Rapport n° 134 (2015-2016) de M. Gérard ROCHE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 4 novembre 2015

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N° 134

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, de financement de la sécurité sociale pour 2016 ,

Par M. Gérard ROCHE,

Sénateur,

Rapporteur.

Tome V :

Assurance vieillesse

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Gérard Dériot, Mmes Colette Giudicelli, Caroline Cayeux, M. Yves Daudigny, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Gérard Roche, Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud , vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, M. René-Paul Savary, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Élisabeth Doineau , secrétaires ; M. Michel Amiel, Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Noël Cardoux, Daniel Chasseing, Olivier Cigolotti, Mmes Karine Claireaux, Annie David, Isabelle Debré, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Chantal Deseyne, M. Jérôme Durain, Mmes Anne Emery-Dumas, Corinne Féret, MM. Michel Forissier, François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mme Françoise Gatel, M. Bruno Gilles, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Éric Jeansannetas, Georges Labazée, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Hermeline Malherbe, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Louis Pinton, Mmes Catherine Procaccia, Stéphanie Riocreux, M. Didier Robert, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Vergoz, Dominique Watrin, Mme Evelyne Yonnet .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3106 , 3127 , 3129 et T.A. 600

Sénat :

128 , 134 tomes I à VIII et 139 (2015-2016)

LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR POUR LA BRANCHE VIEILLESSE


Les observations du rapporteur pour la branche vieillesse

Après avoir retrouvé en 2015 son niveau d'avant la crise (- 4 milliards d'euros), le déficit de la branche vieillesse continuera à diminuer en 2016 et atteindrait - 2,8 milliards d'euros contre - 4,3 milliards en 2014. Si les régimes de base afficheront un excédent de 0,9 milliard d'euros pour la première fois depuis 11 ans , le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) se stabiliserait à un niveau élevé (- 3,7 milliards d'euros) , en léger recul par rapport à 2015 (- 3,8 milliards d'euros).

Cette situation, favorable à première vue, résulte toutefois d'une conjoncture aussi rare que temporaire : les recettes, sous l'effet essentiellement de la hausse des cotisations vieillesse (porté à 17,25 % en 2016) prévue par la réforme de 2012-2014, sont plus dynamiques que les dépenses, qui bénéficient encore très largement du recul de l'âge légal à 62 ans permis par la réforme de 2010. En 2016, cette dernière permettra une économie de 5,1 milliards d'euros contre une hausse des recettes de 2 milliards d'euros liée à la hausse des cotisations.

Pour autant, les perspectives financières du système de retraites dans son ensemble demeurent négatives . Dès 2019, les régimes de base devraient renouer avec les déficits. L'absence de mesure concernant le FSV dans ce projet de loi laisse penser que le Gouvernement a renoncé à son retour à l'équilibre. Enfin, la révision à la baisse des prévisions de croissance dégrade les perspectives d'amélioration du taux de chômage et des gains de productivité qui sont les deux facteurs déterminants pour l'équilibre du système sur le long terme.

Votre rapporteur salue le courage des partenaires sociaux pour la conclusion de l'accord sur l'Association générale des institutions de retraite des cadres ( Agirc ) et l'Association des régimes de retraite complémentaire des salariés non cadre ( Arrco ), qui permet de repousser la perspective d'extinction de leurs réserves financières après 2035. Cet accord, en créant un dispositif de décote temporaire sur la retraite complémentaire des salariés du privé partant à la retraite l'année d'obtention de leur taux plein au régime général, a en revanche pour conséquence de réintroduire une disparité avec les fonctionnaires qui n'est pas acceptable.

Dans ce contexte, votre rapporteur souhaite que le Sénat se prononce en faveur d'un relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite au-delà du 1 er janvier 2017, avec l'ambition de le porter à 63 ans dès 2019, année d'entrée en application de la mesure de décote prévue par l'accord Agirc-Arrco. t-propos

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

À première vue, l'automne 2015 est celui des bonnes nouvelles pour le système de retraite de notre pays 1 ( * ) .

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 présente tout d'abord une situation favorable pour la branche vieillesse de la sécurité sociale . Après avoir atteint en 2010 le niveau sans précédent de 15 milliards d'euros, le déficit de la branche vieillesse (incluant celui du Fonds de solidarité vieillesse - FSV) a poursuivi sa réduction en 2014 et 2015 , s'élevant respectivement à - 4,3 milliards d'euros et - 4 milliards d'euros soit à un niveau équivalent à celui d'avant la crise. En 2016, il devrait encore diminuer pour atteindre - 2,8 milliards d'euros grâce à l'excédent prévu de 0,9 milliard d'euros des régimes de base . Cet excédent résulte d'une plus forte dynamique des recettes, liée aux hausses des taux de cotisation vieillesse décidée entre 2012 et 2014, par rapport aux dépenses, qui bénéficient pleinement du recul de l'âge légal à 62 ans prévu par la réforme de 2010. Cette dernière devrait générer 5,1 milliards d'euros d'économie en 2016 .

De même, l'annonce, intervenue le 16 octobre dernier et confirmée le 30, d'un accord entre les partenaires sociaux pour l'avenir des régimes complémentaires de retraite des salariés du privé est un soulagement, tant les résultats de cette négociation étaient déterminants pour la pérennité financière du système. Si cet accord ne ramènera pas à l'équilibre les régimes Agirc-Arrco 2 ( * ) , il permet cependant de repousser à après 2035 la perspective d'extinction de leurs réserves financières , les intérêts générés pas ces dernières couvrant le déficit restant.

Cette situation n'est pourtant favorable qu'en apparence .

Si les régimes de base sont en excédent, le déficit du FSV , chargé de financer les avantages vieillesse non contributifs, se stabilise en 2016 à un niveau très élevé (- 3,7 milliards d'euros) . Réapparu en 2009, le déficit du FSV s'explique par la persistance depuis la crise d'un fort taux de chômage. Face à cette situation, le Gouvernement ne réagit pas, renvoyant à un retournement de la conjoncture économique et à une inversion de la courbe du chômage.

Les perspectives économiques sont pourtant peu encourageantes . La prévision de croissance de 1,5 % du PIB pour 2016, sur laquelle se fonde ce PLFSS, n'est plus considérée, dans l'avis du Haut conseil des finances publiques de septembre dernier, comme « prudente » 3 ( * ) mais simplement « atteignable ». Sur le long terme, les récentes publications du Comité d'orientation des retraites (COR) 4 ( * ) présentent des perspectives financières dégradées pour le système de retraite dont l'équilibre, à l'horizon 2040, ne pourrait être atteint, à législation constante, qu'en combinant un taux de chômage de 4,5 % et des gains de productivité annuels proches de 2 %. La faiblesse tendancielle de la croissance interdit à court terme d'envisager un retour de ces indicateurs à de tels niveaux.

Enfin, si l'accord sur l'Agirc-Arrco est une bonne nouvelle, il a pour conséquence à terme de réintroduire une disparité entre les salariés du privé et les fonctionnaires alors que la réforme de 2003 s'était employée à les supprimer . En créant un système astucieux de décote temporaire sur les retraites complémentaires des salariés du privé liquidant leur retraite l'année d'obtention du taux plein au régime de base, cet accord conduit à repousser d'un an l'âge de départ effectif à la retraite soit au minimum à 63 ans . Même s'il ne concerne pas les salariés qui, futurs retraités, ne seront pas assujettis à la contribution sociale généralisée, il réintroduit bel et bien une nouvelle distorsion pour les salariés du privé puisque les fonctionnaires, couverts par des régimes uniques servant des pensions de base et complémentaires, pourront continuer à partir avec une retraite complète à 62 ans.

Ces trois sources d'inquiétudes pour l'avenir du système de retraite conduisent, cette année encore, votre rapporteur à proposer au Sénat d'adopter un relèvement graduel de l'âge légal , prolongeant le dispositif « Fillon » de 2010 qui doit conduire à fixer au 1 er janvier 2017 l'âge légal à 62 ans pour les générations nées après le 1 er janvier 1955. Il serait souhaitable de poursuivre ce relèvement progressif au-delà de cette date en prévoyant que l'âge légal passerait à 62 ans et 6 mois au 1 er janvier 2018 et à 63 ans au 1 er janvier 2019 , année d'entrée en vigueur du mécanisme de décote par l'Agirc-Arrco, pour la génération 1957 .

Comme il l'a montré dans le rapport de la mission de contrôle et d'évaluation de la sécurité sociale du Sénat sur l'avenir des retraites 5 ( * ) , votre rapporteur considère que le relèvement de l'âge légal est la seule piste crédible permettant d'assurer l'équilibre du système à court et moyen terme . De nouvelles hausses de cotisation nuiraient en effet à la compétitivité de nos entreprises et une baisse des pensions, qui n'ont déjà pas été revalorisées en 2014, ne serait pas socialement acceptable.

Cette proposition de relèvement de l'âge légal, qui diffère de celle présentée l'année dernière pour tirer pleinement les conséquences de l'accord Agirc-Arrco, s'inscrit dans le calendrier de la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) . Partiellement entré en vigueur le 1 er janvier 2015, le C3P a été simplifié dans sa mise en oeuvre, ce qui permet aux salariés les plus exposés de commencer à cumuler des points en vue d'un départ à la retraite anticipé.

Si la situation de la branche vieillesse s'améliore, il faut aller désormais plus loin pour sécuriser l'avenir du système de retraite par répartition auquel le Sénat demeure très attaché.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE DE LA BRANCHE VIEILLESSE DE FAÇADE

La branche vieillesse demeurera en déficit en 2016. Le retour à l'équilibre des seuls régimes de base prévu pour 2016 ne compense pas la persistance du déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Il devrait, par ailleurs, n'être que temporaire, la situation financière des régimes de base devant de nouveau être déficitaire à partir de 2019.

Figure n° 1 : Évolution des soldes de la branche vieillesse et du FSV de 2010 à 2019

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Régime général

- 8,9

- 6,0

- 4,8

- 3,1

- 1,2

- 0,6

0,5

1,1

0,4

- 0,1

Tous régimes de base

- 10,8

- 7,9

- 6,1

- 3,6

- 0,8

- 0,2

0,9

1,2

0,0

- 1,0

FSV

- 4,1

- 3,4

- 4,1

- 2,9

- 3,5

- 3,8

- 3,7

-3,6

- 3,1

- 2,8

Total branche vieillesse

- 14,9

- 11,3

- 10,2

- 6,5

- 4,3

- 4

- 2,8

- 2,4

- 3,1

- 3,8

Source : Annexe B des lois de financement de la sécurité sociale

A. LE NET RECUL DU DÉFICIT DES RÉGIMES DE BASE PERMET D'ENVISAGER LEUR RETOUR À L'ÉQUILIBRE EN 2016

1. Accentuée en 2014, la baisse du déficit de la branche vieillesse s'est poursuivie plus modérément en 2015 mais devrait permettre un retour à l'équilibre des régimes de base en 2016

L'article 1 er du projet de loi porte l'approbation des tableaux d'équilibre de l'exercice 2014 . Alors que l'année 2013 avait été marquée par un rythme déjà soutenu de réduction du déficit de la branche vieillesse, l'année 2014 a vu ce rythme s'accélérer pour les régimes de base. Le déficit du régime général s'élève en effet à 1,2 milliard d'euros et celui de l'ensemble des régimes de base à 800 millions d'euros.

En 2015 , d'après les chiffres établis à l'article 5 du projet de loi , la baisse du déficit se poursuit, mais à un rythme moins soutenu, portant le déficit du régime général à 600 millions d'euros, ce qui permet à l'ensemble des régimes de base de frôler l'équilibre puisque leur déficit ne s'élève plus qu'à 200 millions d'euros.

Comme le montrent les articles 26 et 27 , le mouvement de baisse des déficits enregistré depuis 2013 se transforme en 2016 . L'année prochaine devrait être marquée, pour la première depuis 11 ans, par un excédent de la branche vieillesse du régime général, s'élevant à 900 millions d'euros, contribuant à l'excédent de l'ensemble des régimes de base obligatoires qui s'élèvera à 500 millions d'euros. La branche vieillesse, hors FSV, sera la seule branche, avec la branche accidents du travail-maladies professionnelles à être à l'équilibre en 2016.

Les niveaux de dépenses et de recette des régimes de base sont en progression. En 2014, elles s'élevaient respectivement à 219,9 et 219,1 milliards d'euros. En 2015, la branche affiche un montant de dépenses de 223,8 milliards d'euros pour 223,5 milliards d'euros de recettes. Les prévisions pour 2016, dans la perspective du retour à l'équilibre, prévoient un niveau de dépenses de 227,8 milliards d'euros pour 228,7 milliards d'euros de recette.

Selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2015, les montants de prestations servies par les régimes de base s'élèvent à 215,6 milliards d'euros en 2014, en hausse de 1,9 % par rapport à 2013. Ils devraient continuer à progresser à ce rythme au cours des années 2015 et 2016 pour atteindre respectivement 219,3 milliards d'euros en 2015 et 223,7 milliards d'euros en 2016. En 2014, les charges de gestion des régimes de base s'élèvent à 2,2 milliards d'euros.

2. Une conjoncture rare : des recettes plus dynamiques que les dépenses

Comme le note la Cour des comptes 6 ( * ) pour l'année 2014, « la baisse du déficit [de la branche vieillesse] résulte de la poursuite d'un rythme de progression des produits près de deux fois supérieur à celui des charges, dans un contexte marqué par le très net ralentissement de ces dernières » . Les produits ont en effet crû de 3,8% contre 2% seulement pour les charges.

- La forte dynamique des recettes au cours des années 2014, 2015 et 2016 est essentiellement due aux mesures prises en 2012 et 2014 sur la hausse des taux de cotisation et la fiscalisation de la majoration de pension.

La hausse des taux de cotisation de 0,3 point pour les salariés et de 0,3 point pour les employeurs, entamée en 2012 7 ( * ) , se poursuivra jusqu'en 2017 et pèsera durablement sur le coût du travail ( cf . tableau page suivante).

- En 2014 , la hausse des recettes est imputable pour plus de la moitié à la hausse des taux de cotisation passant de 16,85 % en 2013 à 17,25 %. Cette mesure a permis une augmentation de 4% des cotisations sociales, soit une hausse des recettes de 2 milliards d'euros pour la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav), d'après la commission des comptes de la sécurité sociale.

