EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 5 novembre 2015, à l'initiative de M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, le groupe socialiste, républicain et citoyen de l'Assemblée nationale déposait une proposition de loi organique et une proposition de loi ayant pour objet de modifier les règles relatives à l'élection du Président de la République.

Selon l'exposé du motif, « lors de chaque élection présidentielle, des contestations alimentent des polémiques récurrentes : le système des « parrainages » est mis en cause, les contraintes imposées aux médias audiovisuels sont critiquées, la pertinence des règles sur les sondages et sur la divulgation des résultats est interrogée. Mais si la controverse est parfois vive pendant quelques semaines, elle s'estompe une fois la campagne terminée, pour ne resurgir que cinq ans plus tard, alors qu'il est trop tard pour « changer les règles du jeu » ».

Les deux textes traduisent plusieurs recommandations formulées par les différents organismes de contrôle de l'élection présidentielle : Conseil constitutionnel, Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, Commission des sondages. Dans son rapport, M. Jean-Jacques Urvoas souhaitait ainsi « une discussion et [...] une « navette » [...] les plus consensuelles possible ».

Le mandat de l'actuel chef de l'État devant s'achever en mai 2017, sera alors organisée la dixième élection du Président de la République au suffrage universel direct sous la V ème République. Il apparaît effectivement nécessaire que ce scrutin se déroule dans la plus grande sécurité juridique, tant il est devenu un moment important de la vie démocratique de notre pays. Instaurée dans les premières années de la V ème République face à l'hostilité des principales formations politiques de l'époque, cette élection s'est imposée, en une cinquantaine d'années, comme une échéance « prédominante et structurante » 1 ( * ) selon la formule de Guy Carcassonne.

I. DES MODIFICATIONS CIRCONSCRITES AUX MODALITÉS D'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Les deux textes examinés par votre commission s'inscrivent dans le cadre constitutionnel adopté en 1962 par les électeurs français lors du référendum ayant conduit à l'élection, au suffrage direct, du chef de l'État à partir de 1965.

A. UNE ÉLECTION AUX CARACTÉRISTIQUES INCHANGÉES DEPUIS 1962

Voulue en 1962 par le général de Gaulle, l'élection directe du Président de la République mettait fin à l'élection du chef de l'État par un collège électoral restreint. Composé sous la III ème et la IV ème Républiques par les parlementaires, le corps électoral s'est étendu, à partir de 1958, à des représentants des collectivités territoriales, sur le modèle de celui des sénateurs. Élu selon ces modalités en décembre 1958, le général de Gaulle se disait, dans son message adressé au Sénat le 2 octobre 1962, « convaincu que l'investiture populaire sera [it] nécessaire pour donner, quoi qu'il arrive, à ceux qui [lui] succéder [aie] nt, la possibilité et l'obligation de porter la charge suprême ».

Il décida de soumettre au référendum le texte. La consultation du peuple donna lieu à une violente controverse juridique et politique : le recours à l'article 11 de la Constitution pour réviser la loi fondamentale était contesté car la procédure de l'article 89 de la Constitution s'imposait. Ce bouleversement institutionnel donna lieu à une célèbre crise politique : le Gouvernement de Georges Pompidou fut renversé par une motion de censure adoptée le 4 octobre 1962 par l'Assemblée nationale qui fut, en retour, dissoute par le Président de la République le 10 octobre suivant. Pour sa part, le Sénat s'opposa vigoureusement par la voix de son président Gaston Monnerville à cette évolution institutionnelle 2 ( * ) .

Adoptée par référendum le 28 octobre 1962, après approbation d'une majorité de 62,25 % des suffrages exprimée, la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel comportait, à l'origine, deux dispositions constitutionnelles (articles 1 er et 2) ayant modifié les articles 6 et 7 de la Constitution ainsi que deux autres articles (articles 3 et 4) ayant valeur organique pour en prévoir les conditions d'application.

Comme l'observait notre collègue Hugues Portelli, dans un article publié en 1980, « Pour les forces politiques regroupées en 1962 dans le « cartel des Non » qui récusent cette révision constitutionnelle, le déclin va s'avérer irréversible. Au contraire, ceux qui, à gauche ou à droite, ont compris que ce changement des institutions est au centre d'une nouvelle stratégie politique, vont connaître un succès rapide » 3 ( * ) .

