- de 87 % en Suède (de 2 281 à 290 communes),

- de 80 % au Danemark (de 1 387 à 277 communes) 5 ( * ) ,

- de 79 % au Royaume-Uni (de 1 118 à 238 communes),

- de 75 % en Belgique (de 2 359 à 596 communes),

- de 42 % en Autriche (de 4 039 à 2 357 communes),

- de 42 % en Norvège (de 744 à 431 communes),

- de 41 % en Allemagne (de 14 338 à 8 414 communes) 6 ( * ) .

En revanche, les effets des regroupements apparaissaient moins énergiques dans les pays méditerranéens. En Espagne, le nombre de communes s'était infléchi de 12 %, de 9 214 à 8 111 communes. En Italie, par un mouvement inverse du résultat recherché, le nombre des communes croissait de 4 % (7 781 à 8 101).

En France, enfin, le bilan de la loi du 16 juillet 1971 apparait très modeste : entre 1971 et 1995, 912 fusions ont été prononcées par la suppression de 1 308 communes. Compte tenu des défusions au nombre de 151, 211 nouvelles communes ont été créées. Le nombre total de communes réellement supprimées s'élève à 1 097, soit un peu plus de 3 % de l'effectif communal. Il convient de préciser que la décision de fusionner relevait de la volonté des conseils municipaux alors que des dispositifs plus contraignants avaient été adoptés dans d'autres pays européens.

Le processus de fusion marquait même le pas puisque la période la plus récente - de 1996 à 2009 - traduisait l'essoufflement des initiatives : 31 fusions et 29 défusions correspondant à un résultat final de 3 communes supprimées 7 ( * ) .

La loi Marcellin avait vécu.


* 1 Cf. projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 2 Cf. étude d'impact du projet de loi n° 60 (2009-2010).

* 3 Sauf dans la commune fusionnée de 100 000 habitants et moins, s'ils deviennent tous membres du conseil municipal de la nouvelle commune.

* 4 Source : Conseil de l'Europe, comité sur la démocratie locale et régionale 2007.

* 5 Une réforme intervenue en 2007 a réduit le nombre de communes à 98.

* 6 Le processus de fusion de communes est toujours en cours, notamment dans les Länder de l'est. Le pays comptait, en 2006, 12 431 communes contre 11 419 en 2014.

* 7 Cf. étude d'impact du projet de loi n° 60 (2009-2010).

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