Figure n° 2 : Les hausses de cotisations vieillesse prévues par le décret de 2012 et par la loi de 2014

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Taux de cotisation salariale

6,75 %

6,85 %

7,05 %

7,15 %

7,25 %

7,30 %

Dont effet décret de juillet 2012

-

0,10 %

0,05 %

0,05 %

0,05 %

-

Dont effet réforme 2014

-

-

0,15 %

0,05 %

0,05 %

0,05 %

Taux de cotisation patronale

9,90 %

10,00 %

10,20 %

10,30 %

10,40 %

10,45 %

Dont effet décret de juillet 2012

-

0,10 %

0,05 %

0,05 %

0,05 %

-

Dont effet réforme 2014

-

-

0,15 %

0,05 %

0,05 %

0,05 %

Impact hausses de taux en Md€

-

0,9

2,0

1,0

1,0

0,6

Dont effet décret de juillet 2012

-

0,9

0,5

0,5

0,5

-

Dont effet réforme 2014

-

-

1,5

0,5

0,5

0,6

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, rapport de septembre 2014

Les contributions, impôts et taxes affectés ont également augmenté de 3 % en 2014 contre 9,4 % en 2013, résultant de la modification des recettes affectées dans le PLFSS pour 2014. En 2014, la Cnav a obtenu une augmentation de la fraction du forfait social relevée à 80 % (soit + 2,9 milliards d'euros) destinée à compenser la baisse des fractions de taxe sur les salaires et de prélèvement social sur les revenus du capital. Enfin, les transferts du FSV en faveur des régimes de base sont en hausse de 4 % en 2014, en raison principalement de la progression des prises en charge de cotisations au titre des périodes assimilées du chômage.

- En 2015 , la poursuite de la hausse des taux de cotisation (17,45 %) se traduit par une recette supplémentaire de 1 milliard d'euros. Les transferts en faveur du régime général sont également à la hausse en raison de l'intégration financière du Régime social des indépendants qui entraîne une hausse de la part de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) affectée à la branche vieillesse du régime général. Ce transfert permettrait de compenser le coût des charges supplémentaires généré par cette intégration et qui s'élèverait à 1 milliard d'euros. À l'instar de 2014, la situation excédentaire du régime des salariés agricoles entraîne un transfert de 500 millions d'euros. Enfin, la loi du 20 janvier 2014 a prévu la prise en charge, par le FSV, des cotisations au titre des périodes de stages et de formation professionnelle des chômeurs, ce qui permet un transfert vers le régime général de 200 millions d'euros dès 2015.

- Les prévisions de recettes pour l'année 2016 tablent, une nouvelle fois, sur une hausse des recettes de cotisations sociales de 1 milliard d'euros consécutive à la poursuite de la hausse du taux (17,65 %). Une baisse des transferts du FSV devrait être observée en 2016 pour les régimes de base, en raison du passage d'une prise en charge forfaitaire par régime à une prise en charge proportionnelle du minimum contributif. La Cnav devrait l'année prochaine encore bénéficier de transferts de la mutualité sociale agricole (0,7 milliard d'euros) ainsi que de certains régimes spéciaux.

- L'augmentation moins rapide des dépenses au cours des années 2014 à 2016 est principalement due aux effets positifs de la réforme des retraites de 2010 8 ( * ) ainsi qu'à une très faible inflation qui a entraîné l'absence de revalorisation des pensions en 2014.

- En 2014 , 658 000 départs à la retraite ont été enregistrés au sein du régime général, soit une baisse de 4 % par rapport à 2013. La commission des comptes de la sécurité sociale estime que la réforme de 2010, en reculant l'âge légal de deux ans, a permis de dégager une économie de 3,3 milliards d'euros pour la seule année 2014. Cette baisse du nombre de départs à la retraite masque cependant la très forte dynamique des départs à la retraite anticipés, due principalement à la réforme de 2012 9 ( * ) . En 2014, ils ont concernés 157 000 personnes, soit une hausse de + 8,9 % par rapport à 2013, et représentent près d'un quart des départs à la retraite sur l'année. Le coût supplémentaire pour les régimes de base induit par les retraites anticipées s'élève à 2 milliards d'euros pour l'année 2014, dont 631 millions d'euros sont imputables directement au décret de 2012. Sans cette réforme, le nombre de départs anticipés aurait été de 90 000 pour un coût de 1,4 milliard d'euros.

Par ailleurs, la moindre dynamique des dépenses s'explique par la faible revalorisation des retraites au cours de l'année 2014 (0,32 % contre 1,5 % en 2013). Les pensions n'ont en effet pas été revalorisées au 1 er octobre 2014 en raison, d'une part, de la faiblesse de l'inflation prévisionnelle (0,4 %) et, d'autre part, de l'application d'un correctif de - 0,5 point correspondant à la surévaluation de l'inflation prévisionnelle retenue lors de la revalorisation du 1 er avril 2013 10 ( * ) . La prime exceptionnelle de 40 euros, versée aux pensionnés modestes dont le revenu mensuel est inférieur à 1 200 euros, a été financée par le FSV et représente une dépense de 232 millions d'euros. Elle n'apparaît donc pas dans les comptes des régimes de base de la branche vieillesse.

- Une baisse du nombre de départs en retraite de 7,2 % par rapport à 2014 est attendue en 2015 , ce qui devrait porter le nombre de personnes concernées à 610 000. La progression du nombre de départs anticipés serait toujours importante et entraînerait une dépense de 2,5 milliards d'euros en 2015 (dont 838 millions d'euros dus à la réforme de 2012). De plus, la faiblesse de l'inflation explique que la revalorisation des pensions, intervenue le 1 er octobre 2015, n'ait été que de 0,1 %. Le report de la date de revalorisation du 1 er avril au 1 er octobre permet de minorer l'effet de la revalorisation, qui en rythme annuel pour 2015, ne s'élèvera qu'à 0,03 %.

- En 2016 , 610 000 personnes devraient faire liquider leurs droits à la retraite, soit un chiffre parfaitement stable par rapport à 2015. La réforme de 2010, d'après la commission des comptes de la sécurité sociale, permettra de réaliser une économie de 5,1 milliards d'euros en 2016. Le nombre de départs à la retraite anticipés devrait en revanche connaître un « pic » pour atteindre 184 000 personnes concernées, ce qui représentera une dépense de 3 milliards d'euros supplémentaires. Sans la réforme de 2012, ce chiffre n'aurait été que de 100 000, ce qui aurait permis une économie supplémentaire de 1 à 1,2 milliard d'euros. Les prévisions d'inflation à la hausse (1 %) devraient, par ailleurs, conduire à une revalorisation plus forte des pensions mais dont l'impact sera limité sur l'année entière (0,3 %) en raison du décalage de la date de revalorisation au 1 er octobre.

L'impact financier de la réforme de 2010 sur les dépenses et, dans une moindre mesure, de la réforme de 2012-2014 sur les recettes expliquent principalement la réduction du déficit intervenue depuis 2013 pour les seuls régimes de base de l'assurance vieillesse. Leur retour à l'équilibre en 2016 sera de courte durée et n'est en rien suffisant pour compenser le déficit aggravé du FSV et les perspectives financières négatives du système des retraites après 2019.

B. UN ÉQUILIBRE DE FAÇADE NE S'INSCRIVANT PAS SUR LE LONG TERME

1. Le déficit préoccupant du FSV

Votre rapporteur partage pleinement l'analyse de la Cour des comptes, formulée dans son rapport de septembre 2015, sur l'aggravation préoccupante du déficit du FSV. Ce déficit, qui s'est creusé de 600 millions d'euros en 2014 pour atteindre 3,5 milliards d'euros, devrait continuer à se dégrader en 2015 (3,8 milliards d'euros) et se stabiliser en 2016 à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Cette évolution contraste avec la contraction du déficit enregistrée par les régimes de base et entraîne surtout le maintien de l'ensemble de la branche vieillesse dans une situation de déficit.

Les charges et les ressources du Fonds de solidarité vieillesse (2013-2016)

Créé en 1993, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est un établissement public de l'État à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministère chargé de la sécurité sociale et du ministère chargé du budget.

Il assure le financement d'avantages vieillesse non contributifs par le biais de transferts aux régimes d'assurance vieillesse de base. Relevant de la solidarité nationale, ces avantages sont financés au moyen de ressources fiscales qui sont affectées au fonds.

Les charges du FSV (20,1 milliards d'euros en 2016) se répartissent entre :

- des prises en charge de cotisation au titre de périodes validées gratuitement par les régimes de base (environ 13 milliards d'euros en 2016), principalement au titre du chômage (y compris Agirc-Arrco) mais également du service national ou depuis 2015 des périodes de stage et de formation professionnelle des chômeurs ;

- des prises en charge de prestations (6,7 milliards d'euros en 2016), au premier rang desquelles le minimum vieillesse et les majorations de pension pour enfants ou pour conjoint à charge.

Les ressources du FSV (16,5 milliards d'euros en 2016), dont la structure a connu une importante réforme en 2014, sont principalement constituées :

- d'une fraction du produit de la contribution sociale généralisée (CSG), qui s'élève en 2015 à 0,85 % ;

- d'une fraction de la taxe sur les salaires et d'une partie du forfait social ;

- d'un transfert de la caisse nationale d'assurance familiale (Cnaf) équivalente à la prise en charge des majorations de pensions pour enfant à charge ;

- de la contribution sur les régimes de retraite à prestations définies ;

- de 14 % du produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés, dont la suppression progressive décidée en 2014 a entraîné une chute des ressources du FSV de 140 millions d'euros.

- En 2014 , le déficit du FSV s'explique principalement par la dynamique des prises en charge, pour le compte des régimes de base, des cotisations au titre du chômage qui ont augmenté de 5,7 % (contre 7,4 % en 2013) en raison de la hausse du nombre de demandeurs d'emplois (+ 3,2 % en 2014 contre + 5,2 % en 2013). Cette prise en charge représente, en 2014, 11,4 des 12,9 milliards d'euros de prises en charge de cotisation par le FSV, la différence étant le fait de la prise en charge au titre de la maladie (1,5 milliard d'euros). Les prises en charge de prestation représentent une dépense de 7,3 milliards d'euros réparties entre les prestations de l'allocation spécifique aux personnes âgées (minimum vieillesse) à hauteur de 3,1 milliards d'euros, et les prestations au titre du minimum contributif (3,9 milliards d'euros). L'année 2014 a été marquée par le versement de la prime exceptionnelle de 40 euros, qui a été mise à la charge du FSV pour 232 millions d'euros.

Figure n° 3 : Évolution des charges et produits nets simplifiés du FSV de 2013 à 2016

(en milliards d'euros)

2013

2014

2015

2016

CHARGES NETTES

19,7

20,7

20,3

20,2

Dont prises en charge de cotisation

12,2

12,9

12,7

13

Au titre du chômage

10,8

11,4

10,9

11

Au titre de la maladie

1,4

1,5

1,6

1,7

Au titre de la formation professionnelle et des apprentis

0

0

0,2

0,3

Dont prise en charge de prestations

7,1

7,3

7,1

6,7

Au titre du minimum vieillesse

3,1

3,1

3,2

3,2

Au titre du minimum contributif

3,9

3,9

3,9

3,5

Prime exceptionnelle

0

0,2

0

0

PRODUITS NETS

16,8

17,2

16,5

16,5

CSG nette

10,6

11

10,6

10,8

Forfait social

1,7

1

1

1

C.S.S.S.

2

2,5

0,8

0,6

Taxe sur les salaires

2,1

2,5

3,8

3,9

RÉSULTAT NET

-2,9

-3,5

-3,8

-3,7

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2015

À cette forte dynamique des dépenses en 2014, se conjugue une évolution plus lente des recettes du FSV. Alors que les produits avaient bondi de 14,5 % en 2013, ces derniers n'ont augmenté que de 1,9 % en 2014. Les recettes de contribution sociale généralisée (CSG) sont légèrement en hausse en raison de l'augmentation de son taux pour le fonds. Le FSV a connu, au cours de l'exercice 2014, une profonde réforme de la structure de ses recettes s'agissant des ressources autres que la CSG et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Il a ainsi abandonné une fraction du forfait social qui a été affectée à la Cnav en échange d'une fraction supérieure de taxe sur les salaires.

- En 2015 , le déficit du FSV se dégraderait encore, pour atteindre 3,8 milliards d'euros, sous l'effet principalement d'un recul des recettes de 4 %. Les recettes de C3S diminueraient fortement en raison de la mise en place du pacte de responsabilité, prévoyant la suppression progressive de cet impôt, et de la diminution du produit exceptionnel issu des réserves de C3S. En compensation, le FSV se voit attribuer une part de la taxe sur les salaires passant de 19 % à 28,5 %. Les charges sont en légère diminution sous l'effet de la baisse des prises en charge de cotisation au titre du chômage et de l'absence de versement de la prime exceptionnelle qui ne valait que pour 2014. L'année 2015 a par ailleurs été marquée par une réforme administrative du fonds, qui sera mise en oeuvre en 2016. Cette réforme, visant à un rapprochement administratif avec la Cnav, suscite des interrogations tant du côté des partenaires sociaux que des agents du FSV.

La surprenante réforme du FSV

Le décret n° 2015-1240 du 7 octobre 2015 portant dispositions relatives au fonds de solidarité vieillesse modifie profondément l'organisation administrative du FSV. Il fusionne, tout d'abord, les fonctions de président et de directeur en confiant l'ensemble de leurs attributions à un président-directeur. Il transfère ensuite la gestion administrative du fonds à la Cnav, l'agent-comptable de la Cnav devenant également l'agent-comptable du FSV. Pour autant, cette intégration administrative, qui implique le reclassement d'une dizaine d'agents, n'est ni une intégration financière, ni même une intégration comptable. Les comptes du FSV demeureront, à ce stade, séparés de ceux de la branche vieillesse du régime général.

À la suite de ses auditions, votre rapporteur partage les interrogations des représentants du FSV, de la Cnav et des partenaires sociaux sur cette évolution paradoxale.

Cette intégration administrative intervient en effet l'année où l'État doit assumer les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015 « de Ruyter » 11 ( * ) , qui a remis en cause le régime d'application des prélèvements sociaux aux revenus fonciers et plus-values immobilières de source française perçus par des non-résidents (personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France), tel qu'issu de l'article 29 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012. Cette disposition permet de faire contribuer les non-résidents au financement de la sécurité sociale française en soumettant les revenus du patrimoine de source française à la CSG.

La Cour a estimé que cette mesure allait à l'encontre du principe de non-imposition aux prélèvements sociaux des non-résidents lorsque ces derniers sont ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne dans lequel ils contribuent déjà à un système de sécurité sociale. Une procédure d'infraction, à l'encontre de la France, avait été ouverte en 2013 par la commission européenne et devrait aboutir à une condamnation de notre pays. La France doit donc se mettre en conformité avec ses engagements européens, alors même que le Gouvernement a affirmé sa volonté de maintenir une imposition sur les revenus du capital des non-résidents pour financer la protection sociale. Les prélèvements induits ne doivent cependant plus donner lieu à une prestation. L'article 14 du projet de loi tire les conséquences de cet arrêt en affectant, d'après son exposé des motifs, « pour l'avenir, le produit des impositions sociales acquittées sur critère de résidence au financement exclusif de prestations sociales non contributives, principalement sous forme d'affectation à une partie des dépenses du FSV » .

La réforme administrative du FSV, conduisant à une plus forte intégration avec la Cnav, intervient donc alors que l'arrêt de la CJUE confirme l'interdiction de toute affectation d'une recette émanant d'un prélèvement sur un revenu du capital d'un non-résident à une dépense de prestation contributive. Cet arrêt renforcerait au contraire la logique d'une séparation stricte entre la Cnav et le FSV.

