EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, à l'initiative du groupe du rassemblement démocratique et social européen (RDSE), deux propositions de loi organique, déposées le 1 er octobre 2015 par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, relatives aux missions temporaires confiées à des parlementaires.

La proposition de loi organique n° 3 (2015-2016) propose de supprimer la possibilité pour le Gouvernement de nommer des parlementaires en mission et l'incompatibilité avec le mandat parlementaire en cas de prolongation au-delà de six mois de cette mission ainsi que, par voie de conséquence, les modalités de remplacement du parlementaire concerné.

Sans modifier l'incompatibilité, la proposition de loi organique n° 4 (2015-2016) se borne à mettre à fin aux modalités actuelles de remplacement, à savoir le remplacement, suivant le cas, par le remplaçant des députés ou des sénateurs élus au scrutin majoritaire ou par le suivant de liste pour les autres sénateurs. Dans ce cas, il serait pourvu au remplacement par une élection partielle.

I. LA COMPATIBILITÉ EXCEPTIONNELLE D'UN MANDAT PARLEMENTAIRE ET D'UNE FONCTION ADMINISTRATIVE

A. UN ANTÉCÉDENT PRESTIGIEUX : LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE

C'est sous la II e République qu'apparaît l' institution singulière du parlementaire en mission , c'est-à-dire d'un parlementaire qui exerce parallèlement à son mandat une fonction publique non élective. La loi électorale du 15 mars 1849 limite à six mois cette dérogation au principe de l'incompatibilité du mandat avec une fonction publique et l'un des plus proches amis d'Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, Francisque de Corcelle, se retrouve à la fois député et envoyé officiel du gouvernement français en Italie avec rang de ministre plénipotentiaire. Cette mission qui dura de juin à novembre 1849 est d'autant plus singulière que la Constitution du 4 novembre 1848 organise un régime de stricte séparation des pouvoirs entre un exécutif dirigé par un président de la République élu du Peuple et une Assemblée nationale qui ne peut ni renverser le ministère ni être dissoute.

B. UNE VOLONTÉ INITIALE : MIEUX ASSOCIER LES PARLEMENTAIRES AU TRAVAIL GOUVERNEMENTAL

La Constitution du 4 octobre 1958 a été marquée dès l'origine par la volonté de recourir à ce genre de pratique.

Dès octobre 1958, la possibilité pour le Gouvernement de confier, pour un délai maximal de six mois, une mission temporaire à un parlementaire est instituée 1 ( * ) . Cette règle est complétée en 1959 par celle prévoyant qu'en cas de prolongation au-delà de six mois de cette mission temporaire, le remplacement du parlementaire échoit à son remplaçant ou son suivant de liste.

Le recours aux parlementaires en mission a connu un réel engouement à partir des années 1970 . Il a même été justifié en octobre 1972 par M. Pierre Messmer, alors Premier ministre. Faisant part de sa « volonté de mieux associer les parlementaires à l'action du Gouvernement » lors de son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 3 octobre 1972, il indiquait : « J'ai décidé, en accord avec le Président de la République, de confier à un certain nombre de députés et de sénateurs des missions temporaires auprès des principaux ministres. Ils conserveront, conformément à la Constitution, leur mandat dans les assemblées et leur place dans les commissions. Les ministres auprès desquels ils seront placés mettront à leur disposition les moyens nécessaires. Ces parlementaires en mission pourront avoir accès aux dossiers, participer aux réunions de travail présidées par les ministres ainsi qu'aux comités interministériels spécialisés. »

Les modalités d'une mission temporaire confiée à un parlementaire n'ont pas fondamentalement évolué depuis. Un parlementaire en mission est ainsi un membre du Parlement désigné par le Gouvernement qui lui confie une mission temporaire en complément de son mandat parlementaire . Selon les circonstances, l'objectif poursuivi diffère : le Gouvernement peut solliciter un parlementaire pour préparer une réforme législative tandis qu'à l'inverse, il peut le solliciter pour dresser le bilan d'une réforme menée.

Une mission temporaire se conclut généralement par la remise d'un rapport , même si l'objet de la mission n'est pas nécessairement la rédaction d'un rapport. Ainsi, M. Christian Nucci, député, a été désigné parlementaire en mission en 1981 et 1982 pour exercer les fonctions de Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie 2 ( * ) .

Cependant, toute association d'un parlementaire au travail gouvernemental ne prend pas nécessairement la forme d'une mission temporaire confiée à un parlementaire. En 1989, notre ancien collègue Guy Allouche rappelait ainsi les deux possibilités qui s'offrent au Gouvernement pour associer un parlementaire à une mission gouvernementale : « Il existe en fait deux types de missions susceptibles d'être confiées à un parlementaire :

- les missions visées à l'article L.O. 144 du code électoral, donnant lieu à décret publié au Journal officiel. [...]

- des missions plus informelles, confiées par exemple par un ministre, et qui bien sûr ne tombent pas en droit sous le coup d'une incompatibilité, n'étant pas formellement prévues par le code électoral. » 3 ( * )

Ces « missions » informelles peuvent consister dans l'association à la préparation de projets de loi, dans l'association à la transposition de directives européennes, dans le suivi de la mise en oeuvre d'une loi en vigueur. En ce cas, la « mission » est très proche des missions des commissions parlementaires, c'est le Gouvernement, et non le Parlement, qui en prend l'initiative.


* 1 Ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires.

* 2 Décret du 18 décembre 1981 par lequel M. Nucci Christian, parlementaire chargé d'une mission temporaire par le Gouvernement, est nommé en cette qualité Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et dépendances.

* 3 Rapport n° 431 (1988-1989) de M. Guy Allouche, au nom de la commission des lois, 28 juin 1989.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page