EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Dès 2010, votre commission regrettait le manque de lisibilité du code électoral, des modifications « successives et ponctuelles » lui ayant fait perdre « sa cohérence d'origine et sa clarté, sans pour autant garantir son actualisation » 1 ( * ) .

Près de dix ans plus tard, ce constat demeure, en contradiction avec la vocation initiale du code électoral.

Créé en 1956 2 ( * ) , ce code a été conçu comme un instrument de clarification à destination des électeurs et des candidats. Réunissant les modes de scrutin des élections locales et parlementaires, il s'est substitué à plus de 90 textes épars et sans cohérence.

Sa structure n'a pas été revue depuis, malgré les tentatives de la Commission supérieure de codification à la fin des années 2000. En outre, la présence de dispositions de valeur organique exclut tout recours aux ordonnances, outil privilégié pour créer de nouveaux codes ou les réorganiser.

Le code électoral combine ainsi des articles récents, en voie de sédimentation, et des dispositions patinées par le temps, comme son article L. 47 qui renvoie encore aux lois fondatrices de la III ème République.

Son chapitre « Financement et plafonnement des dépenses électorales » illustre parfaitement cette singularité. D'un côté, sept lois l'ont modifié depuis 2011, rendant ses dispositions peu lisibles, voire incohérentes. De l'autre, son article L. 52-12 mentionne toujours « l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés » , qui a changé d'appellation depuis 1994 3 ( * ) .

Sans revoir l'ensemble du code électoral, la proposition de loi n° 385 (2018-2019) et la proposition de loi organique n° 386 (2018-2019) de notre collègue Alain Richard et des membres du groupe La République en Marche poursuivent deux objectifs :

- clarifier le contrôle des comptes de campagne et les règles d'inéligibilité, d'une part ;

- mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote, d'autre part.

Ces propositions s'inspirent directement des observations rendues par le Conseil constitutionnel sur les élections législatives de 2017. Elles concernent, néanmoins, l'ensemble des élections, y compris les élections locales 4 ( * ) .

Votre commission a adopté la proposition de loi n° 385 (2018-2019) et la proposition de loi organique n° 386 (2018-2019) tout en enrichissant leur contenu par diverses mesures d'ordre technique.

I. CLARIFIER LE CONTRÔLE DES COMPTES DE CAMPAGNE ET LES RÈGLES D'INÉLIGIBILITÉ

A. AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DU CONTRÔLE DES COMPTES DE CAMPAGNE

1. Le plafonnement des dépenses électorales, une garantie d'équité entre les candidats

L'encadrement des dépenses électorales permet d'assurer une plus grande équité entre les candidats . Comme l'avait déclaré en 1988 M. Jacques Chirac, alors Premier ministre, « il ne serait pas acceptable que les chances des candidats au suffrage des Français soient directement proportionnées à l'ampleur de leurs ressources » 5 ( * ) .

Ce dispositif s'articule autour de trois principes :

- les candidats ont l'interdiction de dépasser un plafond de dépenses électorales , dont le montant est calculé en fonction de la population de la circonscription ;

- les dons des personnes physiques sont limités à 4 600 euros par scrutin, tandis que ceux des personnes morales sont interdits 6 ( * ) ;

- l'État rembourse, pour partie, les dépenses électorales des candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés 7 ( * ) . Ce remboursement forfaitaire s'élève à 47,5 % du plafond des dépenses électorales. Pour éviter tout enrichissement personnel des candidats, il n'excède pas le montant de leur apport personnel.

Issu des lois de 1988 et 1990 8 ( * ) , le contrôle des dépenses électorales concerne l'ensemble des élections, à l'exception des élections municipales dans les communes de moins de 9 000 habitants 9 ( * ) et de l'élection des instances représentatives des Français de l'étranger 10 ( * ) .

Sauf exception, les candidats ont l'obligation d'établir un compte de campagne , qui retrace toutes les opérations financières réalisées pendant la période de financement de la campagne électorale. Cette dernière débute six mois avant le premier tour de scrutin et s'achève deux mois et demi après.

Les candidats désignent deux personnes extérieures, qui garantissent le respect du code électoral :

- un mandataire , chargé de recueillir les recettes et de régler les dépenses électorales à partir d'un compte bancaire dédié ;

- un expert-comptable , qui « met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises » 11 ( * ) .

À l'issue du scrutin, les candidats déposent leur compte de campagne et ses annexes justificatives à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) . Le compte doit être présenté en équilibre : le montant des dépenses électorales ne doit pas excéder le montant des recettes.

Autorité administrative indépendante, la CNCCFP exerce trois missions : publier les comptes de campagne, les contrôler et fixer le montant du remboursement forfaitaire de l'État. Elle peut approuver le compte, l'approuver après réformation 12 ( * ) ou le rejeter.