Interrogé par le rapporteur général lors de son audition devant votre commission le 8 octobre 2015 12 ( * ) , le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, a indiqué que la comptabilité du FSV distinguera bien « ce qui est contributif de ce qui ne l'est pas, [affectant] les recettes à la partie non contributive du FSV ». De son côté, le président de la Cnav, Gérard Rivière, a exprimé devant votre commission le 14 octobre dernier, les inquiétudes de son conseil d'administration qui s'est prononcé à une large majorité contre ce rapprochement. Ce dernier est perçu comme le premier pas vers l'intégration pleine et entière du FSV au sein du régime général entraînant, selon les mots de Gérard Rivière, une « confusion des missions (...) entre celles relevant de la contributivité, financées par des cotisations assises sur la masse salariale, et celles relevant de la solidarité nationale, qui ne sont pas de la compétence de la Cnav ».

Votre rapporteur sera donc très vigilant sur l'interprétation qui sera faite, en particulier par les institutions européennes, de ce rapprochement administratif entre le FSV et la Cnav.

- En 2016 , le déficit se stabiliserait légèrement à la baisse. Les recettes du fonds stagneraient alors que le passage d'une prise en charge forfaitaire du minimum contributif à une prise en charge proportionnelle pour tous les régimes permettrait une économie de 400 millions d'euros.

Réapparu en 2009 avec un montant de - 3,2 milliards d'euros, le déficit du FSV ne s'est donc jamais réduit depuis lors, fluctuant chaque année entre 3 et 4 milliards d'euros. Il s'est même, sur la période 2014-2016, stabilisé sur le haut de cette fourchette. D'après la Cour des comptes, « il représente désormais 17 % de ses charges nettes, contre 14,7 % en 2013 et sa part dans le déficit cumulé du régime général et du FSV a augmenté très fortement en 2014 (28,5 % contre 18,8 % en 2013) » .

La perspective d'un retour à l'équilibre des régimes de base d'assurance vieillesse en 2016 souligne encore plus l'acuité du problème, le FSV empêchant la branche vieillesse d'être à l'équilibre au cours des trois prochaines années.

Votre rapporteur souhaite rappeler la recommandation, qu'il avait faite l'année dernière, d'intégrer directement les comptes du FSV à ceux de l'ensemble des régimes de base de l'assurance vieillesse afin de bénéficier d'une vision consolidée de la situation financière de la branche. Elle gagnerait en clarté et en sincérité.

2. Un équilibre des régimes de base de très court terme

L'équilibre des régimes de base de l'assurance vieillesse est un équilibre de très court terme . En effet, comme le montrent les chiffres présentés dans l'annexe B du projet de loi, le régime général redeviendrait déficitaire dès 2019 (- 0,1 milliard d'euros), contribuant au déficit de l'ensemble des régimes de base estimé à 1 milliard d'euros à cet horizon.

D'après le rapport du comité de suivi des retraites 13 ( * ) , le solde des régimes obligatoires de base pourrait se dégrader entre 2018 et 2020 « en raison de plusieurs éléments réglementaires : l'arrêt des hausses de cotisations d'assurance vieillesse, la fin progressive du relèvement de l'âge légal, sans relais immédiat de l'augmentation de la durée d'assurance 14 ( * ) ».

Ce retour au déséquilibre, qui renforcera celui de la branche vieillesse dans son ensemble dont le résultat demeurera négatif sur toute la période, contraste avec le retour à l'équilibre, prévu par le Gouvernement, pour l'ensemble des branches de la sécurité sociale en 2019.

Figure n° 4 : Évolution du solde consolidé des branches de la sécurité sociale

(en milliards d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

Recettes

467,3

472,8

485,9

499,7

515,2

Dépenses

475,9

478,3

489,2

501,2

514,4

Solde (hors FSV)

-8,6

-5,6

-3,3

-1,5

0,8

Dont régimes de base de l'assurance vieillesse

-0,2

0,9

1,2

0

-1

Solde branche vieillesse (régimes + FSV)

-4

-2,8

-2,4

-3,1

-3,8

Source : Annexe B des lois de financement de la sécurité sociale

À ce retour du déséquilibre des régimes de base, s'ajoute l'effort de l'État consenti pour équilibrer le régime des retraites des fonctionnaires, qui relève du compte d'affectation sociale « pensions ». Si par construction ce compte est à l'équilibre, la subvention accordée par l'État en 2018 s'élèvera à 2 milliards d'euros. De même, la mission « Régimes sociaux et de retraites » au sein du budget de l'État, qui fixe le montant des subventions d'équilibre versées par l'État aux régimes spéciaux de retraite, présente un montant de crédits pour 2016 de 6,3 milliards d'euros pour 730 000 bénéficiaires environ.

3. Les perspectives financières négatives du système de retraites

Les perspectives de plus long terme du système de retraites dans son ensemble ne sont pas non plus, à ce jour, encourageantes. Le système de retraites doit en effet faire face dans les 25 prochaines années à deux chocs démographiques : l'allongement de la durée de la vie et l'entrée en retraite de la génération du « baby boom » qui déséquilibre durablement le ratio actifs cotisants/retraités.

Les termes de l'équation sont désormais bien connus, grâce à la documentation de qualité élaborée par le Comité d'orientation des retraites (COR). Les données publiées en juin 2015 montrent, qu'à législation constante, le système de retraites ne pourra être durablement à l'équilibre que si notre économie arrive à générer des gains de productivité annuels supérieurs à 1,8 % et à diminuer le taux de chômage à hauteur de 4,5 %. Les différents scénarios étudiés par le COR sont résumés dans le tableau ci-dessous.

Figure n° 5 : Solde financier en moyenne sur les 25 prochaines années du système de retraite selon les scénarios économiques retenus

Source : COR

La productivité du travail et le taux de chômage sont donc les deux variables économiques déterminantes pour l'évolution des soldes financiers du système de retraite. Or, les performances françaises en matière de productivité semblent avoir été obérées par la crise puisque la productivité apparente du travail est passée de 1,5 %, entre 1999 et 2008, à 0,7 % entre 2009 et 2014. De même le taux de chômage n'a jamais été inférieur à 8 % depuis le début des années 1990.

Figure n° 6 : Évolution de la productivité apparente du travail et du taux de chômage 1990-2014

Rythme annuel moyen
par sous-périodes

Rythme annuel moyen depuis 1990

1990-1998

1999-2008

2009-2014

Avant crise (1990-2008)

Y. c. crise (1990-2014)

Productivité apparente du travail, par heure travaillée

1,9 %

1,5 %

0,7 %

1,7 %

1,4 %

Taux de chômage

9,3 %

8,1 %

9,2 %

8,7 %

8,8 %

Source : COR

De plus, les prévisions de croissance jusqu'en 2018 sont constamment revues à la baisse. Le programme de stabilité 2014-2017, présenté par le Gouvernement, prévoyait en effet un taux de croissance de 1,7 % en 2015 et de 2,25 % en 2016 et 2017. Celui couvrant la période 2015-2018 ramène le taux pour 2016 et 2017 à 1,5 % et fixe celui de 2018 à 1,75 %. Ces prévisions confirment le tendanciel de croissance faible sur les prochaines années, ce qui est un frein à l'investissement et donc aux perspectives de gains de productivité. On sait également qu'une baisse du chômage n'est envisageable qu'avec un taux de croissance durablement supérieur à 2 %.

Ces éléments avaient justifié que le Sénat prenne position à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. À l'initiative de votre commission, il avait en effet adopté un amendement prévoyant le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite pour le porter à 64 ans en 2024, en poursuivant le mouvement entamé par la loi du 9 novembre 2010 ayant reporté l'âge légal de 60 à 62 ans à compter du 1 er janvier 2017.

Cette position avait été reprise en juillet 2015, par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat pour « ramener durablement notre système de retraite à l'équilibre ».

Comme le notait le rapport de la Mecss en juillet dernier, « en dépit de ce qu'avançait le Gouvernement, la réforme de 2014 était insuffisante et n'a pas résolu le problème de soutenabilité de notre système de retraite. Notre pays ne peut pas se permettre d'accumuler les déficits de son système de retraite pendant des décennies au détriment des jeunes générations. Une nouvelle réforme est donc indispensable » .

Cette réforme doit être engagée au plus tôt. Votre rapporteur considère que le manque de courage du Gouvernement avec la réforme de 2014 a mis les partenaires sociaux devant une situation délicate, les obligeant à assumer eux-mêmes des mesures qui conduiront de facto à repousser l'âge effectif de départ à la retraite pour les salariés du privé. L'accord Agirc-Arrco ouvre cependant une fenêtre d'opportunité unique au législateur pour repenser les termes d'une réforme durable des retraites de base.

La proposition de votre rapporteur, formulée dans ce rapport, doit contribuer à apporter une solution provisoire, en attendant des mesures plus ambitieuses qui devront nécessairement intervenir après les échéances électorales de 2017.

II. L'ANNÉE 2016 : UNE FENÊTRE D'OPPORTUNITÉ UNIQUE POUR ENGAGER UNE RÉFORME DURABLE DES RETRAITES

A. UNE FENÊTRE D'OPPORTUNITÉ UNIQUE : L'ACCORD MAJEUR DES PARTENAIRES SOCIAUX SUR L'AVENIR DE L'AGIRC-ARRCO ET LA LEVÉE PROGRESSIVE DES BLOCAGES À LA MISE EN oeUVRE DU COMPTE DE PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ

1. L'accord sur l'avenir de l'Agirc-Arrco : une avancée majeure, un risque de disparité entre le public et le privé
a) La nécessité d'agir

Dans son rapport de juillet dernier, le comité de suivi des retraites faisait de la négociation sur les régimes complémentaires un facteur clé de l'équilibre futur du système de retraite : « à l'échéance 2020, le solde global du système est principalement dépendant de la trajectoire financière des régimes complémentaires. (...) En l'absence d'accord, le déficit de ces régimes constituerait la part prépondérante du déficit du système de retraites à horizon 2020 (...) alors que les dépenses cumulées constituent une part minoritaire des dépenses. (...) Tant pour le court terme que pour la trajectoire de long terme, les résultats de la négociation en cours sur les régimes complémentaires sont déterminants pour l'appréciation qui peut être portée sur la pérennité financière du système ».

Après 11 années d'excédents (1998-2008), les deux régimes d'assurance vieillesse complémentaire Agirc et Arrco accusent, depuis 2009, des déficits techniques cumulés qui ont atteint les montants de 4,4 milliards d'euros en 2013 et de 3,1 milliards d'euros en 2014. Les prévisions de ces organismes estiment que si rien n'était fait, le déficit pourrait atteindre 8,4 milliards d'euros en 2020. Le recours à l'emprunt étant interdit aux régimes complémentaires, les déficits sont donc actuellement financés sur les réserves financières qui pourraient toutefois être épuisées, selon les hypothèses les plus réalistes, dès 2018-2019 pour la seule Agirc et avant 2023 pour l'Agirc et l'Arrco.

Dans son rapport Garantir l'avenir des retraites complémentaires des salariés (Agirc et Arrco) , la Cour des comptes invite les partenaires sociaux à adopter des mesures dès 2015 afin de permettre d'améliorer le besoin de financement des régimes de plus de 5 milliards d'euros à partir de 2018, l'objectif étant de rapporter quelques 120 milliards d'euros sur les soldes cumulés des régimes en 2030.

Le Cour préconise pour y parvenir d'utiliser principalement le levier du report de l'âge pour ne pas trop pénaliser ni le coût du travail, ni le pouvoir d'achat des retraités. Afin d'assurer un financement des retraites complémentaires jusqu'en 2035, elle propose par exemple de conjuguer un report d'un an de l'âge moyen de départ à la retraite avec une hausse limitée de 0,125 point par an des cotisations et une sous-indexation des pensions d'un point sous l'inflation pendant cinq ans. Autre option, celle conjuguant un report de deux ans de l'âge de départ avec des mesures identiques pendant trois ans. De plus, la fusion des deux régimes doit conduire à réaliser des économies supplémentaires.

b) L'accord du 30 octobre 2015 ouvert à la signature

Entamées le 17 février 2015, les négociations entre les partenaires sociaux pour parvenir à un redressement de la situation financière des régimes ont abouti après six séances de négociations le vendredi 16 octobre 2015. L'accord, qui devait être signé par l'ensemble des syndicats patronaux 15 ( * ) et par trois syndicats de salariés représentants plus de 50 % des salariés syndiqués 16 ( * ) , prévoit une série de mesures paramétriques applicables dès le 1 er janvier 2016 et de mesures plus systémiques entrant en vigueur à partir du 1 er janvier 2019.

• Les mesures paramétriques applicables à partir de 2016 sont celles qui ont un effet sur les recettes le plus marqué.

L'accord prévoit tout d'abord de prolonger, pendant trois ans, la sous-indexation des pensions d'un point en dessous de l'inflation. Prolongeant l'accord du 13 mars 2013, l'accord prévoit également le maintien de la « clause plancher » en cas d'inflation inférieure à 1 %, ce qui se traduit alors par un gel des pensions. Ce dispositif permettrait de générer des économies en 2017 de l'ordre de 1,3 milliard d'euros.

L'accord instaure ensuite le décalage de la revalorisation des retraites complémentaires du 1 er avril au 1 er novembre, ce qui entraîne une économie en 2017 de 300 millions d'euros. De même, une augmentation du prix d'achat du point Agirc-Arrco est prévu pendant trois ans contribuant à abaisser le rendement du point de 6,56 % à 6 % 17 ( * ) . Une extension de la cotisation pour l'Association de la gestion du fond de financement 18 ( * ) a également été décidée. Elle s'étendra, à compter du 1 er janvier 2016, aux salaires équivalents à la tranche C de l'Agirc, c'est-à-dire aux salaires compris entre 12 680 et 25 360 euros mensuels.

Dans la perspective de la fusion des deux régimes en 2019, l'accord prévoit l'ouverture d'une négociation sur la définition du statut de cadre.

Enfin, l'article 9 du projet d'accord stipule que « dans le cadre de la prochaine négociation nationale et interprofessionnelle relative au régime d'assurance chômage, les organisations signataires s'engagent à proposer la mise en place d'une contribution aux régimes Agirc-Arrco, assise sur le montant des transactions accordées suite à la rupture du contrat de travail. La négociation devra en particulier préciser le taux de la contribution et l'âge minimal des salariés concernés ». La future discussion sur l'Unedic pourrait être ainsi le cadre de la création d'une nouvelle contribution à la charge des entreprises lorsque ces dernières licencient un salarié « senior ». Cette contribution, qui en est pour l'instant au simple stade de l'accord de principe, n'est pas sans rappeler la contribution dite « Delalande » 19 ( * ) , qui a été supprimée en 2008.

• Les mesures systémiques, qui entreront en vigueur à compter du 1 er janvier 2019 , sont assez novatrices.

