B. DES INCERTITUDES NON NÉGLIGEABLES

Une première incertitude concerne l'inflation. Le Gouvernement évalue l'impact de l'inflation à 30 Md€ sur le budget total, ce qui correspond concrètement à une inflation annuelle moyenne inférieure à 2 %. Le programme de stabilité budgétaire pour 2023-2027 prévoit une inflation de 2,6 % en 2024 (après 4,9 % en 2023). C'est donc une hypothèse très optimiste. En outre, l'indice des prix à la consommation ne donne qu'une indication imparfaite de l'augmentation des coûts dans le secteur de la défense. La commission n'a pas souhaité introduire une trajectoire en euros constants, mais elle sera attentive aux ajustements qui seraient nécessaires pour préserver l'effort réel.

Seconde inquiétude : les ressources additionnelles aux crédits budgétaires, qui recouvrent non seulement des produits de cession, redevances et loyers, affectés au ministère des armées, mais aussi des ressources qui, d'après le Haut conseil des finances publiques, sont « moins documentées ».

Cette LPM fait, en outre, quelques paris à l'export, s'agissant notamment des programmes A400 M et FDI (Frégates de défense et d'intervention). Si les exports espérés n'ont pas lieu, des crédits devront être mobilisés pour que les programmes en question puissent se poursuivre, ce qui constitue un risque financier non négligeable.

Sur le plan capacitaire, cette LPM est paradoxale : malgré l'effort financier réalisé, de nombreux enjeux restent en suspens. D'importants décalages de calendrier sont proposés par le Gouvernement, dont certains s'apparentent à des renoncements. Des cibles sur des programmes cruciaux sont reportées à 2035. L'existant est modernisé et renouvelé, ce qui permettra de rester à la pointe des technologies nouvelles, mais le tournant de la « masse » n'est pas pris.

Sur la question des réserves opérationnelles, le texte se contente de fixer un objectif à échéance de sept ans sans fixer une trajectoire de hausse des effectifs des volontaires de la réserve opérationnelle, ce qui réduit la visibilité du Parlement, des forces armées et des réservistes eux-mêmes sur la stratégie en matière de montée en puissance de la réserve opérationnelle. La question de la généralisation du service national universel (SNU), susceptible de provoquer des hausses de dépenses et d'effectifs n'est pas non plus résolue par le projet de programmation. En tout état de cause, le SNU ne saurait affecter la trajectoire en crédits et en emplois du ministère.

En matière d'innovation, en dépit des ambitions élevées affichées dans le rapport annexé, les crédits consacrés aux études amont ne retrouveront leur niveau de 2023, de l'ordre du milliard d'euros, qu'à l'horizon 2028.

Sur l'enjeu essentiel de la condition militaire et de l'attractivité des armées, si le rapport annexé au projet de LPM consacre la volonté du Gouvernement de prolonger les efforts budgétaires engagés lors de la précédente LPM par un « plan famille II », le texte transmis au Sénat ne permet pas de clarifier les priorités à mettre en oeuvre pour améliorer la fidélisation des ressources humaines et répondre au défi majeur du manque de progressivité de la rémunération des militaires.

La préparation opérationnelle, la disponibilité des matériels, par répercussions les crédits dédiés à l'EPM, et plus globalement les soutiens, ont été, pendant des décennies, les variables d'ajustement à bas bruit des A2PM, c'est-à-dire des ajustements annuels de la LPM. Moins voyant faute d'indicateur que les décalages ou les renoncements en matière d'équipement neuf, ces dépenses de préparation et d'emploi des armées ont été sacrifiées tant que la possibilité d'un affrontement sur le sol européen restait hypothétique. Le projet de LPM commence à tirer les conséquences dans ces domaines des retours d'expérience, tant de la guerre en Ukraine que de Barkhane. Mais une fois encore, les jalons intermédiaires manquent, seules sont fixées des cibles pour 2030. La précédente LPM procédait de la même façon et renvoyait à des cibles pour 2025, or 45,5 % des indicateurs d'activité et 47 % des indicateurs de disponibilité technique opérationnelle (DTO) ont diminué au cours des 5 premières années de la LPM.

Le projet de LPM recherche un optimum économique, en trompe l'oeil, dit « de cohérence », arbitrant entre des variables majeures : la livraison de moins d'équipement neuf, l'activité et la disponibilité technique des matériels. Le raisonnement visant à réduire une supposée « sur-disponibilité » pour financer plus d'heures d'activité ne paraît pas rationnel, ni économiquement ni techniquement : il conduirait à une surusure des équipements et à l'érosion plus rapide du capital technique des armées. En son temps, le retard du Rafale Marine a obligé la Marine à prolonger l'emploi du Crusader (utilisé depuis le début des années 1960), au prix de 67h de maintenance pour une heure de vol. Ne reproduisons pas la même erreur aujourd'hui ! Le non remplacement de matériel et le retard de livraison d'équipements ne doivent pas conduire à l'utilisation au-delà du raisonnable des équipements vieillissants. Interrogé sur ce point, le Gouvernement n'a pas transmis de données permettant de s'assurer de la rationalité des choix de cohérence.

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