Le juge de l'élection est automatiquement saisi lorsque le compte de campagne a été rejeté ou n'a pas été déposé, ou que le plafond des dépenses électorales a été dépassé.

En fonction de la nature et de la gravité des manquements du candidat, le juge électoral peut prononcer son inéligibilité .

Rôle des différents intervenants dans le contrôle des dépenses électorales

Source : commission des lois du Sénat, à partir des données de la CNCCFP

2. Les textes soumis à votre commission : simplifier les démarches administratives des candidats et améliorer les contrôles

Outre la clarification du code électoral, l'article 1 er de la proposition de loi poursuit deux objectifs : simplifier les démarches administratives des candidats et mieux organiser les contrôles de la CNCCFP, notamment pour faire face à l'augmentation du nombre de comptes de campagne.

L'augmentation du nombre de comptes de campagne,
un enjeu pour la CNCCFP et le juge électoral

Lors des élections législatives de 2017, 5 387 candidats ont dû déposer un compte de campagne, soit une hausse de 27 % par rapport au scrutin de 2012. En complément, 225 candidats ont déposé un compte sur la base du volontariat.

Au total, la CNCCFP a examiné 5 612 comptes de campagne, contre 4 382 comptes pour les élections législatives de 2012 .

Or, la commission doit se prononcer dans un délai de six mois, réduit à deux mois lorsque les résultats des élections sont contestés devant le juge électoral 13 ( * ) . Son silence vaut approbation du compte.

Pour les élections législatives de 2017, la CNCCFP a approuvé 5 261 comptes (dont 2 645 après réformation) et en a rejetés 107. 244 candidats n'ont pas déposé leur compte dans les délais impartis .

En conséquence, la commission a saisi le Conseil constitutionnel, juge de l'élection, à 351 reprises, en augmentation de 47,5 % par rapport aux élections législatives de 2012. Les décisions du Conseil constitutionnel se sont échelonnées entre avril et octobre 2018 , soit un différentiel de sept mois entre les différents candidats (contre quatre mois lors du précédent scrutin).

La massification des contrôles et du contentieux concerne également les élections locales : 4 748 candidats ont déposé un compte de campagne pour les élections municipales de 2014. Pour les élections départementales de 2015, la CNCCFP a contrôlé plus de 9 000 comptes de campagne.

a) Le périmètre des comptes de campagne

Initialement, tous les candidats devaient déposer un compte de campagne. Depuis 2011 14 ( * ) , une dérogation est toutefois prévue pour les candidats qui remplissent deux conditions cumulatives :

- ils ont obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés , ce qui exclut tout remboursement de leurs dépenses par l'État ;

- et ils n'ont pas perçu de dons de personnes physiques .

En pratique, cette dérogation porte principalement sur les élections législatives : 31,61 % des candidats au scrutin de 2017 n'ont pas eu l'obligation de déposer un compte de campagne, contre 0,96 % des candidats aux élections municipales de 2014 et 7,60 % des candidats aux élections régionales de 2015.

Reprenant une préconisation du Conseil constitutionnel, l'article 1 er de la proposition de loi vise à étendre cette dérogation : les candidats seraient dispensés de produire un compte de campagne lorsqu'ils obtiennent moins de 2 % des suffrages exprimés (contre 1 % aujourd'hui) et qu'ils n'ont pas reçu de dons de personnes physiques.

Si cette mesure avait été appliquée aux élections législatives de 2017, 808 candidats supplémentaires auraient été dispensés de compte de campagne, soit environ 10 % des candidats. Cette dispense aurait concerné 3 298 candidats, contre 2 490 en l'état du droit (sur un total de 7 877 candidats) 15 ( * ) .

Entendu en audition, le président de la CNCCFP a indiqué que le passage à un seuil de 1 à 2 % des suffrages exprimés pour le dépôt des comptes de campagne pourrait affecter l'efficacité des contrôles de la commission et réduire la transparence financière des campagnes électorales.

De même, cette mesure ne réduirait pas significativement le nombre de contentieux , dont beaucoup sont liés à la difficulté, pour les candidats, de démontrer qu'ils n'ont pas reçu de don en nature 16 ( * ) .

Au cours de ses travaux, votre commission n'a donc pas retenu cette proposition, privilégiant d'autres mesures pour alléger les démarches administratives des candidats .

b) La dispense d'expert-comptable

Pour la présentation de leur compte de campagne, les candidats ont l'obligation de recourir à un expert-comptable .

Ces prestations représentent un coût significatif : lors des élections législatives de 2017, le recours aux experts-comptables a coûté 3,4 millions d'euros, soit 4,5 % du total des dépenses électorales.

À titre dérogatoire, les candidats sont dispensés de solliciter un expert-comptable :

- lorsqu'ils n'ont pas l'obligation de déposer un compte de campagne ;

- ou lorsque leur compte ne comprend aucune dépense ni aucune recette . Dans cette hypothèse, le mandataire du candidat établit une attestation d'absence de dépense et de recette, annexée au compte de campagne.