La principale mesure prévoit la mise en oeuvre de coefficients temporaires de décote ou de surcote du montant de la retraite complémentaire, en fonction de l'âge effectif de départ à la retraite par rapport à l'âge du taux plein dans le régime de base. Ce nouveau mécanisme, présenté par les partenaires sociaux comme un système de « bonus-malus », s'applique pour les salariés nés après le 1 er janvier 1957. Le « malus » répond aux conditions suivantes : si un salarié, remplissant toutes les conditions pour bénéficier d'un taux plein pour sa retraite de base, part à la retraite l'année d'annulation de sa décote (entre 62 et 67 ans), une décote de 10 % du montant de sa retraite complémentaire lui sera appliquée pendant trois ans. Le « malus » ne pourra toutefois pas lui être appliqué après 67 ans. Ce mécanisme est annulé dès lors que le salarié prolonge son activité pendant un an. Au-delà de ces quatre trimestres de cotisation supplémentaires suivant l'âge d'annulation de la décote au régime de base, une surcote (ou « bonus ») est appliquée sur la retraite complémentaire pendant une année. Ce bonus peut être de 10 % pour une année supplémentaire travaillée, 20 % pour deux années supplémentaires et 30 % pour trois années supplémentaires.

Ce mécanisme de coefficients temporaires ne s'applique pas aux personnes exonérées de CSG, ce qui représente environ 30 % des salariés. Pour les salariés soumis à un taux réduit, le mécanisme de décote est plafonné à 5 %.

L'estimation de l'impact de cette mesure est, à ce stade, difficile à évaluer puisqu'elle devrait entraîner un changement de comportement des salariés, qui demeure imprévisible. La conséquence de l'application de la décote de 10 % sur le montant de retraite complémentaire est estimée en moyenne entre 40 et 50 euros par mois.

L'impact sur les cadres sera bien évidemment plus marqué puisque le poids de la retraite complémentaire dans le montant total de leur pension est plus élevé 20 ( * ) .

Figure n° 7 : Application du mécanisme de « bonus-malus » pour la retraite complémentaire des salariés à compter du 1 er janvier 2019

Lorsque l'âge du taux plein d'un salarié pour le régime de base est de 62 ans...

... s'il décide de partir à 62 ans : - 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 3 ans

... s'il décide de partir à 63 ans : retraite complémentaire complète

... s'il décide de partir à 64 ans : + 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an

... s'il décide de partir à 65 ans : + 20 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an

... s'il décide de partir à 66 ans : + 30 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an

Lorsque l'âge du taux plein d'un salarié pour le régime de base est de 64 ans...

... s'il décide de partir à 64 ans : - 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 3 ans

... s'il décide de partir à 65 ans : retraite complémentaire complète

... s'il décide de partir à 66 ans : + 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an

... s'il décide de partir à 67 ans : + 20 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an

... s'il décide de partir à 68 ans : + 20 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant 1 an (mécanisme plafonné)

L'accord prévoit, en outre, l'augmentation du taux d'appel des cotisations passant à 125 % à 127 % 21 ( * ) . Cette hausse, qui sera supportée à 60 % par les entreprises, devrait entraîner des recettes supplémentaires de l'ordre de 800 millions d'euros.

Concernant les réformes de structures, un nouveau régime unifié (NRU) verra le jour à partir de 2019, qui permettra la mutualisation des réserves de l'Arrco (61,8 milliards d'euros à ce jour) et de l'Agirc (14,1 milliards d'euros). La création du NRU devra faciliter la baisse des dépenses annuelles de gestion qui doivent atteindre 1,6 milliard d'euros dans trois ans contre 1,9 milliard d'euros aujourd'hui. Une baisse des dépenses d'action sociale est également prévue.

Enfin, un pilotage semi-automatique du NRU sera également mis en oeuvre. Il vise à ajuster plus facilement les décisions en fonction des perspectives économiques et démographiques. Il reposerait sur deux niveaux. Le niveau de décision stratégique, permettrait aux organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel tous les quatre ans de fixer les objectifs en termes de trajectoire d'équilibre du régime unifié en fonction du scénario économique qu'ils auront retenu pour le moyen-long terme. Ce cadre posé, les partenaires sociaux au niveau national et interprofessionnel pourront déterminer les principaux paramètres comme le taux d'appel des cotisations ou le niveau des réserves par exemple. Le deuxième niveau dit de « pilotage tactique » permet au conseil d'administration du régime d'ajuster chaque année les paramètres de fonctionnement dans les limites déterminées par les organisations représentatives dans le cadre du pilotage stratégique. Le conseil d'administration disposera également d'un pouvoir d'alerte destiné à contraindre les partenaires sociaux d'engager de nouvelles négociations au niveau stratégique.

c) Les conséquences de cet accord

L'impact de cet accord est avant tout financier . Il doit permettre d'éviter l'extinction des réserves financières cumulées de l'Agirc-Arrco prévue en 2023. S'il ne ramènera pas à l'équilibre les régimes complémentaires, il devrait maintenir le déficit cumulé à 5 milliards d'euros en 2017 (au lieu des 6,7 envisagés en cas d'absence de réforme) et à 2,3 milliards d'euros en 2020.

À ce rythme, l'extinction des réserves est repoussée au-delà de 2030-2035. Un autre accord devra donc être trouvé dans les prochaines années.

Comme l'a rappelé François-Xavier Selleret, directeur de l'Agirc-Arcco, devant la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat le 3 novembre dernier, « les régimes complémentaires n'ont pas un euro de dette » 22 ( * ) . Le recul de l'échéance de l'extinction des réserves est donc une véritable satisfaction.

L'attention a été concentrée, à l'annonce de l'accord, sur le dispositif de coefficients temporaires 23 ( * ) . Ce n'est pourtant pas la mesure la plus efficace financièrement puisqu'elle devrait générer une économie de 500 millions d'euros à l'horizon 2020 et de 800 millions d'euros en 2030. En revanche, la prolongation de la sous-indexation des pensions permettra un gain de 1,3 milliard d'euros dès 2017 et de 2,6 milliards d'euros en 2030.

Figure n° 8 : Impact des mesures de l'accord du 30 octobre 2015 sur les comptes du régime Agirc-Arrco

(en milliards d'euros)

2017

2020

2030

Situation financière de l'ensemble AGIRC+ARRCO+AGFF

-6,7

-8,4

-12,7

I. Les mesures immédiates (2016-2018)

Sous-indexation des pensions (prix- 1 point)

1,3

2,1

2,6

Décalage de la revalorisation annuelle des pensions au 1 er novembre

0,3

1,3

1,5

Augmentation du coût d'achat du point Agirc-Arrco

0,0

0,1

1,1

Extension de la cotisation AGFF

0,1

0,1

0,1

Total mesures applicables au 1 er janvier 2016

1,7

3,6

5,3

II. Les mesures applicables à partir de 2019

Coefficients temporaires (« bonus-malus »

0,0

0,5

0,8

Économies sur les dépenses de gestion

0,0

0,2

0,2

Économies sur les dépenses d'action sociale

0,0

0,03

0,03

Augmentation du taux d'appel

0,0

0,8

1,2

Autres mesures

0,0

1

1,1

Total mesures applicables au 1 er janvier 2019

0,0

2,5

3,3

GAINS DE L'ENSEMBLE DES MESURES

1,7

6,1

8,6

EQUILIBRE DES REGIMES

-5

-2,3

-4,1

Source : Agirc-Arrco, sur la base du scénario économique dit « variante 2 », annexe 2 à l'accord

Si votre rapporteur considère cette perspective d'accord comme majeure, il regrette qu'elle introduise une nouvelle disparité entre les salariés du privé et les fonctionnaires.

En effet, la mise en place du bonus-malus invite les salariés du privé à partir à la retraite un an plus tard, c'est-à-dire au minimum à 63 ans. Or, à âge légal inchangé, les fonctionnaires qui sont assurés au sein de régimes uniques servant des retraites de base et complémentaire pourront continuer à partir avec une retraite complète, s'ils ont atteint le nombre de trimestres cotisés requis, dès 62 ans. Ce dispositif introduit donc une nouvelle différence entre public et privé que la réforme des retraites de 2003 s'était employée à effacer.

Le Gouvernement a salué la conclusion de cet accord, qui atteste « de la capacité du dialogue social pour apporter les compromis nécessaires à la consolidation du modèle social » 24 ( * ) . Votre rapporteur s'étonne toutefois de cette réaction alors même que le Gouvernement n'a pas eu le courage de prendre des mesures de long terme pour rétablir l'équilibre du système de retraites, laissant les partenaires sociaux contraints de prendre seuls les décisions difficiles.

Cet accord ne doit pas simplement être salué. Il doit être accompagné pour limiter, à court terme, la fracture entre le public et le privé et engager, à plus long terme, une réforme ambitieuse conduisant nécessairement au report de l'âge légal.

2. La simplification nécessaire du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P)

Dans son rapport de l'année dernière sur la loi de financement pour 2015, votre rapporteur avait évoqué à propos du compte personnel de prévention de la pénibilité « un dispositif plutôt séduisant du point de vue intellectuel » .

La prise en compte de la pénibilité, nécessaire pour des personnes parvenant à l'âge de la retraite dans des conditions physiques dégradées et disposant de facto d'une espérance de vie en bonne santé notablement réduite par rapport aux autres catégories socioprofessionnelles, a été initiée sous le précédent quinquennat. La réforme des retraites de 2010 avait en effet reconnu la pénibilité, sous l'angle de l'usure physique médicalement constatée. Les salariés qui avaient une incapacité reconnue égale ou supérieure à 20 % (voire 10 % dans certains cas) ayant donné lieu à l'attribution d'une rente pour maladie professionnelle (ou pour accident du travail provoquant des troubles de même nature) pouvaient partir à la retraite dès 60 ans avec un taux plein, y compris s'ils n'avaient pas validé tous leurs trimestres. Ce dispositif, qui se fondait sur des critères très concrets, n'avait toutefois pu bénéficier qu'à un faible nombre de personnes (environ 2 000 par an).

La loi du 20 janvier 2014 a créé un dispositif original mais très complexe à mettre en oeuvre, visant à prévenir et à réduire les situations de travail pénible et à prévoir des mécanismes de compensation. Partiellement mis en place au 1 er janvier 2015, le dispositif a suscité de nombreuses critiques de la part des employeurs. La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi a pris en compte les recommandations du rapport de la mission conduite par Christophe Sirugue, Gérard Huot et Michel Davy de Virville, proposant « un dispositif plus simple, plus sécurisé et mieux articulé avec la prévention » . 25 ( * )

Ce dispositif permet aux salariés exposés à l'un des dix risques identifiés 26 ( * ) de cumuler chaque trimestre un point, voire deux en cas d'exposition à plusieurs facteurs. Il pourra être cumulé au maximum 8 points par an, le nombre de points étant plafonnés à 100 tout au long d'une carrière, ce qui permettrait à une personne d'envisager un départ à la retraite anticipé de deux ans (10 points correspondant à un trimestre, soit 80 points). Les vingt premiers points sont obligatoirement utilisés pour suivre une formation, en vue d'une réorientation professionnelle dans un secteur moins exposé à la pénibilité 27 ( * ) . Les points cumulés peuvent aussi servir à financer une réduction du temps de travail (10 points permettant de compenser une réduction du temps de travail de 50 % pendant un trimestre).

Le financement de ce compte est assuré par des cotisations à la charge des employeurs. L'ensemble des entreprises verse une cotisation minimale, tandis que les entreprises exposant leurs salariés à l'un des facteurs de pénibilité devront s'acquitter d'une cotisation additionnelle devant les inciter à réduire le niveau d'exposition de leurs salariés. Le rendement des cotisations minimale et additionnelle est estimé à 500 millions d'euros en 2020 et 800 millions d'euros en 2040.

Outre un report d'un an et demi pour l'entrée en vigueur de six des dix facteurs de pénibilité, le dispositif a été modifié par la loi du 17 août 2015 dans quatre directions :

- les branches professionnelles seront en charge de négocier et d'arrêter les référentiels professionnels, avant homologation par les ministères du travail et de la sécurité sociale, pour adapter les risques de pénibilité aux spécificités de leurs métiers ; à défaut de référentiel, l'employeur reste tenu d'évaluer l'exposition des salariés comme prévu initialement ;

- les employeurs ne devront pas établir de fiche individuelle d'exposition à la pénibilité en vue de sa transmission au salarié. Une simple déclaration à la caisse de retraite suffira dans le cadre de la déclaration sociale nominative (DSN) ou de la déclaration annuelle des données sociales (DADS) ;

- le délai de prescription de l'action du salarié en cas de contestation sur son exposition a été réduit de trois à deux ans et le délai de prescription de l'action des caisses, en cas de redressement, est passé de cinq à trois ans ;

- enfin les taux des cotisations additionnelles ont été revus à la baisse pour atteindre 0,1 % (au lieu de 0,3 %) en cas de mono-exposition et 0,2 % (au lieu de 0,6 %) pour les poly-expositions. Ces cotisations additionnelles sont dues dès qu'une entreprise expose au moins un salarié. La cotisation minimale à la charge de toutes les entreprises n'entrera en vigueur qu'à compter de 2017 afin d'adapter les recettes à la montée en charge du dispositif.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, une première estimation du nombre de personnes bénéficiaires du dispositif devrait être connue en juillet 2016, la quasi-totalité des déclarations d'exposition étant effectuées par l'intermédiaire des DADS dont la périodicité est annuelle. Le nombre attendu de bénéficiaires pourrait s'élever à un salarié sur cinq soit 3,3 millions de personnes, un chiffre sans commune mesure avec les 2 000 personnes concernées par le dispositif de pénibilité prévu en 2010.

Votre rapporteur salue la mise en oeuvre de ces mesures permettant de simplifier l'adaptation des entreprises à ce nouveau droit. Il réitère toutefois sa mise en garde formulée l'année dernière : si d'ici le 1 er juillet 2016, date d'entrée en vigueur des six autres facteurs de pénibilité, toutes les inquiétudes des employeurs n'étaient pas levées, le Parlement devrait prendre en compte leurs revendications et remettre ce dispositif sur le métier .

Le C3P aura un impact sur l'équilibre du système de retraite. Prévu en effet au départ comme un instrument de prévention, le compte pénibilité ne s'accompagnera pas à court terme de formations adaptées permettant à tous les salariés exposés d'évoluer vers des postes plus protégés. Dès lors, le cumul de points en vue d'un départ à la retraite anticipé devrait être privilégié.

Votre rapporteur souhaite que ce dispositif soit présenté, dans les entreprises, comme étant prioritairement un instrument de prévention. Il ne doit pas avoir pour conséquence de rendre plus attractif des postes exposés à la pénibilité.

L'entrée en vigueur des quatre premiers facteurs au 1 er janvier 2015 permet, pour les salariés concernés, de cumuler des points depuis le début de l'année. Dans la perspective d'un report de l'âge légal, le C3P pourrait donc amoindrir l'impact de cette réforme pour les salariés exposés à la pénibilité.