Depuis cette date, cette réforme institutionnelle n'a jamais été remise en cause par les révisions ultérieures. L'élection directe du Président de la République paraît suffisamment établie pour que sa suppression soit envisagée comme l'appel à un changement de régime par ceux qui la proposent.

L'article 6 de la Constitution n'a été modifié qu'à deux reprises. En 2000, par un nouveau référendum, la durée du mandat présidentiel a été réduit de 7 à 5 ans puis, en 2008, le nombre de mandats successifs du Président de la République limité à deux.

L'article 7 de la Constitution n'a été complété qu'en 1976 4 ( * ) , sans en modifier l'esprit. Les caractéristiques essentielles du scrutin sont ainsi gravées dans le marbre constitutionnel : il s'agit d'un scrutin majoritaire direct à deux tours, avec une période entre les deux tours fixée, exceptionnellement, à quinze jours. Cette disposition constitutionnelle réserve l'accès au second tour à deux candidats.

L'élection présidentielle scande ainsi la vie politique française, en ayant, en plus de cinquante ans, provoqué ou accompagné des changements de fond du paysage politique.

Dès 1962, elle s'est accompagnée du « fait majoritaire ». En effet, à partir des élections législatives organisées à la suite de la dissolution décidée par le général de Gaulle, les électeurs ont donné au chef de l'État une majorité parlementaire homogène, lui permettant de nommer à nouveau le Premier ministre renversé moins de deux mois avant par la précédente Assemblée nationale. Cette règle est devenue, à l'exception des périodes de cohabitation, la règle commune du fonctionnement des institutions de la V ème République. Comme le rappelait Guy Carcassonne, « En deux mois [entre octobre et novembre 1962], la Vème République est devenue ce qu'elle est » 5 ( * ) .

L'élection présidentielle a également favorisé la bipolarisation de la vie politique, notamment en raison de la règle qui prévoit que seuls deux candidats peuvent être retenus pour le second tour. Cette évolution a d'ailleurs abouti ces dernières années à l'organisation d'élections primaires en vue de la sélection du candidat d'un ou plusieurs partis politiques.

Toutefois, si le nombre de candidats retenus pour le second tour reste inchangé depuis 1962, le nombre de candidats a considérablement cru depuis cette date, jusqu'au nombre record de seize en 2002.

Nombre de candidats à l'élection présidentielle depuis 1965

1965

1969

1974

1981

1988

1995

2002

2007

2012

6

7

12

10

9

9

16

12

10

Ce nombre important de candidats n'a pas été arrêté par l'exigence des « 500 parrainages ». En effet, contrairement aux autres élections, les candidats ne déposent pas leur déclaration de candidature auprès de l'administration. Ils sont présentés par les élus nationaux et une partie des élus locaux. Lorsqu'ils ont atteint le seuil requis de présentation, le Conseil constitutionnel les proclame candidats après s'être assuré de leur consentement. Initialement fixé à 100, ce seuil a été relevé en 1976, sans effet manifeste sur le nombre de candidats, à 500 issus d'au moins trente départements ou collectivités, sans qu'aucun département ou collectivité ne puisse réunir plus d'un dixième de ces « parrains ».

Le cadre général de l'élection présidentielle n'a donc pas fondamentalement évolué depuis l'origine. À un nombre élevé de candidats au premier tour succède un duel de candidats au second tour.

Cet état de fait a des incidences sur le déroulement de la campagne électorale : difficultés à respecter une égalité de temps de parole, intégration des dépenses des élections primaires dans le compte de campagne des candidats, etc. Les deux textes se proposent d'y répondre en apportant des ajustements aux règles actuelles, dans le respect du cadre constitutionnel de l'élection présidentielle.


* 1 Guy Carcassonne, La Constitution introduite et commentée, 10 ème édition, 2011.

* 2 Après sa réélection à la quasi-unanimité des sénateurs à la présidence du Sénat le 2 octobre 1962, M. Gaston Monnerville prononça lors de la traditionnelle allocution du Président suivant son élection, le 9 octobre 1962, un vibrant plaidoyer contre la réforme proposée par le général de Gaulle, dont l'affichage fut décidé par le Sénat par le vote d'une résolution.

* 3 Hugues Portelli, La présidentialisation des partis français, Pouvoirs n° 14, septembre 1980.

* 4 Loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 modifiant l'article 7 de la Constitution.

* 5 Guy Carcassonne, La Constitution introduite et commentée, 10 ème édition, 2011.

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