Initialement, la proposition de loi comportait une mesure d'ordre technique imposant aux candidats de transmettre des relevés de compte bancaire pour démontrer qu'ils n'ont fait aucune dépense ni perçu aucune recette.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a souhaité alléger les démarches administratives des candidats.

S'inspirant d'une proposition de la CNCCFP, elle a élargi la dispense d'expertise-comptable aux candidats remplissant deux conditions cumulatives :

- ils ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et ne peuvent pas prétendre au remboursement de leurs dépenses électorales 17 ( * ) ;

- leurs recettes et leurs dépenses n'excèdent pas un montant fixé par décret.

Lors des élections législatives de 2017 , sur les 5 387 candidats devant déposer un compte de campagne, près de 47 % (soit 2 509 candidats) ont obtenu moins de 5 % des voix et auraient pu bénéficier de cette dispense, sous réserve du montant de leurs recettes et de leurs dépenses. Pour les élections municipales de 2014, 12,5 % des candidats auraient pu être concernés.

Sauf résultat inférieur à 1 % des suffrages exprimés, les candidats ayant reçu un don d'une personne physique auraient toujours l'obligation de déposer un compte de campagne à la CNCCFP .

La dispense d'expertise comptable

État du droit

Texte de la commission

Critères

Documents à fournir

Critères

Documents à fournir

Première hypothèse

Dispense de compte
de campagne

(moins de 1 % des suffrages exprimés + aucun don d'une personne physique)

Carnets de reçus-dons 18 ( * )

Idem

Idem

Seconde hypothèse

Aucune dépense
ni aucune recette

Attestation du mandataire

Moins de 5 % des suffrages exprimés et seuil de recettes et de dépenses fixé par décret

Relevés bancaires du compte de la campagne

Source : commission des lois du Sénat

3. Les ajouts techniques de votre commission

Votre commission a enrichi la proposition de loi en ajoutant trois mesures techniques issues de préconisations de la CNCCFP et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Corrigeant une erreur matérielle de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, votre commission a confirmé l'interdiction, pour les personnes morales autres que les partis politiques, d'apporter leur garantie aux prêts contractés par les candidats (nouvel article 1 er bis de la PPL) .

Elle a également harmonisé le « point de départ » du délai d'instruction de la CNCCFP : pour l'ensemble des candidats, la commission se prononcerait dans le délai de six mois à compter de la date limite de dépôt des comptes de campagne 19 ( * ) (même article 1 er bis de la PPL) .

Enfin, votre commission a sécurisé l'article L. 52-11-1 du code électoral, qui permet d' exclure du remboursement forfaitaire les candidats n'ayant pas déposé de déclaration de situation patrimoniale auprès de la HATVP (nouvel article 1 er ter de la PPL) .


* 1 Rapport d'information n° 186 (2010-2011) fait par le groupe de travail de votre commission sur l'évolution de la législation applicable aux campagnes électorales.

* 2 Décret n° 56-981 du 1 er octobre 1956 portant code électoral.

* 3 Loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui a généralisé la dénomination « d'ordre des experts-comptables ».

* 4 Conseil constitutionnel, 21 février 2019, Observations relatives aux élections législatives de 2017 , décision n° 2019-28 ELEC.

* 5 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, 2 février 1988 (première séance).

* 6 Sauf pour les partis et groupements politiques, qui peuvent soutenir les candidats de leur choix.

* 7 Ce seuil est abaissé à 3 % des suffrages exprimés pour les élections européennes et pour l'élection de l'assemblée de la Polynésie française.

* 8 Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.

* 9 Article L. 52-4 du code électoral.

* 10 Élections consulaires et élection de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), régies par la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

* 11 Article L. 52-12 du code électoral.

* 12 Lorsqu'elle approuve un compte de campagne après réformation, la CNCCFP module les sommes qui y sont inscrites, par exemple pour y ajouter des dépenses supplémentaires ou pour majorer leur montant.

* 13 Articles L. 52-15 et L. 118-2 du code électoral.

* 14 Loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique.

* 15 Source : ministère de l'intérieur.

* 16 Voir le commentaire de l'article 1 er de la proposition de loi pour plus de précisions.

* 17 Pour les élections européennes et l'élection de l'assemblée de la Polynésie française, ce seuil serait fixé à 3 % des suffrages exprimés par cohérence, pour ces scrutins, avec le seuil du remboursement des dépenses électorales.

* 18 Délivrés par les préfectures, ces carnets à souche assurent la traçabilité des dons perçus pendant la période de financement de la campagne.

* 19 Alors, qu'aujourd'hui, le « point de départ » du délai d'instruction de la CNCCFP débute au dépôt effectif de chaque compte de campagne et varie donc d'un dossier à l'autre.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page