B. AGIR DÈS 2016 POUR PRÉPARER UNE RÉFORME DES RETRAITES PLUS AMBITIEUSE APRÈS 2017

1. Une réforme ambitieuse des retraites ne pourra désormais intervenir qu'après les élections de 2017
a) Le report de l'âge légal est la solution la plus efficace et juste

Le retour à l'équilibre de la branche vieillesse dans son ensemble n'apparaît pas comme un objectif crédible à législation constante. La réforme de 2014 n'a pas apporté une réponse suffisante aux enjeux soulevés par les perspectives financières très négatives du système des retraites.

La mesure d'allongement de la durée d'assurance requise pour l'obtention d'une pension de retraite à taux plein, prévue par la loi du 20 janvier 2014, permet d'augmenter cette période de 6 trimestres soit 1,5 an. Elle va ainsi passer de 166 trimestres à 172 trimestres entre 2020 et 2035, en vertu de l'article L. 161-17-3 du code de la sécurité sociale. L'impact de cette mesure sur les finances de la branche vieillesse ne se fera pas sentir à court terme.

Or, les besoins de rééquilibrage des comptes sont immédiats . Parmi les trois leviers à la disposition des pouvoirs publics, celui du relèvement de l'âge légal semble le plus pertinent pour l'avenir.

Comme le rappelle le COR, le rôle joué par les différents paramètres varie considérablement selon les périodes :

- entre 2003 et 2010, c'est l'augmentation des prélèvements obligatoires qui a le plus contribué à la couverture du besoin de financement lié au vieillissement ; en effet, les mesures de report sur l'âge ont toutes été compensées par la mise en place du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue ;

- de 2011 à 2020, le relèvement des âges légaux et l'allongement de la durée de cotisation pourraient couvrir 60 à 80 % de l'accroissement du besoin de financement lié au vieillissement ;

- de 2020 à 2040, la principale contribution au besoin de financement sera la diminution de la pension moyenne relative des retraités, due à l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, et ce d'autant plus que la croissance et donc la hausse des salaires sera forte. Le relèvement de l'âge moyen de départ à la retraite permettrait encore de couvrir entre 40 et 50 % du besoin de financement du système de retraite lié au vieillissement.

Dans le rapport de la Mecss de juillet dernier, votre rapporteur faisait l'analyse que le levier des prélèvements obligatoires ne pouvait plus raisonnablement être utilisé, après la forte hausse des taux de cotisation vieillesse intervenue entre 2012 et 2014 et pesant sur le coût du travail. De même, la baisse relative des pensions par rapport aux revenus des actifs dans les prochaines années en raison de l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, conjuguée au report de la date de revalorisation au 1 er octobre et à la nécessité de maintenir le pouvoir d'achat des retraités, interdit toute diminution des pensions. Par conséquent, le levier de l'âge légal de départ à la retraite est celui qui permet le plus de marge de manoeuvre.

Ce levier doit être actionné en priorité.

b) Le Sénat soutient vigoureusement cette option

Cette analyse avait conduit le Sénat a adopté, l'année dernière lors de l'examen du PLFSS pour 2015, un report de l'âge légal à 64 ans à l'horizon 2021 ainsi que de l'âge d'annulation de la décote à 69 ans, dans le prolongement de la réforme de 2010.

Figure n° 9 : Age légal de départ à la retraite à la suite de la réforme de 2010

Génération

Age légal de départ

Avant le 1 er juillet 1951

60 ans

A partir du 1 er juillet 1951

60 ans et 4 mois

A partir du 1 er janvier 1952

60 ans et 9 mois

A partir du 1 er janvier 1953

61 ans et 2 mois

A partir du 1 er janvier 1954

61 ans et 7 mois

A partir du 1 er janvier 1955

62 ans

Générations suivantes

62 ans

Figure n° 10 : Le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite tel qu'il résulterait d'une poursuite du mouvement entamé par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites au-delà de 2017 et jusqu'en 2024

Génération

Age légal de départ

A partir du 1 er janvier 1955

62 ans

A partir du 1 er janvier 1956

62 ans et 5 mois

A partir du 1 er janvier 1957

62 ans et 10 mois

A partir du 1 er janvier 1958

63 ans et 3 mois

A partir du 1 er janvier 1959

63 ans et 8 mois

A partir du 1 er janvier 1960

64 ans

Outre les perspectives financières négatives, votre rapporteur considère que l'opinion publique est consciente du caractère inéluctable de la poursuite du relèvement de l'âge légal. Un récent sondage a montré que 92 % des Français se disent inquiets pour l'avenir de leur retraite.

Ce rapport à l'assurance vieillesse est assez paradoxal pour l'une des branches de la sécurité sociale qui a sans doute été la plus réformée depuis le début des années 1990 28 ( * ) .

La question des retraites devrait figurer en bonne place dans le débat présidentiel de 2017.

Dans l'attente d'une réforme d'envergure, votre rapporteur souhaite tirer les conclusions de l'accord Agirc-Arrco sur l'introduction d'une nouvelle disparité entre public et privé et répondre au retour du déficit des régimes de base à l'horizon 2019 ainsi qu'à la persistance du déficit du FSV.

C'est l'objet de l'amendement qu'il a déposé et qui a été adopté devant votre commission.

2. Dès 2016, augmenter progressivement l'âge légal de la retraite à 63 ans pour éviter d'introduire une nouvelle disparité entre les secteurs public et privé et répondre à la persistance du déficit de la branche vieillesse

Votre commission a adopté un article additionnel au projet de loi visant à prolonger, au-delà du 1 er janvier 2017, le relèvement graduel de l'âge légal prévu par la réforme de 2010, pour le porter à 63 ans à compter de la génération née après le 1 er janvier 1957 à compter de 2019.

La mise en oeuvre de cette mesure nécessite de modifier le rythme de relèvement pour les générations nées à partir du 1 er janvier 1956 en le faisant passer de 5 à 6 mois par génération selon le calendrier suivant :

Date de naissance

Age légal
de départ

Date d'entrée
en vigueur

À partir du 1 er juillet 1951

60 ans et 4 mois

1 er juillet 2013

À partir du 1 er janvier 1952

60 ans et 9 mois

1 er janvier 2014

À partir du 1 er janvier 1953

61 ans et 2 mois

1 er janvier 2015

À partir du 1 er janvier 1954

61 ans et 7 mois

1 er janvier 2016

À partir du 1 er janvier 1955

62 ans

1 er janvier 2017

À partir du 1 er janvier 1956

62 ans et 6 mois

1 er janvier 2018

À partir du 1 er janvier 1957

63 ans

1 er janvier 2019

En revanche, votre commission n'a pas souhaité relever l'âge d'annulation de la décote au-delà de 67 ans pour ne pas pénaliser à court terme les personnes ayant eu une carrière incomplète . D'après les statistiques de la Cnav, le flux de personnes liquidant une pension à l'âge d'annulation de la décote est faible (inférieur à 10 %) et concerne majoritairement des petites pensions.

S'il est difficile de chiffrer précisément l'impact financier du recul de l'âge légal qui diffère selon les générations, il semble raisonnable de considérer que cette mesure pourrait générer des économies permettant de ramener durablement à l'équilibre le système des retraites en effaçant le déficit du FSV.

Soucieuse de l'avenir du système de retraites par répartition, votre commission a donc privilégié cette solution équilibrée.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

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Audition de MM. Gérard Rivière, président et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)

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Réunie le mercredi 14 octobre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de MM. Gérard Rivière, président et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse sur le projet de loi n° 128 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

M. Alain Milon , président . - Nous accueillons Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur, de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) afin qu'ils nous présentent la situation générale de la branche vieillesse, qu'ils précisent les enjeux de gestion auxquels elle est confrontée et qu'ils répondent aux questions de notre rapporteur Gérard Roche et de tous ceux qui souhaiteraient les interroger.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - La première actualité de la branche vieillesse est son retour à l'équilibre, annoncé pour 2016, avec un excédent de 0,4 milliard d'euros. C'est la première fois depuis 2004, et il y a lieu de s'en réjouir.

Toutefois, structurellement, les dépenses du régime général évoluent à un rythme plus rapide que celui des recettes en raison du « papy boom », qui a débuté en 2005 et devrait s'achever vers 2035. Les dernières réformes ont eu pour effet de limiter l'accroissement des dépenses, par le recul de l'âge légal de départ à la retraite et par le décalage puis l'absence de revalorisation des pensions. Dans le même temps, les recettes ont fortement progressé grâce au décret du 2 juillet 2012 et à la loi du 20 janvier 2014, qui ont apporté un surcroit de cotisations à la branche qui s'élève à 6 milliards d'euros en 2016. Le recul des bornes d'âge, issu de la réforme de 2010, générera pour cette même année une économie de 5 milliards d'euros.

De 2014 à 2017, l'augmentation des recettes sera, pour la première fois depuis fort longtemps, plus forte que celle des dépenses, ce qui permet le retour à l'équilibre. Sur les années 2016-2018, l'excédent pourrait atteindre 1,2 milliard d'euros, avant de basculer à nouveau dans le rouge en 2019. Cela ne permet pas de reconstituer des réserves pour le futur.

La situation du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) vient nuancer cette situation. Certains ont affirmé que le déficit de la Cnav lui aurait été transféré. Je ne partage pas ce point de vue. Le FSV découle d'une autre logique que celle mise en oeuvre par la Cnav. Son déficit est conjoncturel, lié à l'effet de ciseaux de la persistance du sous-emploi, qui diminue les recettes du FSV tout en augmentant ses dépenses, liées à la prise en charge de la validation des périodes de chômage. Tant que la situation de l'emploi ne s'améliorera pas, et à défaut d'affectation de ressources nouvelles, le FSV demeurera durablement en déficit.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Cnav . - La Cnav est confontée à plusieurs chantiers de simplification et de modernisation. Tout d'abord, le groupement d'intérêt public (GIP) Union retraite, créé par la loi du 20 janvier 2014, est chargé de coordonner l'action des régimes pour essayer de gommer les conséquences de la complexité de notre système et d'améliorer la satisfaction des usagers. La convention d'objectifs qui le lie à l'Etat a été signée en février 2015, et il mène depuis une action volontariste, avec notamment la mise en place d'un portail interrégime, qui devrait voir le jour dans le courant de l'année 2016, et celle du répertoire général des carrières uniques, qui sera commun à l'ensemble des régimes.

La loi du 20 janvier 2014 a également prévu la liquidation unique des pensions dues par le régime général et les régimes alignés. Il n'y aura désormais plus qu'une seule pension pour les personnes ayant été affiliées, au cours de leur carrière, au régime général, au régime social des indépendants (RSI) ou à celui des salariés agricoles géré par la mutualité sociale agricole (MSA). Au 1 er janvier 2017, il appartiendra au dernier régime d'affiliation de calculer et de liquider la pension du titulaire. Cette réforme très importante va diminuer de manière significative le nombre de polypensionnés. Les systèmes d'information doivent être prêts à partir du 1 er juillet 2016 : c'est un calendrier nécessairement tendu, mais plusieurs étapes ont déjà été franchies avec succès.

Par ailleurs, à la suite de difficultés rencontrées dans les caisses Nord-Picardie et Languedoc-Roussillon du régime général, le Gouvernement a institué une garantie de versement de leur pension de retraite aux personnes ayant déposé, au moins quatre mois avant leur départ à la retraite, leur dossier complet auprès de leur caisse. Il s'agit d'un filet de sécurité supplémentaire pour l'ensemble des assurés. Entrée en vigueur le 1 er septembre dernier, elle devrait voir ses premières applications au début de l'année 2016.

Enfin, une revalorisation des pensions de 0,1 % a eu lieu au 1 er octobre. Cela concerne 13,8 millions de personnes, qui en verront la traduction dans les pensions qui seront versées le 9 novembre prochain.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - Je me félicite de la deuxième lecture prochaine au Sénat du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Dans l'attente de l'adoption définitive de ce texte, la ministre Laurence Rossignol a mis en place à titre expérimental des conférences des financeurs auxquelles la Cnav, au titre de l'action sociale interrégime, participe avec le RSI et la MSA. C'est un succès incontestable. Désormais, une véritable démarche interrégime d'accompagnement du vieillissement a été instituée puisque le partenariat Cnav-RSI-MSA a été étendu à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) par un amendement adopté en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

En 2015, la Cnav et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ont renouvelé le plan d'investissement en faveur de la modernisation du logement intermédiaire qu'elles avaient établi en 2014, doté de 10 millions d'euros pour chacune de ces deux années. Il faut savoir que la demande des porteurs de projets s'élève à 110 millions d'euros.

Enfin, je dois vous informer que le conseil d'administration de la Cnav a rendu un avis négatif sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 par 21 voix contre, 6 pour, une abstention et une prise d'acte.

M. Gérard Roche, rapporteur pour la branche vieillesse . - Je veux tout d'abord évoquer les perspectives financières du régime général au-delà de 2019. Le solde de la branche sera en léger excédent entre 2016 et 2018, avant de retomber en déficit, ce que corroborent d'ailleurs les prévisions du Conseil d'orientation des retraites (COR). Comme chaque année, je regrette que les comptes du FSV ne soient pas plus explicitement intégrés dans le solde général de la branche vieillesse, ce qui peut donner l'image de comptes insincères. Le déficit du FSV, qui s'élève en 2014 à 3,5 milliards d'euros, est directement corrélé à la conjoncture économique et à la montée du chômage, entraînant l'effet ciseaux que vous avez parfaitement décrit. Je tiens d'ailleurs à souligner qu'au-delà du retour à l'équilibre du FSV, il ne faut pas trop attendre de la baisse du chômage sur l'équilibre de long terme du système de retraite. Les travaux du COR montrent en effet que le maintien d'un chômage à 10 % ne modifie qu'à la marge les trajectoires du solde financier du système des retraites dans les différents scénarios économiques étudiés. Il faut cependant être vigilant sur la persistance du déficit du FSV et sur la dégradation du solde du régime général à partir de 2019.

Je souhaiterais vous interroger plus spécifiquement sur deux sujets. Tout d'abord sur l'intégration du RSI et du FSV à la Cnav. Quel bilan tirez-vous de l'intégration financière du RSI et quelles sont les répercussions sur les comptes du régime général ? De même, comment préparez-vous l'intégration administrative du FSV prévue par le décret du 7 octobre dernier ? La caisse souhaitait-elle ces rapprochements ?

Je vous soumets également quelques questions sur la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et du compte personnel d'activité (CPA). La Cnav est l'opérateur de gestion du C3P en partenariat avec la MSA. Comment s'est déroulée concrètement la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif au sein de votre caisse ? Pensez-vous que la future intégration du C3P dans la CPA posera des difficultés particulières ?

Enfin, en lien avec vos propos sur l'action sociale de la Cnav, en particulier en faveur de l'autonomie, je conclurai en évoquant la deuxième lecture du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement dont je suis le co-rapporteur. Nous avions insisté avec George Labazée pour que les organismes de protection sociale soient présents autour de la table de la conférence des financeurs et je me réjouis que la Cnav soit pleinement partie prenante des expérimentations opérées dans certains départements. Nous insisterons pour que cette conférence ne soit ouverte qu'aux seuls financeurs de la politique de prévention de la perte d'autonomie, les conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie devant être les instances de dialogue avec les usagers.

