B. LA FRAGILITÉ DU STATUT SOCIAL DES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU

Derrière la qualification de sportif de haut niveau se cachent des situations sociales et professionnelles très variées : certains sont scolarisés dans le second degré ou l'enseignement supérieur ; d'autres occupent un emploi lié ou non à leur pratique professionnelle, d'autres sont sans emploi tout en ayant renoncé à en chercher un en raison des contraintes de temps liées à leur pratique sportive, etc.

Une caractéristique les rassemble toutefois : ils ne sont pas couverts socialement en cas d'accidents ou de maladies professionnelles en liaison avec leur pratique sportive, à l'exception des rares athlètes de haut niveau qui sont salariés d'une association sportive, d'un club ou d'une fédération.

C. LA FRAGILITÉ JURIDIQUE DE CERTAINES PRATIQUES DANS LE MONDE PROFESSIONNEL

1. La remise en cause des contrats de travail à durée déterminée d'usage dans le monde sportif professionnel

Le recours au contrat à durée déterminée dans le milieu sportif professionnel est une pratique courante et revendiquée aussi bien par les clubs et ligues professionnels que par les sportifs eux-mêmes qui le jugent plus protecteur que le contrat à durée indéterminée.

En effet, pour les clubs employeurs et les ligues professionnelles, il garantit la stabilité des équipes et, par conséquent, l'équité des compétitions.

Pour les joueurs professionnels, il empêche que les clubs puissent se séparer d'eux prématurément sous couvert d'insuffisance professionnelle.

C'est la raison pour laquelle il était admis jusqu'à présent la signature d'un contrat à durée déterminée d'usage 4 ( * ) .

Néanmoins, l'adoption de l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 transposé dans la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 a durci les conditions d'emploi des travailleurs à durée déterminée afin de limiter les abus :

• d'une part, la fin du contrat de travail doit être déterminée par des conditions objectives telles que l'atteinte d'une date précise, l'achèvement d'une tâche déterminée ou la survenance d'un événement déterminé ;

• d'autre part, afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs, les États membres sont invités à prendre l'une ou plusieurs des mesures suivantes :

- des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

- la durée maximum totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

- le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

Prenant acte de ces dispositions, la chambre sociale de la Cour de cassation a adopté une position beaucoup plus stricte sur le recours au contrat à durée déterminée dans le sport professionnel.

Ainsi, dans l'arrêt n° 08-40.053 du 12 janvier 2010, elle a estimé que l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée imposait « de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi 5 ( * ) ».

Par ailleurs, dans l'arrêt n °11-25.442 du 2 avril 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé « qu'une convention collective ne peut déroger, de façon défavorable pour le salarié, aux dispositions d'ordre public relatives aux conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée ». Comme le relève l'exposé des motifs, à travers cet arrêt, la Cour de cassation rejette le caractère impératif du contrat à durée déterminée prévu par voie conventionnelle, au risque d'introduire des discriminations entre les joueurs en fonction de la nature de leur contrat.

Enfin, dans l'arrêt n °13-23.176 du 17 décembre 2014, la chambre sociale de la Cour de Cassation a estimé inopérants les arguments tirés de l'aléa sportif et du résultat des compétitions pour justifier le recours au contrat à durée déterminée pour un salarié qui avait occupé différentes tâches pendant 17 ans en tant qu'entraîneur dans différentes équipes successives.

Cette décision remet en cause les arguments avancés jusqu'à présent pour pérenniser le contrat d'usage à durée déterminée pour le sport professionnel.

2. L'insécurité juridique des opérations de mutation temporaire des sportifs et entraîneurs professionnels

Lorsqu'une convention de mutation temporaire est signée entre deux clubs, le joueur du club prêteur est enregistré le temps d'une saison qui peut être renouvelable en faveur d'un second club. Comme le rappelle le rapport de M. Jean-Pierre Karaquillo précité, il s'agit d'une pratique courante dans le milieu du sport professionnel dans laquelle chaque partie trouve un intérêt : « Schématiquement, le joueur, dans un souci de perfectionnement, peut trouver du temps de jeu et se relancer dans un autre environnement. Le club d'accueil se renforce sportivement sans avoir à payer d'indemnité de transfert. Et le club prêteur réduit son effectif et diminue sa masse salariale. »

Toutefois, cette pratique est soumise à une insécurité juridique. En effet, l'article L. 8241-1 du code du travail interdit, sauf exceptions mentionnées expressément, le prêt de main d'oeuvre à but lucratif. L'opération de mutation temporaire de sportifs pourrait donc être requalifiée lorsque les clubs d'accueil versent aux clubs prêteurs une indemnité de prêt ou lorsque les clubs prêteurs prennent en charge une partie de la rémunération des joueurs. Les clubs français pourraient se voir ainsi désavantagés par rapport aux autres clubs étrangers.

3. Le risque d'application de la présomption de salariat aux sportifs participant à des compétitions internationales

L'article L. 7121-3 du code du travail dispose que « tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n'exerce pas l'activité qui fait l'objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce. »

Le Conseil d'État 6 ( * ) a appliqué cette présomption de salariat dans le cas de la participation d'un joueur de tennis professionnel à des compétitions internationales organisées sur le territoire français.

Dans l'état actuel du droit, la juridiction administrative estime donc que les dispositions de l'article L. 7121-3 du code du travail sont applicables aux joueurs de tennis professionnels engagés dans des tournois du type de ceux que la Fédération française de tennis organise. Par conséquent, aucune disposition du code général des impôts ne fait obstacle à ce que les gains perçus par ces joueurs soient classés pour l'assiette de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires.

Si cette jurisprudence était confirmée, elle aurait des conséquences non négligeables sur le montant des sommes versées aux vainqueurs que les organisateurs français de tournoi fixent pour chaque compétition. En effet, ce montant devrait être revu fortement à la hausse pour tenir compte du surcoût lié aux charges sociales, ce qui pénaliserait les organisateurs français de tournoi par rapport à leurs homologues étrangers.

*

* *

Face au triple défi que représentent le double projet, la mauvaise couverture sociale des sportifs de haut niveau en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles et la remise en cause du statut juridique des sportifs professionnels, la présente proposition de loi apporte trois solutions :

- elle réaffirme l'intérêt du double projet et propose des dispositions visant à orienter et accompagner les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels tout au long de ce dernier ;

- elle améliore la protection sociale des sportifs de haut niveau ;

- elle sécurise certaines pratiques du monde sportif professionnel.


* 4 cf l'article L. 1242-2 du code du travail selon lequel le contrat à durée déterminée d'usage concerne les « emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».

* 5 Termes repris dans l'arrêt n °13-23.176 du 17 décembre 2014.

* 6 cf l'arrêt du 22 juin 2011, n° 319240.

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