Alors que l'Assemblée nationale a repris la majeure partie des améliorations du texte adoptées au Sénat, il demeure un vrai point de désaccord sur le ciblage du produit de la contribution additionnelle de solidarité à l'autonomie (Casa) au sein du budget de la CNSA. Nous souhaitons que les parts du produit de la Casa consacrées au financement des conférences des financeurs, à la diminution du reste à charge pour les familles ou encore à la formation des bénévoles soient fixées directement dans la loi et non par le pouvoir réglementaire. Une révision régulière de ces taux pourrait intervenir, au besoin, à l'occasion de la discussion d'un projet de loi ordinaire ou de financement de la sécurité sociale, ce qui permettrait au Parlement d'avoir un pouvoir de contrôle sur le budget de la CNSA.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - La Cnav n'a été consultée ni sur l'intégration financière du RSI, ni sur la mesure concernant le FSV. Pour ma part, j'ai appris l'intégration financière du RSI lors de la commission des comptes de la sécurité sociale. Cela dénote un manque de préparation.

L'inquiétude du conseil d'administration sur cette intégration financière est vive. Elle s'accompagne d'un transfert de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui doit disparaître en 2017. Qu'en sera-t-il ensuite ? Faudra-t-il s'assurer chaque année, lors de la présentation du PLFSS, qu'une recette ou qu'un panier de recettes nous aura bien été affecté ?

Sur le FSV, la consultation du conseil d'administration sur le projet de décret a abouti à un avis très largement négatif, avec une cohésion peu courante de l'ensemble des représentants des partenaires sociaux sur ce point. Nous nous étions félicités de sa création : il visait à faire financer par la solidarité nationale les périodes non-contributives, qui avant 1994 étaient prises en charge par les régimes. Les difficultés persistantes du FSV pourraient conduire à son rapprochement avec la Cnav, ce qui est l'objet de ce décret, voire à des comptes combinés, puis une intégration financière et, au final, à sa disparition si la situation financière de la Cnav s'améliorait durablement. Il est évident que son déficit de 3,5 milliards d'euros, ce qui représente plus de 20 % de ses engagements de dépense, n'aurait pas le même impact sur les comptes de la Cnav. Je suis avant tout inquiet de la confusion des missions suscitée par ces hypothèses, entre celles relevant de la contributivité, financées par des cotisations assises sur la masse salariale, et celles relevant de la solidarité nationale, qui ne sont pas de la compétence de la Cnav.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Cnav . - L'intégration financière du RSI a été décidée par la loi du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, qui prévoit qu'une partie de la C3S est affectée à la Cnav en compensation du transfert que celle-ci verse au RSI, qui est de l'ordre d'un milliard d'euros. En raison des modifications de la C3S prévues dans les années à venir, cette part diminuera en 2016. En contrepartie, la Cnav bénéficiera d'une fraction supplémentaire de la taxe sur les salaires - la part de la Cnav passant de 53,5 % à 61,1 % - et du forfait social : c'est ce que prévoit l'article 14 du PLFSS.

Quant à l'intégration financière en tant que telle, deux conventions ont été signées, une première avec la caisse nationale du RSI, l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour organiser les modalités de versement de la C3S par le RSI aux organismes du régime général, et une seconde le 24 juillet 2015 avec l'Acoss fixant nos relations financières au titre de la dotation d'équilibre et des flux centralisés. Les conditions sont tout à fait satisfaisantes.

J'en viens au C3P. La Cnav en est l'opérateur, mais pas en tant que branche retraite du régime général. Une séparation étanche a donc été mise en place, aussi bien en ce qui concerne le budget que les personnels qui sont affectés à cette mission. Il s'agit d'un chantier qui est toujours en cours, notamment en matière de systèmes d'information. Une plateforme d'accueil et d'assistance téléphonique, que nous avons dans un souci d'aménagement du territoire décidé d'installer à Limoges, a été inaugurée le 3 novembre 2014. Nous sommes actuellement en train de recruter des gestionnaires de comptes ainsi que des conseillers enquêteurs, qui seront chargés de réagir aux signalements des salariés estimant que la façon dont ils ont été déclarés par leur employeur est erronée. C'est la caisse de Rennes qui centralisera, au titre de la Cnav, la gestion des comptes. L'alimentation de ceux-ci débutera dans le courant de l'année 2016 sur la base des déclarations annuelles des données sociales (DADS) concernant les quatre premiers facteurs de pénibilité, les six autres n'entrant en vigueur qu'au 1 er juillet 2016. La gestion administrative et budgétaire est clairement distincte de celle de la branche retraite, et nous sommes en mesure de savoir précisément ce qui a été dépensé pour la mise en place du C3P.

Mme Nicole Bricq . - Je souhaiterais parler de l'avenir. Les mesures de 2010 ont apporté des gains provisoires. Qu'en est-il dans la durée ? Quel regard portez-vous sur les négociations entre les partenaires sociaux sur l'avenir des régimes de retraite complémentaire ? Quel serait l'impact des mesures d'âge envisagées sur le régime général ?

Sur le CPA, vous avez été auditionné par France Stratégie, qui a récemment remis un rapport sur le sujet. Une loi préparée par la ministre du travail devrait venir en préciser le contenu. Vous y préparez-vous, alors qu'il est envisagé que les droits à la retraite soient inscrits dans ce dispositif et qu'il aura un impact certain sur les politiques de protection sociale ?

Mme Isabelle Debré . - Comment pourrait-on améliorer, voire même uniformiser, le système de liquidation des pensions de retraite des polypensionnés ainsi que le rythme de versement des pensions, qui peut être mensuel, trimestriel voire même annuel ? Les difficultés que cette hétérogénéité représente pour nos concitoyens sont réelles : certains d'entre eux ne peuvent pas faire face à leurs échéances pour cette raison. Pourquoi y-a-t-il un tel cloisonnement ? Cette question était déjà soulevée lorsque je siégeais au COR.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Cnav . - Je regarde évidemment l'évolution de la négociation Agirc-Arrco avec attention, mais il ne m'appartient pas de prendre position ou de me prononcer sur le fond. Il en va de la responsabilité des partenaires sociaux, qui par le passé ont su prendre des décisions courageuses. J'espère que le bon sens l'emportera et qu'un accord sera trouvé. Il ne faut toutefois pas se laisser abuser par la presse : ces régimes sont certes en déséquilibre, mais ne sont pas au bord de l'explosion financière. Ils disposent de réserves, et sont en mesure de verser les pensions en 2016.

Si un accord introduisait des abattements avant un autre âge de départ à la retraite que celui fixé par la loi, cela relèverait de la responsabilité des signataires mais n'aurait aucune répercussion immédiate sur la Cnav. La question de leur éventuelle transposition au régime général relèverait en tout état de cause du législateur.

Toutefois, ce ne serait sans doute pas une mesure à effet immédiat, mais dont l'entrée en vigueur serait différée dans le temps. En conséquence, elle créerait un appel d'air et provoquerait des départs massifs à la retraite de salariés qui, pour diverses raisons, ont fait le choix de ne pas liquider leur pension alors que leurs droits pourraient être ouverts.

Des progrès ont été réalisés pour améliorer la fluidité de la liquidation des pensions des polypensionnés grâce à la loi du 20 janvier 2014. La création du GIP Union retraite ou la liquidation unique pour le régime général et les régimes alignés au 1 er janvier 2017 en font partie. A cette date, nous serons capables de liquider en une fois les pensions des ressortissants ayant cotisé au régime général, à la MSA salariés ou au RSI. Il n'y aura plus qu'un interlocuteur, un seul calcul de pension et une seule carrière. Cela est rendu possible car ce sont des régimes alignés, à la réglementation identique au regard du code de la sécurité sociale. Pour les autres régimes, les conditions d'âge ou de calcul de pension varient. Il n'est pas possible d'aller au-delà de ce qui existe aujourd'hui, si ce n'est en développant l'information des cotisants, à travers notamment les différents portails qui existent. Dès l'an prochain, un simulateur permettra de calculer une pension à partir de carrières-types. A l'horizon 2020, il sera plus performant et il devrait être possible de calculer les pensions futures pour l'ensemble des régimes.

Enfin, sur le rythme de paiement des pensions, la mensualisation adoptée par l'Agirc-Arrco l'an dernier règle les principales difficultés. Pour les autres régimes, le choix de la trimestrialisation ou de l'annualisation relève de la responsabilité de chaque gestionnaire.

M. Pierre Mayeur, directeur général de la Cnav . - Le CPA ne peut que susciter notre intérêt. La Cnav a déjà joué un rôle très important dans le système des données sociales avec la DADS et la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN). Notre système national de gestion des carrières a été utilisé pour mettre en place le droit à l'information interrégime. La Cnav porte la mémoire de la carrière de la majorité des actifs. La transformation de la base « carrières » du régime général en répertoire des carrières unique vise à créer la grammaire commune des régimes de retraite et, au-delà, de l'ensemble des organismes de protection sociale.

Le rapport de France Stratégie ne donne aucune indication sur l'opérateur du CPA. La Caisse des dépôts et consignation, qui gère le compte personnel de formation (CPF), a déjà fait part de son intérêt. Nous serions également légitimes, en tant que gestionnaire du C3P, en coopération avec les acteurs compétents. Il faut, sur ce point, qu'un dialogue s'ouvre.

Les partenaires sociaux doivent négocier, puis un projet de loi doit être examiné par le Parlement. La construction du CPA ne peut être que progressive. Des droits existent déjà dans des bases de données relevant d'opérateurs publics (CPF, C3P). Ce n'est pas le cas de nombreux autres, comme le compte épargne-temps ou l'épargne salariale. De plus, comment construire le système d'acquisition progressive de droits ? Nous n'en sommes qu'au tout début de la réflexion sur le sujet.

Concernant la liquidation des pensions des polypensionnés, il ne faut pas sous-estimer la première étape fondamentale que constitue la liquidation unique pour le régime général et les régimes alignés. Il s'agit de la réaliser dans les délais, alors qu'un récent rapport de deux députés propose de la reporter. A ce stade, nous ne faisons face à aucun obstacle qui nous contraindrait à un tel décalage.

Enfin, ce n'est pas à cause des systèmes d'information ou des gestionnaires que les régimes ne sont pas coordonnés. Leurs règles fondatrices, écrites dans un système juridique et une période historique différents des nôtres, ne l'envisageaient pas. Leur coordination n'était alors pas prévue. Une intervention préalable de l'autorité publique est donc nécessaire pour aller plus loin lorsque les règles sont différentes.

Audition de M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'Association générale des institutions de retraite des cadres - Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco)

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M. Jean-Noël Cardoux , président. - Je remercie François-Xavier Selleret d'être venu aussi promptement devant la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat pour présenter le contenu de l'accord du 30 octobre 2015 dont l'encre est à peine sèche. Il y a quelque temps encore personne ne croyait en la possibilité de trouver un accord. Il faut donc se féliciter de l'attitude responsable d'une majorité de partenaires sociaux.

La mesure phare de ce texte est l'instauration d'une décote temporaire de 10 % sur la retraite complémentaire, si un salarié décide de partir à la retraite l'année d'obtention de son taux plein pour le régime de base. S'il accepte de reculer d'un an son départ à la retraite, il bénéficiera immédiatement de l'intégralité de sa retraite complémentaire.

Bien sûr, il n'y a pas que cette disposition dans l'accord. La fusion des régimes Agirc-Arrco, à compter de 2019, au sein d'un nouveau régime unifié est un élément structurant qui reprend une recommandation ancienne.

Au total, cet accord est susceptible de ramener le déficit des régimes à 5 milliards d'euros en 2017 et à 2,3 milliards d'euros en 2020.

Est-ce qu'à moyen terme ces mesures suffiront à assurer le financement des régimes de manière pérenne ? Par ailleurs, pensez-vous que cet accord va avoir une influence directe sur l'âge de liquidation de la retraite du régime général ?

M. François-Xavier Selleret, directeur de l'Agirc-Arrco. - Dans la négociation se jouaient deux éléments : l'engagement et la confiance.

L'engagement, c'est celui des partenaires sociaux, acteurs intermédiaires dans un pays qui s'en méfie, à continuer à porter une part de l'intérêt général. En effet, la gestion d'un régime obligatoire de droit commun, que sont les régimes Agirc-Arrco, participe de l'intérêt général. L'enjeu de la négociation était donc de montrer que les partenaires sociaux avaient à coeur de continuer à porter cet intérêt général, sans s'en remettre à la puissance publique.

La confiance ensuite, en particulier envers les jeunes générations qui ont une forte interrogation quant à l'avenir du système de retraite par répartition. L'accord permet de restaurer la confiance, au-delà des simples déclarations d'intentions.

Cet accord est une bonne nouvelle pour notre pays.

L'équilibre financier des régimes était en danger. Je veux d'abord rappeler que si l'Agirc et l'Arrco connaissent des déficits depuis quelques années, ces régimes n'ont pas un euro de dette. Cette situation est le résultat de la gestion paritaire qui, pour des raisons tant techniques que politiques, avait permis de constituer des réserves financières dont le montant cumulé avoisine aujourd'hui les 60 milliards d'euros. L'objectif de ces réserves, accumulées pendant une dizaine d'année au cours d'une période économiquement plus favorable, était de pouvoir les mobiliser afin de faire face aux déficits qui allaient forcément survenir dans le futur, comme le prévoyaient les projections démographiques et économiques. Les déficits actuels sont couverts par les réserves financières, comme continueront de l'être les déficits à venir.

L'une des caractéristiques de la négociation a été la prudence dans les chiffrages retenus. Si rien n'avait été fait, les régimes complémentaires auraient enregistré un déficit d'un peu plus de 8 milliards d'euros en 2020. De même, les pensions de l'Agirc auraient également pu être baissées de 11 % en 2018. L'épuisement des réserves financières de l'Agirc était en effet programmé dès 2018, alors que celui des réserves de l'Arrco n'aurait dû intervenir qu'à l'horizon 2030.

D'où l'urgence du calendrier qui s'est tout de même étalé tout au long de l'année 2015. Ce calendrier a été précédé d'un certain nombre de travaux qui ont permis aux partenaires sociaux de s'approprier l'ensemble des leviers à leur disposition. Plusieurs leviers de pilotage ont été mobilisés au cours de la négociation. Ils concernent à la fois le montant des prestations et des cotisations, l'âge de départ à la retraite et la durée de cotisation.

Le point commun de ces mesures est d'être à impact rapide. En matière de retraite, 2020 c'est demain, et dans ce domaine les dépenses sont assez certaines car les équilibres se font notamment sur la base d'éléments liés à la démographie. Les recettes peuvent en revanche connaitre des aléas liés à la situation économique.

L'accord du 30 octobre combine à la fois des mesures paramétriques, applicables dès le 1 er janvier 2016 et des mesures systémiques, qui entreront en vigueur en 2019.

J'aborderai tout d'abord les mesures paramétriques applicables dès 2016. L'accord prévoit la poursuite, pendant trois ans, de la sous-indexation des pensions de 1 point par rapport au taux d'inflation. Cette mesure, qui était déjà appliquée depuis l'accord du 13 mars 2013, est accompagnée d'une « clause plancher » permettant le gel des pensions en cas d'inflation négative ou inférieure à 1 %. Elle devrait permettre de générer 1,3 milliard d'euros d'économie en 2017, 2,1 milliards en 2020 et 2,6 milliards en 2030.

Le décalage de la date de revalorisation des retraites complémentaires du 1 er avril au 1 er novembre a également été instauré. Cette date n'avait pas été reculée au moment où le Gouvernement décidait de le faire au 1 er octobre pour les régimes de base. La mesure devrait permettre de rapporter 300 millions d'euros dès 2017 avec une montée en charge progressive pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2015.

L'accord prévoit ensuite une augmentation du prix d'achat du point Agirc-Arrco qui va peser sur les actifs en diminuant légèrement le rendement du point. Il devrait passer entre 2016 et 2019 de 6,56 % à 6 %. C'est une montée en charge très progressive et qui ne concerne que l'acquisition des nouveaux points.

Le salaire de référence sera désormais fixé en fin d'année pour pouvoir être appliqué au premier janvier de l'année suivante. Les partenaires sociaux ont voulu réaffirmer qu'un régime de retraite par répartition dépendait de l'évolution de la masse salariale. La question de l'indexation sur les prix ou sur la masse salariale est un long débat. Dans les modalités de pilotage retenues par les partenaires sociaux, la référence au salaire moyen permet de rappeler l'ancrage sur l'évolution de la masse salariale.

D'autres mesures seront applicables à partir de l'année 2016, parmi lesquelles l'extension de la cotisation à destination de l'Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF) aux salaires équivalents à la tranche C de l'Agirc, soit les salaires compris entre 12 680 et 25 360 euros. Il s'agit d'un mécanisme qui donne la possibilité pour les hautes rémunérations de cotiser, ce qui leur permet en cas de départ en retraite avant 65 ans, et demain 67 ans, de ne pas subir d'abattement sur leur pension.

De même, l'accord prévoit le maintien de la contribution exceptionnelle et temporaire à 0,35 % ainsi que celui du pourcentage d'appel des cotisations à 125 % jusqu'en 2018. Ce dernier augmentera de deux points à partir de 2019.

Un effort sur la dotation de gestion sera également accompli. Cette dotation est en baisse sur la période 2016-2018, le montant constaté au titre de l'exercice précédent, en euros constants étant de -4 %. Une baisse annuelle de 2 % de la dotation d'action sociale a aussi été décidée.

Je veux également citer la réaffirmation du souhait, formulé par les partenaires sociaux, de mettre en place des échanges d'information entre l'Acoss et les Urssaf sur les redressements d'assiette. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoyait cette mesure qui n'avait toutefois jamais été appliquée.

Par ailleurs, et l'on y reviendra, l'une des dispositions qui a été décidée est la création d'un régime unifié de retraite complémentaire. Ce régime reprendra à compter du 1 er janvier 2019, les droits et les obligations de l'Agirc-Arrco. Dans cette perspective, les organisations syndicales souhaitaient que la définition de l'encadrement puisse donner lieu à l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle.

Le rendement de ces mesures devrait approcher 2 milliards d'euros en 2017 et 6 milliards d'euros en 2020. Pour l'année 2016, le rendement va dépendre de l'inflation observée au cours des deux prochaines années. L'hypothèse retenue pour l'année 2016 est une inflation égale à 1 %. D'ici 2017, le rendement attendu de ces mesures s'élèverait donc à 1,7 milliard d'euros.

J'en viens maintenant aux mesures systémiques applicables à partir du 1 er janvier 2019. L'accord prévoit la création d'un nouveau régime unifié de retraite complémentaire (NRU) qui reprendra les droits et obligations de l'Agirc-Arrco. Le NRU implique d'harmoniser les tranches de cotisation. L'augmentation du taux d'appel des cotisations à 127 % à partir de 2019 sera répartie à 60 % à la charge des employeurs et à 40 % à celle des salariés, ce qui implique d'augmenter la cotisation salariale de 0,56 point puisque la répartition actuelle se fait sur la base 62-38 à l'Agirc.

Un groupe de travail va être constitué afin de préciser les modalités de fonctionnement et de gouvernance du NRU. Des décisions des commissions paritaires de l'Agirc-Arrco seront présentées en 2016.

Les futurs retraités seront également mis à contribution avec la mise en place du coefficient de solidarité, qui est le fameux « bonus-malus » qui a concentré l'attention à la suite de l'annonce de l'accord. J'en rappelle brièvement le principe. Ce mécanisme prévoit qu'un salarié, en âge de liquider sa retraite de base à taux plein, ne puisse bénéficier de l'intégralité de sa retraite complémentaire que s'il reporte la fin de son activité d'un an. En cas de départ à la retraite l'année d'obtention de son taux plein au régime de base, il se voit appliquer le coefficient de solidarité, c'est-à-dire une décote de 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant trois ans. Ce mécanisme ne s'applique plus après l'âge de 67 ans et ne concerne donc pas, en réalité, les salariés à la carrière incomplète. Pour les assurés qui décalent la liquidation de leur retraite complémentaire au-delà de la date à laquelle les conditions du taux plein sont remplies dans le régime de base, il est prévu dans l'accord une majoration des droits à retraite complémentaire pendant 1 an de 10 % pour ceux décalant de 8 trimestres, de 20 % pour ceux décalant de 12 trimestres et de 30 % pour ceux décalant de 16 trimestres.

J'insiste sur ce point : les notions retenues ne sont pas, à proprement parler, des critères d'âge. L'accord met en avant cette idée de retraite à la carte, laissant le salarié libre d'arbitrer entre une durée de cotisation et un montant de pension.

Il avait été question, pendant la négociation, de mesures de fixation d'un âge en dessous duquel la liquidation de la retraite complémentaire n'aurait pas été possible. L'accord n'est pas dans cette logique mais plutôt sur celle d'un couple âge/durée qui permet à chacun de déterminer, en fonction de l'âge à partir duquel il peut prétendre au taux plein au sein du régime de base, l'âge auquel il souhaite partir. Par définition cet équilibre est différent d'une personne à une autre. Les partenaires sociaux ont souhaité partir de l'élément individuel permettant de traiter chaque retraité de manière personnalisée en fonction du moment où il remplit la double condition d'âge et de durée.

Ce coefficient de solidarité sera appliqué au 1 er janvier 2019 pour les générations nées après le 1 er janvier 1957. Il ne s'applique toutefois pas aux assurés, dont le revenu fiscal au moment de la liquidation de la retraite leur permet d'être exonérés de cotisation sociale généralisée (CSG). De même, les retraités assujettis à un taux réduit de CSG ne pourraient se voir appliquer une décote que de 5 % seulement.

De même, le coefficient ne s'appliquant pas après 67 ans, il ne concernera pas les salariés aux carrières incomplètes. Je vous rappelle que des abattements viagers s'appliquent déjà à l'Agirc-Arrco pour les carrières incomplètes. L'accord ne prévoit donc pas une double peine.

Enfin, ce mécanisme ne s'appliquera pas non plus aux assurés handicapés remplissant les conditions d'un départ anticipé lié à l'amiante, ni même aux assurés inaptes avec un taux d'incapacité permanente partielle de 50 % médicalement constaté. Enfin seront également exonérés de cet abattement, les assurés ayant apporté une aide effective à leur enfant handicapé.

Au final, près de 30 % des salariés partant à la retraite ne seront pas ou très peu concernés par ce système d'abattement. J'ajoute que la décote ne porte que sur le montant de retraite complémentaire. Elle devrait représenter en moyenne de 40 à 50 euros, le montant moyen de retraite complémentaire s'élevant en France entre 400 et 500 euros.

Je veux enfin évoquer la mise en place d'un pilotage pluriannuel au sein du futur NRU. Au cours de la négociation, il y a eu une volonté de la part des partenaires sociaux de se doter d'éléments de gouvernance afin d'assurer la pérennité des retraites complémentaires.

Le pilotage du régime complémentaire se fera sur la base d'un niveau stratégique et tactique.

Le niveau stratégique permettra aux partenaires sociaux au niveau national de mener une négociation tous les quatre ans afin de fixer les objectifs en termes de trajectoire d'équilibre du régime en fonction du scénario économique. Une fois ce cadre fixé, ils pourront déterminer les critères de soutenabilité sur 15 ans du régime (en particulier le niveau de réserves à conserver) ainsi que les paramètres (valeur d'achat du point, taux d'appel...).

S'agissant du niveau tactique, le conseil d'administration réuni annuellement aura pour mission d'ajuster en tant que de besoin les paramètres dans la limite fixée par le pilotage stratégique.

Les organisations représentatives seront par ailleurs réunies obligatoirement en vue d'ajuster les ressources ou les charges du régime unifié en cas d'alerte par le conseil d'administration ou de changement significatif de la conjoncture économique.

Un dernier mot s'agissant de l'objectif de dépenses de gestion. Les partenaires sociaux ont fixé un objectif supplémentaire d'économie de gestion de 300 millions d'euros qui se cumule aux 300 millions d'euros d'économie déjà demandés sur le montant annuel global. Cette décision amène à un total d'économie de gestion globale de 600 millions d'euros.

En conclusion, les points fixés au cours de cette négociation amèneront dans tous les cas à des ajustements qui seront permis grâce au pilotage semi-automatique mis en oeuvre.

De même, les hypothèses de modification de comportement, à la suite de la mise en oeuvre des coefficients temporaires, sont extrêmement prudentes. Si la modification de comportement est plus importante que prévue et si le rendement de la mesure des 10 % donne un résultat plus élevé, ce sont aussi des éléments qui pourront donner lieu à un reparamétrage par les partenaires sociaux.

M. Jean-Noël Cardoux , président. - L'accord est très récent. L'affichage médiatique de cet accord s'est réduit à l'expression selon laquelle pour pouvoir liquider les retraites complémentaires, il va falloir travailler au moins jusqu'à 63 ans. Or, ce que vous nous exposez est beaucoup plus complexe. L'élément essentiel à retenir est le coefficient de solidarité. Ce coefficient est à géométrie variable et se calcule en fonction du taux plein et de l'âge de la personne assurée. Les choses restent toutefois pour les non-initiés relativement compliquées. Avez-vous prévu dans les jours à venir un gros effort de communication ? Sur la fusion des caisses, quel sera le nombre de salariés concernés et quelles seront les répercussions de la fusion sur l'ensemble des salariés ?

M. François-Xavier Selleret. - Sur le premier point, la volonté des partenaires sociaux est de bâtir un système de retraite à la carte. Cela suppose de pouvoir répondre de manière très personnelle et très individuelle aux interrogations des assurés. C'est un changement culturel majeur. Nous sommes actuellement dans un système ou chaque assuré est traité de la même manière. Il existe pour autant un souhait social de pouvoir tenir un double équilibre, à savoir, d'une part, un régime de retraite obligatoire par répartition, qui reste légitime car il couvre la totalité des salariés du privé, et d'autre part, une demande d'accompagnement individualisé à chacun des assurés.

Cela suppose aussi de mettre un certain nombre d'informations à disposition de l'assuré afin de lui permettre de faire ses propres choix. C'est pourquoi, dans les prochains jours, l'Agirc-Arcco va déployer un premier simulateur de retraite complémentaire personnalisé, qui sera perfectionné à l'avenir avec les données réelles de l'assuré. In fine, chaque assuré pourra en trois clics effectuer sa propre simulation individualisée. Cela va permettre d'accompagner de manière beaucoup plus fine et plus précise l'assuré dans son choix. La retraite complémentaire doit pouvoir « coller » à la situation des personnes. Si l'accord réaffirme le principe d'un régime de retraite obligatoire par répartition dont la force est la solidarité interprofessionnelle, il introduit dans le même temps des éléments de retraite à la carte dont la mise en oeuvre obéira à des facteurs éminemment individuels et variables.

En ce qui concerne les incidences de la fusion sur les effectifs, il y a une pyramide des âges qui est plutôt favorable pour cette réforme. Le régime unifié c'est d'abord l'occasion unique d'une remise à plat de notre modèle organisationnel interne. La mutualisation peut prendre différentes formes : un groupe de protection sociale pourra gérer une tâche pour le compte de plusieurs, les achats pourront être regroupés... Les sommes engagées dans la gestion doivent être justifiées au premier euro. Comme les efforts sont demandés à tous, il est normal que la gestion contribue en retour à l'équilibre des régimes. L'objectif est de continuer à moderniser les régimes pour qu'ils puissent à la fois répondre au mieux en termes de qualité de service et de coûts de gestion.

M. Gérard Roche , rapporteur pour l'assurance vieillesse. - L'accord des partenaires sociaux sur les régimes complémentaires a été salué par tous les responsables politiques. C'est en effet un accord important mais qui malheureusement ne ramènera pas à l'équilibre les régimes d'assurances complémentaires. Il devrait simplement permettre de reporter dans le temps l'extinction des réserves financières du futur régime unifié. Nous nous en félicitons. En revanche je m'interroge. L'avis du comité de suivi des retraites avait indiqué qu'en l'absence d'accord, le déficit de ces régimes constituerait la part prépondérante du déficit du système de retraites à l'horizon 2020. Pensez-vous que cet accord soit allé assez loin ?

Par ailleurs, je considère que le fameux dispositif du « bonus-malus » est particulièrement astucieux. Pensez-vous qu'il soit suffisamment incitatif pour permettre un changement de comportement ? C'est en tout cas une mesure nécessaire et nous préparons une proposition forte au Sénat à l'occasion de la discussion du PLFSS qui commence demain, pour accompagner cette mesure. Je proposerai d'augmenter l'âge légal d'un an pour la génération 1957 à compter du 1 er janvier 2019 pour éviter que cet accord n'introduise une nouvelle distorsion entre le public et le privé.

J'aurais également une question plus technique à vous poser. La presse s'est faite l'écho vendredi soir de l'éventuel rétablissement d'une taxe frappant les entreprises sur les licenciements des seniors. Est-ce le rétablissement de la contribution « Delalande » ? Et si non, pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur ses futurs contours ?

Mme Annie David. - Tout d'abord pouvez-vous préciser qui a signé l'accord ? Concernant la fusion des caisses, vous avez parlé d'une baisse de 11 % des retraites de l'Agirc en 2018. Est-ce que cela veut dire que les non cadres vont être solidaires des cadres ? Quelle sera la participation des cadres pour rétablir les comptes de leur régime de retraite complémentaire ? Hormis ce qui est fait à l'heure actuelle, quelle est la solidarité des employeurs dans cet accord ? Ensuite, je souhaite vous poser des questions sur les conséquences concrètes du régime unique. Vous nous avez parlé de la somme de 40 euros par mois, je suis assez sceptique sur ce montant. Pouvez-vous nous préciser quelles seront les conséquences de cet accord sur le niveau de pension des retraités actuels ? Quelles seront également les conséquences de cet accord sur la durée de cotisation ? Que prévoyez-vous pour les salariés privés d'emploi ainsi que pour les salariés qui sont en carrière longue ou ceux en invalidité ?

Enfin, je ne partage pas du tout votre point de vue selon lequel cet accord serait une bonne chose pour notre pays. Tous les responsables politiques n'ont pas salué cet accord, loin de là.

M. François-Xavier Selleret. - Pour commencer d'où partons-nous sur la question du régime unifié ? L'Arrco couvre l'ensemble des salariés de notre pays, cadres comme non cadres. Les cadres, qui cotisent à l'Arrco depuis 1973, cotisent en plus à l'Agirc. Si on devait comparer les contributions nettes par catégories socio-professionnelles, on constaterait que les cadres contribuent plus à l'Arrco que ce qu'ils n'en reçoivent. Le système de subventionnements croisés est en fait assez difficile à mesurer. S'il n'y avait pas eu d'accord, en raison de l'extinction probable des réserves financières de l'Agirc dès 2018, il aurait fallu équilibrer les recettes et les dépenses, ce qui aurait conduit à baisser de 11 % les retraites de l'Agirc.

Les organisations représentatives des salariés signataires de l'accord sont la CFDT, la CFTC et la CGC. Ces organisations ont souhaité aussi créer ce régime unifié afin que dans l'attente de la montée en charge des mesures, les réserves de l'Arrco puissent être mobilisées au profit de l'ensemble de la communauté. L'une des difficultés de l'Agirc, c'est aussi la traduction de l'évolution de la notion de cadre dans la société française. Les lignes hiérarchiques sont plus courtes. Le nombre de cotisant à l'Agirc n'a pas nécessairement suivi l'évolution de la population. Cette volonté d'arriver à un régime unifié a d'abord été portée par une organisation comme la CFDT.

Pour répondre à M. Roche concernant les projections du comité de suivi des retraites, sachez qu'aujourd'hui les hypothèses retenues rapportent 6 à 8 milliards d'euros à l'échéance de 2020. Si plus de personnes décalent leur départ à la retraite, à la fois du fait de l'attractivité du coefficient majorant, et du coefficient de solidarité, il y aura de facto un effet positif pour l'ensemble des régimes. Les carrières ne sont plus linéaires et certains assurés, après avoir cotisé à l'Arrco par exemple, ont pu entrer dans la fonction publique ou sont devenus indépendants. Aujourd'hui 90 % des Français ont des points à l'Arrco. La modification de comportement en lien avec le coefficient de solidarité pourra avoir des conséquences sur tous les régimes. Il est donc difficile d'en mesurer le plein effet.

Sur la contribution en cas de licenciement des seniors, les partenaires sociaux se sont fixés, dans l'article 9 de l'accord, un objectif lors de la prochaine négociation Unedic de mise en place d'une contribution aux régimes Agirc-Arrco assise sur le montant des transactions accordées à la suite de la rupture du contrat de travail. À ce stade, le terme de « transaction », de même que le taux de contribution et l'âge minimal n'ont pas été précisés. La prochaine négociation sur l'Unedic devrait se tenir dans les prochains mois.

Sur les différentes catégories de populations concernées par le mécanisme d'abattement, je rappelle que 30 % des salariés devraient en être exclus. En sont exonérés les futurs retraités qui ne seront pas assujettis à la CSG. Les assurés qui le seront à un taux réduit verront le coefficient de solidarité divisé par deux. Ces situations concernent les personnes dont le revenu imposable est compris entre 1 et 1,3 Smic par mois.

Pour pouvoir rentrer dans le dispositif carrière longue, il faut la même durée de cotisation que le dispositif de droit commun sauf qu'il faut avoir commencé à travailler plus tôt. Autant par le passé le dispositif carrière longue supposait d'avoir deux ans de cotisation de plus que la durée classique et attendue, autant depuis le décret de 2014, les conditions de carrière longue ont été revues. Retenons qu'aujourd'hui, 30 % des départs à la retraite sont dus au dispositif de départ anticipé. Les conditions d'entrée en carrière longue ont été élargies. C'est un régime qui a plus évolué vers un dispositif de « carrière précoce » que vers un dispositif de carrière longue car le nombre d'annuités nécessaires est moins élevé qu'auparavant. Pour les retraités ayant disposé du dispositif de carrière longue, la retraite moyenne à l'Arrco est de 30 % plus élevée que la retraite moyenne. Pour les personnes ayant liquidé leur retraite en 2013, la retraite moyenne à l'Arrco est à 5 000 euros par an, contre 7 000 euros pour une carrière longue. Ce sont des éléments qui ont amené les organisations syndicales à traiter les carrières longues de la même manière que les autres. En effet, l'âge effectif de départ pour les personnes ayant eu une carrière est rarement à 62 ans.

Les partenaires sociaux ont prévu une clause de revoyure en 2021 pour pouvoir apprécier l'effet modification du comportement.

En ce qui concerne le chiffre de 40 euros, il faut préciser que dans le flux des personnes qui partent en retraite, le montant moyen de la retraite en France est de 1 600 euros par mois. En moyenne la retraite Arrco représente le tiers soit environ 500 euros. On arrive donc bien autour de 40 à 50 euros en moyenne.

Mme Annie David. - On ne connait pas les mêmes retraités.

M. François-Xavier Selleret. - Je parle de ceux qui partent actuellement en retraite et non de ceux qui sont déjà en retraite. La retraite moyenne en France est de 1 200 euros par mois pour le stock mais pour le flux elle est de 1 600 euros. De plus, au risque de me répéter, les personnes qui percevront des petites retraites ne seront pas concernées par l'abattement. En revanche, les personnes exonérées de l'abattement sont éligibles au « bonus ». Ces personnes peuvent, si elles le décident, prolonger leur activité et bénéficier du coefficient majorant.

La mise en place de ce mécanisme rejoint le débat qu'il y a eu il y a 10 ans, au sein du régime général, au moment de l'adoption de la décote et de la surcote viagère. À cette époque, personne ne savait anticiper la modification de comportement. Aujourd'hui au régime général en moyenne 11 % de personnes partant à la retraite ont une surcote liée à une durée d'activité équivalente à 8 trimestres supplémentaires. Il y a donc bien eu des effets de modification du comportement. La différence avec le débat au sein du régime général, c'est que la décote sur l'assurance complémentaire est temporaire et non viagère. La prudence est donc de mise pour l'évaluation de l'impact du dispositif. De même, l'abattement de 10 % s'appliquera sur un montant très variable de retraite complémentaire. La part de l'Arrco dans le montant total de la retraite d'un salarié non-cadre est de 30 % en moyenne. Si cette part est inférieure, le poids des 10 % sera moindre.

À l'inverse, un abattement de 10 % rapporté aux salaires des cadres représente une somme plus élevée. La part de la retraite complémentaire dans la retraite totale des cadres est plus élevée que pour les salariés non-cadres.

Mme Annie David. - Vos réponses m'ont semblé floues sur les conséquences de la fusion des régimes. Sur un autre sujet, vous avez dit qu'en l'absence d'accord les personnes qui sont à l'Agirc auraient vu leur retraite diminuer de 11 %. Or, leur retraite de l'Agirc vont être maintenues, mais à quel prix ? Vous dites que 90 % des Français sont à l'Arrco. Tous les cotisants de l'Agirc sont à l'Arcco, en revanche tous les cotisants de l'Arrco ne sont pas à l'Agirc. Donc si on veut maintenir le niveau de retraite complémentaire de l'Agirc, ce sont les cotisants de l'Arcco qui vont payer et pas le contraire. J'ai bien compris que pour pouvoir toucher leur retraite à taux plein, les salariés vont devoir travailler plus longtemps avec un point moindre. Donc le montant de leur pension va diminuer automatiquement. Pour le moment, la pénibilité ne permet pas de prendre en compte la situation des cotisants ayant un travail éprouvant pour les organismes.

M. François-Xavier Selleret. - Le compte pénibilité n'est pas finalisé. Par construction, il ne pouvait entrer dans le champ de l'accord qui vient d'être signé.

M. Jean-Noël Cardoux , président. Je ne pense pas que le régime complémentaire puisse supprimer l'effet de la bonification. La pénibilité relève de la loi.

Mme Annie David. - Les travailleurs auront bien le coefficient majorant mais pour avoir

M. Jean-Noël Cardoux , président. - Nous sommes dans la phase de mise en oeuvre. Il sera nécessaire de refaire le point dans un an. M. Selleret, nous vous remercions.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

_______

• Confédération française des retraités (CFR)

Pierre Erbs , président

François Bellanger , membre du bureau

Sylvain Denis, membre du bureau

• Conseil d'orientation des retraites (COR)

Pierre-Louis Bras , président

Yves Guégano , secrétaire général

Patrick Aubert , secrétaire général adjoint

• Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Pascal Cormery , président

Franck Duclos , directeur délégué aux politiques sociales

Christophe Simon , chargé des relations avec le Parlement

• Caisse nationale de retraite des collectivités locales (CNRACL)

Jean-Michel Bacquer , directeur des retraites et de la solidarité

Accompagné de : Brigitte Laurent , directrice des relations institutionnelles nationales à la direction des relations institutionnelles, internationales et européennes du Groupe Caisse des Dépôts

• Direction générale du RSI (Régime social des indépendants)

Stéphane Seiller , directeur général

Philippe Magrin , administrateur au sein du CA

Olivier Maillebuau , chargé des relations parlementaires

• Comité de suivi des retraites (CSR)

Yannick Moreau , présidente

Philippe Laffon , rapporteur, Inspection générale des affaires sociales

• GIP Union Retraite

Jean-Luc Izard , directeur

Philippe Retailleau , directeur adjoint DSI

• Cour des comptes

Michel de Virville


* 1 La notion de système de retraite inclut non seulement le champs de la branche vieillesse contenu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (régimes de base et fonds de solidarité vieillesse), mais également le régime de retraite des fonctionnaires de l'État (apparaissant dans le compte d'affectation spéciale « Pensions » de la loi de finances), les régimes spéciaux de retraite et les régimes complémentaires.

* 2 L'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'Association des régimes de retraite complémentaire des salariés non-cadres (Arrco).

* 3 Ce qui était le cas dans son avis d'avril 2015 sur le programme de stabilité 2015-2018.

* 4 Évolutions et perspectives des retraites en France, rapport annuel du COR, juin 2015.

* 5 Ramener durablement notre système de retraite à l'équilibre, rapport d'information n° 624 fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale sur la situation des régimes de retraite, Gérard Roche, juillet 2015.

* 6 Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2015.

* 7 Par le décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012. La loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice de notre système de retraite accentue la hausse du taux de cotisation au titre de l'assurance vieillesse.

* 8 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 9 Le décret n'° 2012-247 du 2 juillet 2012 relatif à l'âge d'ouverture du droit à pension de vieillesse a assoupli les conditions de départ anticipé à 60 ans avec la fin de la majoration de deux ans de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein, l'ouverture du dispositif aux personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans et non plus 18 ans, la meilleure prise en compte des aléas de la carrière... Dans une moindre mesure, l'élargissement du champ des périodes pouvant être considérées comme des trimestres réputés cotisés, par la loi du 20 janvier 2014, contribue également au dynamisme des départs à la retraite anticipés.

* 10 Comme l'explique le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, « aux termes de la loi du 21 août 2003, le coefficient de revalorisation des pensions est égal à l'évolution prévisionnelle des prix hors tabac pour l'année N, corrigé, le cas échéant, de la révision de la prévision d'inflation de l'année N-1 telle que figurant dans le rapport économique et financier annexé au projet de loi de finances de l'année N ».

* 11 CJUE, 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter.

* 12 Voir le compte rendu de cette audition, annexé au présent rapport.

* 13 Deuxième avis du comité de suivi des retraites, remis au Premier ministre le 13 juillet 2015.

* 14 La loi de 2014 sur les retraites prévoit une augmentation du nombre de trimestres cotisés requis pour obtenir le taux plein et fait porter à 43 le nombre d'annuités de cotisation nécessaires.

* 15 Le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l'Union professionnelle des artisans (UPA).

* 16 La Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC).

* 17 Une hausse de la valeur d'achat du point entraîne mécaniquement un abaissement de son rendement. En l'espèce, pour 1 000 euros cotisés, le retraité recevra 60 euros de rente au lieu de 65,50 euros. L'Agirc-Arrco sont les régimes complémentaires offrant des rendements parmi les plus bas du marché. En 2015, un point Arcco vaut 1,25 euro et un point Agirc, 0,44 euro.

* 18 L'AGFF a été créée lors du passage de l'âge légal de départ à la retraite de 65 à 60 ans dans les régimes de base. L'âge de départ étant toujours fixé à 65 ans officiellement à l'Agirc-Arrco, l'AGFF permet de compenser la décote sur les pensions complémentaires que les salariés subiraient lorsqu'ils partent à la retraite à l'âge légal. Elle est financée par une cotisation spécifique portant sur les salaires de 2,20 %, dont 1,3 point est à la charge de l'entreprise et 0,9 à celle du salarié.

* 19 Créée en 1987, cette taxe devait être acquittée par toutes les entreprises qui licenciaient un salarié de plus de 50 ans, et pouvait atteindre un montant compris entre un et douze mois de salaires. Son effet désincitatif à l'embauche des « seniors » avait entraîné sa suppression.

* 20 Dans son livre Retraites complémentaires (Economica, 2014), François Charpentier rappelle que l'Agirc compte aujourd'hui pour 57 % dans la pension d'un cadre et l'Arrco pour 31 % dans celle d'un salarié non cadre.

* 21 Sur 127 euros cotisés, seuls 100 euros seront pris en compte dans le calcul de la pension complémentaire. À l'instar de la hausse du prix d'achat du point Agirc-Arrco, cette mesure a pour conséquence de dégrader un peu plus la rentabilité des cotisations.

* 22 Voir le compte-rendu de cette audition, annexé au présent rapport.

* 23 Les centrales de la Confédération générale du travail (CGT) et de Force ouvrière (FO) ont déclaré qu'elles ne signeront pas le présent accord.

* 24 D'après une communication mise en ligne sur le site du Gouvernement le 20 octobre 2015.

* 25 Rapport remis au Premier ministre le 26 mai 2015.

* 26 Le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en équipes successives alternantes, les activités en milieu hyperbare (ces quatre premiers facteurs sont entrés en vigueur le 1 er janvier 2015), le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, le risque chimique, l'exposition à des températures extrêmes et le bruit (ces six derniers facteurs n'ouvriront des droits qu'à partir du 1 er juillet 2016). La prise en compte de la pénibilité dépend d'un seuil d'exposition minimale à ce risque, mais aussi de l'intensité d'exposition et enfin de la fréquence d'exposition qui font l'objet d'intenses négociations au sein des branches professionnelles.

* 27 Les générations nées avant le 1 er janvier 1960 peuvent toutefois utiliser l'intégralité de leurs points pour financer une réduction du temps de travail ou un départ anticipé à la retraite.

* 28 L'étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux montre que le cumul des réformes des retraites depuis 1993 conduira à l'augmentation, à terme, de l'âge moyen de départ de deux ans et demi (n° 915, avril 2015). Il est donc faux de dire que rien n'a été fait pour les retraites !

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